QUAND DES ECOLIERS S’ENTASSENT DANGEREUSEMENT SUR DES MOTOS-TAXIS
Transport scolaire en milieu rural et urbain, A Kaolack, Linguère, Ziguinchor et Thiès, ce n’est pas un cirque, mais une triste réalité !
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Au cours des dernières décennies, la mobilité dans les villes et campagnes du Sénégal a été marquée par la croissance considérable du trafic des motos-taxis ou taxis-jakarta. Après les traditionnelles calèches tirées par des chevaux ou des ânes, les légendaires taxis de brousse et vélos, c’est autour des motos-taxis de régner sans partage dans le transport anarchique des élèves en milieu urbain et rural. A Kaolack par exemple, constate « Le Témoin », il n’est pas rare de voir jusqu’à cinq voire plus de d’écoliers s’entasser sur une moto pour aller à l’école !
Cinq voire six personnes sur une moto ! La scène est à la fois insolite et surprenante pour tout visiteur qui débarque à Kaolack. Il ne s’agit pas d’un numéro de cirque, mais hélas d’une triste réalité dans le ramassage scolaire. Evidemment certains parents d’élèves font transporter leurs enfants sur des motos-taxis. Comme tous les jours quand la capitale du Bassin arachidier se réveille, chaque élève attend sa « moto-jakarta » pour aller à l’école. Selon Mme Khady Diop, domiciliée au quartier Boustane, les motos-taxis constituent le moyen de transport le plus rapide et le moins cher pour arriver à l’heure. « Chaque mois, je m’acquitte d’un abonnement de 15.000 cfa auprès d’un jakartaman qui vient tous les matins vers 7 heures 30 pour transporter mon enfant à l’école. Il convoie en même temps d’autres enfants sur la même moto. Il est vrai que la surcharge est un réel danger, mais les parents comme les conducteurs n’ont pas le choix ! Et partout dans Kaolack, les écoliers s’entassent à quatre voire cinq sur une moto pour partir à l’école » dédramatise-t-elle.
Dans la ville de Mbossé comme partout dans les zones urbaines et rurales, l’engin à deux roues fabriqué pour transporter le conducteur et un passager, défie et la notice du constructeur et les règles du code de la route. Et plutôt que de voir deux passagers prendre place sur sa selle, on peut voir jusqu’à quatre voire cinq écoliers âgés entre 4 et 10 ans à bord d’une moto en plus du conducteur qui est lui soit un adolescent voire un adulte ! Les trois mômes s’assoient sur la selle et le dernier est coincé entre les jambes du conducteur. Parfois, le réservoir à essence sert anarchiquement de siège supplémentaire. Ces scènes spectaculaires aux yeux des visiteurs sont courantes voire du déjà-vu pour les populations kaolakoises qui en voient tous les jours.
C’est la même chose à Ziguinchor où les « jakartamen » font désormais partie des acteurs de l’éducation. « Malgré la surcharge à hauts risques, les jakartamen transportent les élèves, étudiants et enseignants vers les écoles, lycées et universités les plus reculés de la commune de Ziguinchor. A l’image des parents d’élèves et des enseignants, les conducteurs de moto-taxi sont de vrais acteurs de l’éducation » indique M. Seck, un professeur d’anglais affecté à Ziguinchor.
Sur le chemin de l’école, des « tombe-morts » !
Si la floraison des motos-taxis a été jusque-là considérée comme une bénédiction pour la plupart des populations, elle présente de nos jours un grand risque pour ceux qui en font mauvais usage. Un très mauvais usage comme l’a si bien déploré et constaté notre correspondante Oumy Yamar Sarr à Thiès en faisant le récit de ce grave accident de la circulation où le jeune collégien Mouhamed a perdu la vie alors qu’il était sur une moto. « Le drame a eu lieu le jeudi 07 décembre 2023, aux environs de 7 heures 30 minutes, à hauteur de l’intersection «Auchan-Avenue Caen». Ce jour-là, le jeune collégien en classe de 5e au lycée « La Source» a été mortellement heurté par un car « Ndiaga Ndiaye » sur le chemin de l’école. Un accident de trop puisque chaque jour, pratiquement, des élèves en moto-taxi se font violemment parfois mortellement faucher. Parce que le moto-taxi est le moyen de transport le plus utilisé par les élèves ou écoliers pour se rendre à leur établissement. Ce moyennant 250 cfa ou 300 cfa la course pour pouvoir arriver à l’heure à l’école ou rentrer à l’heure le soir » explique notre reportère dans la capitale du rail. Oumy Yamar Sarr déplore l’impuissance des autorités municipales et policières par rapport à la surcharge des motos surnommées jadis…tombe-morts, une manière de dire que toutes les chutes à partir de ces engins à deux roues sont mortelles. « D’ailleurs, je suis mieux placé pour te confirmer que la plupart des enfants décédés, blessés ou amputés doivent leur état à des accidents de la circulation de moto-taxis » déplore un médecin travaillant dans la ville-aux-deux-gares.
A Dahra-Djolof, 10 à 15 enfants à bord d’une moto tricycle !
Dans cette commune sylvo-pastorale, les motos-tricycles constituent le réseau de ramassage scolaire. Un transport scolaire assuré sur des lignes régulières par des « trois roues » permettant aux élèves d’effectuer le trajet aller-retour entre leurs domiciles et leurs établissements. Des motos « gros porteurs » à bord desquelles sont entassées une dizaine d’enfants de la maternelle et du primaire en partance pour l’école. Joint par « Le Témoin » sur le transport de ces enfants à bord de motos tricycles, ce fonctionnaire affecté à Dahra Djolof où il vit avec sa famille explique et relativise. « Il est vrai qu’il faut déplorer les tricycles en surcharge jusqu’à 10 voire 15 écoliers-passagers. Mais que faire ? Ces engins sont le moindre mal ou danger car on ne peut avoir mieux en dehors des « trois roues » dans une commune où il n’y a pas de bus de ramassage scolaire » explique calmement ce fonctionnaire. Ilse réjouit de la modicité relative du prix de l’abonnement à ce système de ramassage scolaire. « Pour chaque élève, la mensualité est fixée à 8000 cfa pour une rotation matin-midi-soir. Et pour la navette matin et soir, c’est 4.000 cfa/mois » explique notre parent d’élève entre tiraillé entre la satisfaction d’une mobilité à tarif réduit et l’angoisse du danger que représentent ces motos à trois roues.
Dakar, un recul de la modernité !
Hélas, Dakar ou l’ancienne capitale de l’Afrique occidentale française (Aof) ruralisée par les motos-taxis — et aussi par les moutons attachés partout à la devanture des maisons sans compter les charrettes ! — n’est pas une exception ! Pour mieux se faire comprendre, il est bon de rappeler que l’apparition des moto-taxis dans les grandes villes africaines comme Conakry (Guinée) et Ouagadougou (Bourkina-faso) date des années 60. Autrement dit, au lendemain des indépendances. Dans ces deux capitales, par exemple, et jadis dépourvues de tout, le transport public en moto taxi exercé par des jeunes est apparu comme une réponse urbaine à la défaillance d’un réseau d’autobus d’Etat. Creusant dans ses souvenirs, El Hadj Ibrahima Diouf, inspecteur de l’éducation à la retraite, raconte : « En Guinée, on surnommait le moto-taxi « Honda Guinée » puisqu’il constituait un luxe en matière de transport ou de mobilité urbaine. Il a fallu plus de 60 ans après pour que ces motostaxis fassent leur apparition à Dakar, c’est une honte ! Vraiment Dakar refuse de se moderniser ou de se développer parce que les taxis-jakarta ont saboté le décor de notre ville. Une grande capitale comme Dakar ne doit pas accepter que des motos-taxis qui ont déjà fait leur temps en Afrique des années Sékou Touré y circulent » se désole notre doyen. Avant de qualifier l’invasion de Dakar par les motosjakartas de recul de la modernité ou de retard de modernisation. Il pourrait aussi ajouter que c’est dans les autres capitales africaines qu’il était courant de voir des chars de combat stationnant aux principaux carrefours. Un spectacle martial alors inconnu aux Sénégalais mais qui fait désormais partie de leur décor, hélas… Mais ça, c’est une autre histoire !