LE MAITRE D’UN JEU POLITICIEN
Comment espérer d’un président très politique, qui a déjà marqué sa préférence pour sa succession au sein de son propre parti, qu’il arbitre un conflit avec des institutions dont il a lui-même désigné les membres ?
A quelques encablures de l’élection présidentielle, alors qu’il a déclaré sa non-participation, Macky Sall reste le maître du jeu politique, pour ne pas dire politicien, du fait d’un recours d’une partie de l’opposition qui le sollicite comme arbitre du processus électoral. Cette démarche, en elle-même, pose le problème de la séparation des pouvoirs.
De plus comment espérer d’un Président très politique, qui a déjà marqué sa préférence pour sa succession au sein de son propre parti, qu’il arbitre un conflit avec des institutions dont il a lui-même désigné les membres ?
Il est utile de rappeler que le président de la République a mis en prison son principal opposant Ousmane Sonko en lui mettant sur le dos de graves chefs d’accusation (terrorisme, actes et manœuvres de nature à compromettre la sécurité publique, atteinte à la sûreté de l’Etat et tutti quanti).
Il a dissous le principal parti d’opposition le PASTEF dirigé par le même Ousmane Sonko, et embastillé près de 1000 de ses éléments, dont son adjoint Bassirou Diomaye Faye.
Il a usé d’une répression féroce avec des forces de défense et de sécurité, aidés par des nervis proches de son parti avec plusieurs morts à la clé, et « raflé » les manifestants, parmi lesquels de nombreux militants du PASTEF.
Il a annoncé contre toute attente sa non-participation aux joutes électorales du 25 février prochain tout en maintenant son emprise et sur son parti et sur l’Etat. Au-delà de ce qui précède, il faut ajouter son art consommé de diviser ses adversaires, qui semblent, pour certains, en phase avec lui dès qu’il s’agit de sauvegarder leurs intérêts propres.
A défaut de pouvoir se dédire, Macky Sall émet tous des signaux montrant désir de différer l’heure du départ car quiconque à sa place aurait créé les conditions d’un éloignement rapide et définitif.
En se maintenant à la tête de son parti et en annonçant des projets à réaliser, il donne l’impression de rechercher un temps additionnel, des prolongations pour utiliser un terme footballistique très à propos en cette période de CAN.
Concernant les élections en préparation, le processus de validation des candidatures semble peu fluide du fait d’une administration tatillonne communiquant peu et d’un Conseil Constitutionnel peu tranchant.
Des 93 prétendants qui avaient déposé un dossier de candidature devant le Conseil constitutionnel, seuls 21 ont été considérés comme aptes à franchir l’étape du contrôle des parrainages.
Selon les recalés, la question du fichier électoral utilisé par le Conseil constitutionnel pour contrôler les parrainages poserait problème.
Ce dernier n’ayant pas été communiqué aux candidats et le fichier mis en ligne parla CENA ayant été déclaré pas à jour par cette même institution, les candidats « spoliés » disent donc n’avoir aucune base pour apprécier les décisions issues de ce contrôle par le Conseil constitutionnel.
L’interrogation générale est la suivante : quel est le fichier qui a été utilisé par ce dernier et pourquoi ne pas le mettre à la disposition des candidats ?
Des candidats recalés parmi lesquels on compte trois anciens Premiers ministres dont deux nommés par l’actuel président de la République. Faute d’interlocuteurs réactifs, les « recalés » — du moins certains d’entre eux —ont donc décidé de s’en remettre au chef de l’Etat.
Près de 40 candidats formant un collectif et dont les dossiers de parrainage ont été invalidés ont ainsi saisi le Président Macky Sall en sa qualité, ont-ils dit, de « Clé de voute des institutions et de Président du Conseil supérieur de la magistrature », d’une requête pour la reprise du contrôle des parrainages « suite aux graves manquements relevés lors du contrôle de validation »
D’un autre côté, on assiste à des attaques et recours en invalidation contre des candidats ayant franchi avec succès le cap du contrôle des parrainages. Des opposants tirent sur d’autres opposants et des candidats sont étiquetés « éléments du système » au sein même de la principale coalition d’opposition à savoir Yewwi Askan Wi.
Thierno Alassane Sall fait un recours contre la candidature de Karim Wade sous le motif que ce dernier aurait une double nationalité, et ce dernier, en plus de se défendre de cette accusation, de répondre en accusant le résident de la République des valeurs de « rouler » pour le candidat Amadou Bâ.
L’affaire se complique, malheureusement, avec l’intervention du Premier ministre français qui a internationalisé le problème que l’accusateur Thierno Alassane Sall n’a pas hésité à qualifier d’implication « françafricaine », se plaçant ainsi sur une position de souverainiste. Cette intervention du Premier ministre français est, de notre point de vue, maladroite et inopportune. Il aurait suffi de demander à Thierno Alassane Sall d’apporter la preuve de ses allégations.
« Penser que Karim pourrait travailler pour une puissance étrangère me semble un peu injuste » !
Par ailleurs il faut, à mon sens, déplorer qu’on puisse dénier aussi aisément au fils d’un ex-Président, peu soupçonnable d’avoir privilégié les intérêts étrangers lors de son magistère, le droit de se présenter à une élection présidentielle.
Qu’on puisse le juger sur beaucoup de questions, rien ne pourrait l’interdire, au contraire ; mais penser d’emblée qu’il pourrait travailler pour une puissance étrangère, la France en l’occurrence, après qu’on lui ait reproché par ailleurs de travailler pour les pays du Moyen Orient, me semble un peu injuste. De surcroît, nul ne pourrait prétendre que Karim Wade, au même titre que Thierno Alassane Sall d’ailleurs, n’a pas travaillé pour son pays dans le cadre de ses fonctions antérieures.
Comme si tout cela n’était pas suffisamment compliqué, voilà qu’Ousmane Sonko, à son tour, sort de sa réserve pour démentir avoir signé la correspondance des 40 recalés incitant le président de la République à s’impliquer dans le processus électoral. Sans doute qu’il sent le danger que ses adversaires se mettent d’accord pour toucher au calendrier électoral, et pire en le listant indûment parmi les initiateurs.
Ajoutant à la confusion, les avocats du candidat de l’APR et de Benno viennent de faire un recours, semble-t-il contre la validation des candidatures de Bassirou Diomaye Faye et de Cheikh Tidiane Dièye, concourant ainsi à la conservation finale du ballon entre les mains — ou les pieds ! — du Président Macky Sall, appelé en dernier recours.
A notre avis, cette démarche fait un peu désordre et dessert ce candidat du pouvoir en ce qu’elle lui fait endosser une présomption de crainte face à ses challengers surtout après qu’il a annoncé précédemment la collecte de plus de 3 700 000 parrains en faveur de sa candidature.
Cette confrontation intra opposition, d’une part, et entre l’opposition et l’APR/BENNO, de l’autre, est du pain bénit pour le pouvoir actuel, qui n’en demandait pastant.
Ainsi, en recalant une bonne partie des candidats de l’opposition au stade de la vérification des dossiers de parrainages, et tenté d’éliminer définitivement le plus représentatif d’entre eux, tout en validant les dossiers des candidats les plus improbables, on assiste à une sorte de sauve-qui-peut chez les recalés, réduits à demander l’arbitrage du Président Macky Sall « himself ». Et ce après l’avoir désigné comme le responsable de cette situation préélectorale délétère !
Ce faisant, cette opposition lui donne l’occasion de « prolonger les prolongations » en prenant le temps d’examiner ces nouvelles requêtes bien que fondées.
En effet, il nous parait évident que du temps sera nécessaire pour traiter toutes les réclamations et cela risque de peser sur les délais fixés, si l’on sait que la campagne électorale doit normalement démarrer dans 25 jours environ.
L’opposition — du moins une partie d’entre elle — ayant sollicité l’arbitrage de Macky Sall pourrait battre sa coulpe demain pour avoir remisé l’urgence du « dégagement » du pouvoir actuel qu’elle prônait au profit de l’ambition personnelle de certains de ses membres.
Refusant de s’unir sur la question du processus électoral, elle en a accepté les règles fixées par le pouvoir actuel dans le souci d’affaiblir l’opposition en la divisant.
En réalité, les ambitions personnelles des uns et des autres ont toujours prévalu. L’élimination d’Ousmane Sonko des listes électorales (il ne fait pas partie des 21 présélectionnés) n’avait pas suscité la levée de boucliers qu’on était en droit d’attendre de cette opposition, hormis venant de Yewwi Askan Wi, le « chacun poursoi » semblant être la ligne de conduite.
A la décharge des recalés, il faut considérer qu’empêcher un homme politique de compétir sous le motif qu’il n’est pas en capacité de réunir 45 000 signatures d’électeurs, est une forme de négation de sa représentativité et donc de mise à mort politique.
Cela est particulièrement vrai pour d’anciens premiers ministres comme Mme Aminata Touré et Cheikh Haguibou Soumaré, dont on peut sincèrement douter qu’ils ne puissent parvenir à réunir ce nombre de parrains, surtout qu’on ne leur donne aucun moyen d’établir leur propre vérité.
Mais si ces derniers demeurent convaincus que c’est le pouvoir en place qui est la source de leurs déconvenues, pourquoi s’adresser à ce même pouvoir pour les rétablir dans leur bon droit ? Pourquoi ne pas initier d’autres formes de luttes plus combatives ?
Il reste à évoquer le cas particulier d’Ousmane Sonko. Sera-t-il le 22ème candidat retenu ? Ses avocats viennent d’introduire un dernier recours qui devrait être traité dans les délais impartis par le Conseil constitutionnel.
« Les conditions voulues ou involontaires sont réunies pour un report du scrutin »
Entre le chassé-croisé entre la DGE et son mandataire, la réaction en demi-teinte de la Caisse des dépôts et consignations qui donne un reçu d’encaissement de la caution de Sonko et qui refuse par la suite de délivrer l’attestation y relative, au prétexte que ce dernier ne figure pas sur les listes électorales. Pourquoi avoir accepté de prendre les fonds dans ce cas ?
Si on osait la comparaison, on pourrait dire que tout cela ressemble plus au free jazz d’Ornette Coleman qu’au swing harmonique et policé d’Oscar Peterson.
In fine, nous avons la conviction que les conditions voulues ou involontaires sont réunies pour un report du scrutin.
Cela donnerait du temps supplémentaire aux acteurs politiques rétifs au changement véritable, pour peaufiner une stratégie d’immobilisation du pays, et du répit aux recalés pour se refaire.
A ce train, au motif de traitement adapté des réclamations, et compte tenu du nœud que constitue le Conseil Constitutionnel dans le processus, qui donne le point de départ de toutes la tâches à effectuer (impression des bulletins etc..) et de la campagne électorale, le respect total du calendrier des élections parait de plus en plus improbable.
Le président de la République, « clé de voute des institutions », est à son avantage. Face aux atermoiements des institutions chargées des élections, le sort du pays se retrouve entre ses mains non pas pour décider d’un report aux relents partisans mais pour accélérer le temps de traitement des réclamations que les ennemis de la République essaient de freiner des quatre fers. Eloigné de par lui-même du champ politique depuis l’annonce de sa non-candidature, Macky Sall redevient la « constante ». Pour combien de temps ?
Ayant de son propre chef renoncé à son « 2ème quinquennat », il lui revient, par conséquent, de veiller à la stabilité et à la paix sociale du pays qui sont une part essentielle du legs de ses prédécesseurs. L’heure est au changement, politique, économique, social et surtout générationnel.
Aujourd’hui, on observe avec effarement que des leaders politique en activité sous les présidents Senghor et Abdou Diouf sont encore sur la scène politique parce qu’ils ont su mettre en place les stratégies de repositionnement qu’il fallait.
L’urgence est de proposer à la jeunesse des perspectives claires de réalisation personnelle. Or les programmes politiques et économiques sont rangés dans les tiroirs des candidats alors que les jeunes posent comme condition d’octroi de leurs suffrages des orientations clairement « anti-système » soit, en plus clair, leur opposition au modèle politique, économique et social qui prévaut depuis l’accession de notre pays à la souveraineté internationale.
Le système, pour eux, ce sont tous les actes posés qui concourent à faire perdurer la pauvreté, le chômage, la corruption, les détournements de deniers publics sans prise de sanctions réelles, une justice à deux vitesses, la non prise en compte de la préférence nationale dans les politiques publiques, le copinage, des abandons de souveraineté dans l’exploitation de nos ressources minières et halieutiques.
Nous sommes donc à 24 jours du début de la campagne électorale, et le monde entier nous observe en riant sous cape.
Puissent les autorités et tous les acteurs en tenir compte pour faire honneur à la réputation du Sénégal sur la scène mondiale en termes de pays de la démocratie et des droits de l’homme !