LES DESSOUS DU NOUVEAU CONTRAT DE LA SDE
EXCLUSIF : IMPLICATION DE LA FRANCE, AVANTAGES LÉONINS ET INCROYABLE IMPUNITÉ

La société de financement FINAGESTION, filiale du Groupe Bouygues et actionnaire majoritaire de la Sénégalaise Des Eaux (SDE), peut enfin dégager un ouf de soulagement. Le contrat d’affermage de la SDE a été enfin signé par le gouvernement sénégalais. Depuis deux mois, alors que tout semblait être réglé, M. Dia, Directeur Général, piaffait d’impatience, attendant, on comprend, le sésame qui devait autoriser la SDE à continuer l’exploitation de l’eau dans les zones urbaines du Sénégal pendant cinq autres années.
Visiblement agacés par ces atermoiements, ses dirigeants avaient du mal à accepter ce black-out et ses lenteurs. Et pourtant «toutes les conditions étaient remplies», pour poursuivre cette expérience de réforme institutionnelle basée sur le Partenariat-Public-Privé depuis avril 1966. De guerre lasse, l’imprimatur a été donné, le puissant lobbying de M. Dia et de la France aidant.
Osons croire qu’il ne s’agissait que de lenteurs administratives et acceptons-en l’augure ! Mais… Maintenant que cette étape est franchie, la SDE peut se frotter les mains. Elle a tremblé en septembre devant les foudres du Premier ministre. Mme Touré avait menacé de rompre ce contrat à la suite du scandaleux épisode de la crise de l’eau à Dakar provoqué par la négligence de la SDE.
Pendant trois semaines 40% des Dakarois ont été privés du service de l’eau, parce que la SDE s’est entêtée à continuer l’exploitation alors qu’une énorme fuite était constatée dans le réseau depuis le mois de mars. Son Directeur Général, se prévalant de bon droit de faire jouer le principe «du risque maîtrisé», a préféré prendre le risque d’une cassure de la conduite plutôt que de fermer les vannes. La suite on la connaît.
N’eussent été l’intervention du Président Macky Sall et l’appel au secours aux Français, l’irréparable se serait produit. Non seulement les conséquences financières pour les ménages dakarois sont inestimables, mais les risques sanitaires et de troubles sociaux pointaient à l’horizon.
A cette défaillance technique s’est ajoutée une autre défaillance morale : la Direction générale de la SDE a simplement omis de dire la vérité aux Sénégalais sur les délais de remise en service et, pire, sur la gravité de la situation.
Défaillances techniques et morales
On comprenait l’agacement du Premier ministre devant une telle forfaiture. Mais de retour de voyage, le Président Macky Sall, en connaissance de cause, a freiné l’ardeur de son PM et fait appel à l’aide de la France pour tirer la SDE et les ménages dakarois de cette mauvaise passe.
À ce jour, en dépit des accusations portées contre la SONES, société de patrimoine, aucune enquête sérieuse n’est venue situer les manifestes responsabilités de la SDE. D’après les premières études opérées, elle a surexploité la station. Malgré l’identification des fuites constatées, ses techniciens ont fait fonctionner la station à plus de 30 bars, alors que l’anti-bélier était défectueux, la protection cathodique absente ou défaillante.
Mais avec la complicité du Directeur de l’Hydraulique, membre du Conseil d’administration de la SDE, on a préféré botter en touche, en commanditant une étude dont la finalité était justement de mettre en accusation la SONES. Cette dernière avait déjà planifié le remplacement de la pièce défaillante, mais certainement n’a pas su gérer efficacement ses relations avec l’entreprise des travaux DEGREMONT et probablement le bureau d’études.
Avec une situation d’une telle gravité, on s’attendait à de lourdes sanctions contre la SDE, pour l’exemple. Apparemment, le Premier ministre a été désavoué et on lui reproche même d’avoir gardé le Directeur Général de la SDE en «otage» à Keur Momar, le temps que la panne soit réparée. Et cerise sur le gâteau, voilà que le contrat d’affermage est reconduit pour cinq ans et… pour la troisième fois. Sans appel d’offres. Avec en sus des avantages mirobolants.
En effet, la SDE sans bourse délier, va gérer l’exploitation et la distribution de l’eau dans 70 centres urbains, pour un chiffre d’affaires annuel d’au moins 60 milliards FCFA, ainsi répartis : 18 milliards FCFA à la SONES, 35 milliards à la SDE, 7 milliards pour l’Office National de l’Assainissement. Mieux dans le nouveau contrat, la SDE va bénéficier d’un nouveau pactole de cinq milliards tirés des travaux de renouvellement et des branchements sociaux. De fait la SDE est devenue une des premières sociétés de travaux au Sénégal.
Cette manne lui est contractuellement dédiée, sans appel d’offres, avec une seule contrainte, celle de se conformer aux prix du marché. Allez savoir. Il est vrai que la SDE va s’engager sur la fourniture de 25 000 compteurs contre la moitié dans l’ancien contrat et 200 km de réseau équivalent en fonte. Mais cette bagatelle est dérisoire comparée aux substantiels gains qu’elle réalise à la fois dans l’exploitation et les travaux.
SDE, une grande société de… travaux
La SDE voit ainsi ses ressources augmenter en valeur absolue, au moment même où elle tente de restreindre les ressources de la SONES, en voulant figer son prix patrimoine à 134 f, autrement dit des recettes de l’ordre 15 à 16 milliards, voire 17 milliards dans le meilleur des cas, contre la légitime prétention de 18 milliards.
Au même moment également, elle s’obstine à refuser de restituer à la société de patrimoine un montant de trois milliards qu’elle garde indûment au titre de la facture énergétique de la station de surpression de Mekhé. La SONES reste et demeure la variable d’ajustement de la SDE, car chaque fois, les charges de la SDE augmente, elle se paie sur la bête en défalquant le surplus sur les recettes de la SONES qui voit ses ressources fondre comme neige sous le soleil.
Qui plus est la SDE, en tant que trésorier du secteur restitue à ses partenaires leur part avec une incroyable parcimonie. Le versement des reliquats de la redevance fait l’objet d’interminables discussions et échanges de correspondances pendant que FINAGESTION tire profit de ce temps, pour bonifier ses placements bancaires. Les consommateurs sénégalais peuvent au moins prendre du réconfort dans le partenariat technique scellé entre le groupe Suez Environnement et FINAGESTION. Ce qui donne à la SDE des garanties d’une meilleure exploitation et écarte peut-être la psychose d’un nouveau scandale sur la fourniture de l’eau.
En attendant, le Président de la République a pris des mesures salvatrices pour préserver la station de pompage et de traitement de Keur Momar, qui produit 350 000 m3/jour. L’Agence française de développement mettra en place pour 6 milliards de CFA, un dispositif de secours, pour qu’en cas de défaillance de l’anti-bélier, le service puisse continuer de fonctionner. À condition, comme le recommande l’étude réalisée par des spécialistes lors de la casse de septembre, que la SDE cesse de privilégier la logique commerciale au détriment de la sécurisation de la consommation.
La SONES en sursis
La reconduction du contrat de la SDE a fait certes l’objet de négociations ardues à l’issue desquelles, elle a réussi grâce aux appuis de la France à s’en sortir. Alors qu’on s’achemine vers l’Acte 3 de la Décentralisation, les collectivités locales bassin de villes affermées vont passer à 572, essentiellement des communes. Son périmètre affermé en même temps que celui concédé de la SONES va s’étendre avec toutes les conséquences qu’on sait.
L’intégration espérée de Touba, avec ses cinquante mille abonnés potentiel, dans le périmètre d’affermé, donnerait à la SDE un potentiel énorme de profit, en même temps qu’elle améliorera la consommation de l’eau dans la ville sainte.
En conséquence, il est donc temps que l’État prenne la mesure de ces enjeux et encourage des privés sénégalais à investir ce secteur. Il est anormal qu’une société financière prenne en charge l’eau dans un pays comme le nôtre qui regorge des compétences avérées dans ce domaine.
La SONES en contrat de performance avec l’État jusqu’en 2026, peut, elle, s’estimer heureuse de n’avoir pas été emportée par la bourrasque de la reconduction. En effet, de sombres desseins ont tenté et tentent encore de convaincre l’État de mettre en place une agence de régulation, budgétivore, lourde et inutile. Sa finalité est de permettre à la SDE d’échapper au pénible contrôle de la société de patrimoine parce que nombre des missions de la société seraient transférées à cette structure. C’est une manière d’affaiblir encore le service public, ce contre quoi a voulu s’insurger le Premier ministre, Mme Touré, avec les résultats qu’on sait.