LE PROJET TRAINE LA JUSTICE DEVANT LA BARRE
C’est aujourd’hui que s’ouvrent au Centre international de conférences Abdou Diouf (Cicad) de Diamniadio les Assises nationales de la justice. Le 28 mai a été institué journée nationale du dialogue par l’ancien président de la République Macky Sall
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C’est aujourd’hui que s’ouvrent au Centre international de conférences Abdou Diouf (Cicad) de Diamniadio les Assises nationales de la justice. Le 28 mai a été institué journée nationale du dialogue par l’ancien président de la République Macky Sall. Et l’édition de cette année sera justement consacrée à cette problématique qui char[1]rie des passions. La question de la réforme de la justice est tellement importante, d’ailleurs, que les assises qui seront lancées aujourd’hui par le chef de l’Etat, Bassirou Diomaye Faye, dureront plusieurs jours. Parmi elles, les populations attendent son retrait du Haut conseil de la magistrature, des solutions sur les longues détentions préventives, sur la surpopulation carcérale...
La justice, c’est bien connu, est une composante essentielle de la démocratie et constitue le fondement de l’Etat de droit. Elle constitue l’un des trois pouvoirs — Exécutif, Législatif et Judiciaire — théorisés par Montesquieu qui soutenait d’ailleurs qu’il faut que le pouvoir arrête le pouvoir. Dans nos pays, il ne saurait y avoir de développement et de paix durable sans justice. Mais une vraie justice indépendante du pouvoir exécutif dont elle freinerait d’ailleurs les abus et les dérives en tant que contre-pouvoir. Hélas, sous nos tropiques, la justice est perçue comme une institution aux ordres de l’exécutif. Et pourtant, les différentes Constitutions énoncent clairement la séparation des pouvoirs. Au Sénégal, il y a longtemps que les populations sont fâchées avec leur justice en laquelle ils ne se reconnaissent plus. Elles souhaitent donc qu’elle soit réformée et que des ruptures profondes soient opérées dans son fonctionnement. A défaut de pouvoir faire en sorte que les hommes censés rendre la justice soient eux-mêmes justes. Au cours de la dernière campagne électorale, l’actuel président de la République avait promis de s’attaquer au chantier de la justice. De fait, dès sa première adresse solennelle à la Nation il avait annoncé sa volonté de tenir des Assises nationales de la justice. Chose promise, chose faite puisque ce sont ces assises qui vont s’ouvrir aujourd’hui au Cicad de Diamniadio.
Le chef de l’État hors du Haut Conseil de la Magistrature, une longue doléance...
De 1960 à nos jours, la justice a été instrumentalisée par les différents chefs d’État qui se sont succédé à la tête du pays pour venir à bout de leurs adversaires les plus redoutables. Que ce soit dans les crises ayant op[1]posé le président Senghor à son président du Conseil Mamadou Dia, les divers bras de fer entre Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, entre ce dernier Wade et Idrissa Seck, un de ses Premiers ministres et éphémère dauphin putatif, ou pour exécuter la volonté du président Macky Sall de réduire l’opposition à sa plus simple expression en embastillant Karim Wade, puis Khalifa Sall et enfin Ousmane Sonko, la justice a été mise à contribution. Dans toutes ces affaires, elle a été accusée d’être à la solde de l’exécutif pour liquider des opposants.
Considérée comme le bras armé de l’exécutif, la justice se voit aussi reprocher de fermer les yeux sur des rapports de corps de contrôle épinglant des partisans des divers pouvoirs qui se sont succédé pour des détournements de deniers publics, des spoliations foncières ou encore des délits, voire des crimes, plus graves. En fait, l’opinion communément partagée par nos compatriotes c’est que la justice sénégalaise est impitoyable avec les faibles et terriblement indulgente avec les forts et les puissants. Ainsi, des voleurs de poulets, des fumeurs de chanvre indien, des pickpockets ou des prévenus pour coups et blessures volontaires voient le sabre des juges s’abattre sur eux sans pitié tandis que des détourneurs de deniers publics ayant subtilisé des milliards de francs, des fonctionnaires ou élus ayant bradé le patrimoine national et autres grands délinquants bénéficient d’une impunité to[1]tale. De façon caricaturale, donc, on peut dire que la justice sénégalaise est foncièrement injuste. C’est du moins ainsi que la perçoit le Sénégalais lambda. Lequel est particulièrement ému par la facilité avec laquelle les juges délivrent des mandats de dépôt souvent pour des délits bénins, les victimes de cette sévérité, encore une fois, n’étant que des « Kouma amoul ndey », des citoyens pauvres, sans bras longs et habitant les quartiers populaires.
Des solutions au déficit des juges, aux longues détentions préventives, amélioration des conditions des détenus...
Les Sénégalais se plaignent du manque criard de juges pour faire fonctionner nos juridictions. Ce déficit, une fois résorbé, contribuera à réduire la durée des détentions préventives qui, dans certains cas, peuvent atteindre plusieurs années. Des dossiers sont parfois « oubliés » en prison sans que leurs dossiers ne soient instruits. Pis, certains parmi eux y restent plus de la durée de la peine encourue. Et dans le cas où ils sont relaxés après avoir été enfin jugés, ils ne peuvent pas prétendre à la moindre indemnisation. Autre sujet de préoccupation de nos compatriotes, les conditions de détention des pensionnaires des différentes maisons d’arrêt et de correction de notre pays. Ces conditions inhumaines longtemps décriées par les défenseurs des droits de l’homme, la société civile, les hommes politiques ou les simples citoyens ne semblent pas émouvoir outre mesure les autorités. Aujourd’hui, il est indéniable que les maisons d’arrêt et de correction (MAC) sont notoirement insuffisantes pour contenir le trop grand nombre de prisonniers que compte notre pays. D’où l’urgence d’en construire de nouvelles pour se rapprocher des normes internationales à défaut de les atteindre. Mais surtout, surtout, c’est la lancinante question de l’indépendance de la justice qui préoccupe nos compatriotes. Le problème majeur étant que les magistrats ne semblent pas vouloir s’affranchir de la tu[1]telle du pouvoir exécutif ! Bref, les problèmes de la justice sénégalaise sont innombrables et l’institution elle-même est un grand malade auquel il convient d’administrer un traitement de choc. Pour ne pas dire un remède de cheval. C’est la raison pour laquelle les décisions qui sortiront des assises qui débutent aujourd’hui sont très attendues par les populations qui espèrent de tout cœur qu’elles auront enfin la justice qu’elles appellent de leurs vœux. Une justice avec laquelle elles seront réconciliées…