L'ARME DE SÉDUCTION MASSIVE
Chaque régime au Sénégal a su habilement exploiter les slogans pour incarner son projet politique. Du "Natangué" socialiste au "Jub, Jubal, Jubanti" actuel, ces formules racontent une histoire et projettent une identité forte
Les slogans et les noms de programmes sont des outils stratégiques essentiels dans la propagande politique. Chaque régime, depuis le Parti socialiste, s’est employé à mettre en avant un certain nombre de slogans dans le but d’incarner une vision et une promesse politique. Des années 80-90 avec le "Natangué" du Parti socialiste au récent "Jub, Jubal, Jabanti" de Sonko, chaque slogan raconte une histoire et projette une image claire du projet politique et de l'identité des leaders.
Le vert "Natangué" du Parti socialiste et le bleu du "Sopi"
Dans les années 80 et 90, le Parti socialiste (PS) dominait le champ politique sénégalais avec son slogan emblématique, le vert "Natangué". Ce slogan, qui symbolisait la prospérité, incarnait la promesse de croissance, de stabilité et de prospérité. Le choix du vert et du mot "Natangué" visait à rassurer les électeurs sur la capacité du PS à maintenir un Sénégal florissant et stable.
Mais ce slogan ne va pas résister à la conjoncture économique (Plan d’ajustement structurel, dévaluation du franc CFA, privatisation des services publics) qui va enterrer les derniers espoirs des populations pour une amélioration de leurs conditions de vie.
Malgré le plan de redressement du duo Loum-Sakho, le slogan "Natangué" passe vite aux oubliettes au profit des promesses libérales de changement et d’emploi des jeunes.
Le 19 mars 2000, lors du second tour de l'élection présidentielle, le Sénégal connait une alternance historique. Abdoulaye Wade, soutenu par une coalition de partis politiques regroupés au sein du Front pour l’alternance, met fin à plusieurs décennies de domination socialiste avec son slogan "Sopi", qui signifie changement.
Ce slogan puissant et simple a capturé l'aspiration collective à un renouvellement profond. La reconnaissance rapide de sa défaite par le président sortant Abdou Diouf a permis une transition pacifique, évitant les craintes de blocage électoral et de violences.
Cette formule va, au fil des années, se déliter au gré des scandales financiers et de la spoliation des deniers publics. Ce slogan, qui sera vidé de sa substance à la fin du règne d’Abdoulaye Wade, symbolisera les espoirs déçus de toute une frange de la population qui souhaitait un changement jamais obtenu.
Macky Sall, l’ère du ‘’Yoonu Yokkuté’’ et la gestion sobre et vertueuse
Les slogans politiques ont aussi marqué l’ère du régime de Macky Sall. Ce dernier, lors de sa campagne de 2012, avait mis en avant des slogans comme ‘’Yoonu Yokkuté’’ (la voie du développement), ‘’La patrie avant le parti’’, ‘’La gestion sobre et vertueuse’’ ou bien ‘’Dèkkal Ngor’’ (restaurer les valeurs). Autant de formules mises en avant par les militants de l’APR qui voulaient marquer la rupture avec Abdoulaye Wade dont la gestion avait été marquée par la multiplication des scandales financiers et la spoliation des deniers publics.
À travers ce ‘’Yoonu Yokkuté’’, Macky Sall voulait proposer un nouveau contrat de développement économique et social basé sur la rigueur et la réduction du train de vie de l’État.
Toutefois, ce slogan va rapidement laisser le champ libre au Plan Sénégal Emergent de 2014. Ce programme, qui constitue le référentiel de la politique économique et sociale jusqu’en 2035, s’appuie sur des investissements massifs dans les infrastructures, l’énergie et l’accès à l’eau au détriment de l’aspect social qui fut à l’origine de la pensée sociale de ’’Yoonu Yokkuté’’.
Le candidat avait plus marqué les esprits avec sa formule "Une gestion sobre et vertueuse" de l’État. Dans cette dynamique, il a déclenché la reddition des comptes avec la traque des biens mal acquis. Ainsi, des autorités du régime de Wade avaient été poursuivies pour enrichissement illicite.
Mais cette devise a vite été mise aux oubliettes, lorsqu’après la condamnation de Karim Meissa Wade, le procureur de la CREI a voulu s’attaquer aux membres de la liste des 25 responsables de l’ancien régime libéral visés par ladite traque. Alioune Ndao avait été démis de ses fonctions, sans autre forme de procès. C’en était fini de la traque des biens mal acquis.
Il faut aussi souligner que la ‘’gestion sobre et vertueuse" a tourné à la farce, lorsque le président de la République s’est entêté à protéger, vaille que vaille, les nombreux dignitaires de son régime épinglés dans les rapports de l’Ofnac, de la Cour des comptes et de l’IGE. En lieu et place de la ‘’gestion sobre et vertueuse’’, l’impunité fut ainsi érigée en règle du côté du pouvoir. Ce qui a participé à discréditer le règne de Macky Sall.
Cette dichotomie entre le discours et les actes a été un boulet qui a précipité le régime de Macky Sall au fond de l’abîme, donnant l’image d’un régime incapable d’assainir les finances et d’assurer une gouvernance transparente.
Le dernier grand slogan de l’ère Macky Sall fut le ‘’Fast Track’’ pour marquer la volonté du gouvernement d’aller plus vite dans la gestion des affaires publiques. Ce slogan a été mis en exergue par la communication gouvernementale, à la suite de la suppression du poste de Premier ministre le 14 mai 2019.
Ce nouveau mode de gouvernance, qui devait permettre d’aller vers plus d’efficacité dans la mise en œuvre de l’action gouvernementale, n’a pas engendré les résultats escomptés. Le rapport direct entre Macky Sall et ses ministres n’a pas insufflé plus de dynamisme dans la gestion de l’État, semant au passage la confusion, car l’absence de Premier ministre, qui est un chef d’orchestre de l’action gouvernementale, a nui à l’efficacité du gouvernement. Macky Sall mettra fin à ce pari en restaurant le poste de PM en décembre 2021.
"Jub, Jubal, Jubanti" : la nouvelle ère de Sonko
Pour Ousmane Sonko et ses alliés du Pastef, le maître mot est devenu "Patriote", un terme qui incarne l'engagement profond envers la nation et les citoyens. Les membres du Pastef se surnomment eux-mêmes les "patriotes", faisant de ce terme un symbole et une identité forte pour le parti. Le terme "Patriote" est devenu plus qu'une simple affiliation politique ; il représente une identité partagée, un sentiment d'appartenance à un mouvement qui prône le patriotisme, l'intégrité et le changement. Cette identité commune renforce la cohésion au sein du parti et mobilise ses membres autour d'objectifs communs. L'adoption de ce terme par les militants du Pastef bouscule les conventions politiques traditionnelles au Sénégal et reflète leur volonté de se démarquer de l'establishment.
Une fois au pouvoir, le slogan "Jub, Jubal, Jubanti" (transparence, justice, redressement) a pris le relais, reflétant une volonté de gouvernance transparente et de reddition des comptes.
En avril 2024, le président Bassirou Diomaye Diakhar Faye a illustré cet engagement en ordonnant la publication des rapports de la Cour des comptes, de l'inspection générale d'État (IGE) et de l'Ofnac pour les cinq dernières années, marquant un cas concret vers la transparence promise.
Pour Bruno Walther, directeur de la communication de la campagne d'Europe Écologie Les Verts, le slogan permet de "synthétiser le narratif de campagne". Il doit offrir une compréhension rapide de l'orientation générale du programme et refléter la ‘’personnalité’’ du candidat, selon l'historien de la communication politique Christian Delporte.
Les slogans sont souvent testés par des instituts de sondage pour s'assurer qu'ils résonnent avec l'électorat et suscitent les réactions souhaitées, faisant ainsi du slogan une véritable marque de fabrique du candidat.
En conclusion, les slogans des partis politiques au Sénégal ne sont pas de simples outils de communication. Ils sont des reflets puissants des visions et des promesses des leaders politiques. Chaque slogan est marqueur d’une identité et d’un sceau destiné à symboliser une espérance et une vision au profit des populations. La prospérité, le changement ou la transparence joue un rôle crucial dans la dynamique électorale et l'engagement des électeurs.