UN REDEPLOIEMENT DES DETENUS VIRE À L’ÉMEUTE AU CAMP PÉNAL
Si nul ne fut blessé, l'incident révèle les lignes de fracture et les négligences au cœur du système carcéral qu'il faudra résoudre
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Une nouvelle répartition des détenus dans différents cellules suivie d’une fouille réglementaire mais qualifiée d’ « exagérée » par les prisonniers a viré à l’émeute hier au Camp pénal de Liberté VI. Des détenus ont mis le feu à leurs effets de couchage pour protester contre une fouille réglementaire entrant dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogue et d’appareils de communication en milieu carcéral. La descente sur les lieux du ministre la Justice Ousmane Diagne a fait revenir le calme. Le Témoin a enquêté.
Le Camp pénal de Liberté VI a subi les conséquences d’une très longue absence de fouilles minutieuses et régulières dans les chambres pour démanteler toutes sortes de trafics allant des drogues aux téléphones portables en passant par les billets de banque et autres produits prohibés en milieu carcéral. Un trafic qui ne peut prospérer sans la complicité de certains agents de l’administration pénitentiaire. S’il n’est pas favorisé par la fermeture volontaire des yeux d’une partie des responsables au nom de la « paix sociale » en milieu carcéral. Or, s’il doit exister un lieu qui doit être sécurisé et totalement hermétique au trafic de drogue, ce devrait bien être la prison. Quoi de mieux en effet que l’univers carcéral et la privation de liberté pour couper les liens entre les trafiquants de drogue et les consommateurs ? En théorie, oui, mais la réalité est tout autre. Car de nombreux grands et petits caïds poursuivent, en toute illégalité, leurs activité de dealers pour ne pas laisser la place vacante. Et, donc, au profit des gangs adverses.
Pour mettre fin aux réseaux mafieux qui s’activent dans les lieux de la détention, la direction du Camp pénal de Liberté VI a décidé de faire une nouvelle répartition des détenus dans les chambres. Autrement dit, procéder à des changements de cellules afin de briser les chaines de complicité entre codétenus. Faisant d’une pierre deux coups, le régisseur voulait en profiter pour procéder à des fouilles réglementaires dans les cellules pour saisir les produits stupéfiants et autres objets interdits (drogues, armes blanches, téléphones portables, couteaux, armes à feu etc.). Selon le règlement, les fouilles corporelles ne devraient être utilisées que lorsque tout autre moyen d’investigation a été tenté pour mettre de l’ordre dans la prison. Selon la direction de l’Administration pénitentiaire, les événements d’hier ont débuté lorsque les pensionnaires de la chambre 8 ont refusé du Camp pénal de Liberté VI ont refusé de se soumettre à l’appel nominatif avant de mettre le feu, volontairement, sur leurs effets de couchage.
Il faut dire que la publication de la liste des 376 détenus graciés par le président de la République à la veille de la Tabaski avait provoqué le mécontentement de certains pensionnaires. Or, la plupart des émeutiers font partie des personnes ayant commis des assassinats et crimes de sang et qui voulaient se faire gracier. Quoi !
Face au cumul de cette déception et de mesures « disciplinaires », certains détenus du Camp pénal avaient refusé de rejoindre leurs nouvelles chambres d’affectation. Encore mieux, ils n’ont voulu se soumettre aux fouilles de sécurité. Au finish, ils ont été contraints de sortir par les gardes pénitentiaires. Pour manifester leur colère, ils ont alors délibérément mis le feu à leurs effets personnels à savoir les habits et autres matelas.
La version de l’Administration pénitentiaire
Dans un communiqué de presse, l’Administration pénitentiaire a apporté des précisions sur les événements survenus ce mercredi 19 juin 2024 au Camp pénal de Liberté 6. Elle fait état d’images et vidéos choquantes, prises illégalement par les détenus eux-mêmes à l’aide de téléphones portables, ayant circulé sur les réseaux sociaux.
Selon la version officielle, l’incident a débuté lorsque les pensionnaires de la chambre 8 ont refusé de se soumettre à l’appel nominatif, une procédure de sécurité obligatoire. «Ils ont par la suite délibérément mis le feu à leurs effets de couchage», précise le communiqué.
Si ces scènes violentes ont suscité l’émoi et heurté la sensibilité du public, l’Administration pénitentiaire tient à rassurer : «Aucun blessé n’est à déplorer encore moins une perte en vie humaine.» Elle affirme que «la situation a été vite maîtrisée par le personnel en service». Cependant, des questions se posent sur la provenance de ces téléphones portables utilisés pour filmer les événements. Une enquête a d’ores et déjà été ouverte à ce sujet par les autorités carcérales. «Nous condamnons ces actes d’insubordination envers les règles de sécurité», a déclaré l’Administration pénitentiaire avertissant que «de tels comportements auront des conséquences disciplinaires sévères». Elle appelle également les détenus et l’opinion publique à «respecter les dispositions sécuritaires régissant le fonctionnement des établissements pénitentiaires » lit-on dans le communiqué.