UN EXERCICE PÉRILLEUX
En accordant une interview aux médias, Diomaye Faye prend le risque d'être confronté à des questions épineuses sur des sujets sensibles. Cette rencontre sera un test révélateur de la capacité du régime à gérer la contradiction
Adeptes des points de presse, les pontes du nouveau régime ne sont pas habitués à tenir de vrais face-à-face avec des journalistes professionnels, libres et indépendants. En accordant une grande interview à certains médias, Diomaye prend le risque de se faire challenger sur diverses questions.
Le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, fera face à la presse ce samedi 13 juillet 2024 au palais présidentiel. A en croire la RTS, cette rencontre lui permettra, après cent jours passés au pouvoir, de répondre aux questions des journalistes et de communiquer directement avec la population sur l’état de la nation et ses perspectives. Parmi les sujets attendus, on trouve la bonne gouvernance, la baisse des prix de certains produits de première nécessité, la lutte contre la corruption et les missions d’audit.
Il faut noter que cet exercice est très utile aujourd’hui dans la mesure où la discussion est actuellement rompue entre le gouvernement et la majorité parlementaire. Or, l’hémicycle est par essence le lieu de débat entre les autorités et les représentants du peuple. Mais le Premier ministre Ousmane Sonko refuse toujours de tenir sa déclaration de politique générale (DPG) devant la représentation nationale. Il compte d’ailleurs l’effectuer devant un jury populaire si le règlement intérieur de l’institution n’est pas corrigé avant le 15 juillet pour prendre en compte les modalités d’organisation de la DPG. Et pour contrecarrer Ousmane Sonko, le bureau de l’Assemblée nationale a décidé de surseoir à la tenue du débat sur le budget.
Pourtant, cette session consacrée à la DPG pourrait constituer un grand moment de respiration démocratique avec des séries de questions réponses sur toutes sortes de sujets. Elle aurait pu même épargner le chef de l’Etat de l’exercice qu’il prévoit de tenir demain avec les journalistes. En effet, le Président Diomaye Faye sent le besoin de parler directement aux Sénégalais ; c’est parce qu’il craint que des canaux de communication ne soient obstrués. Le cas échéant, le travail qu’il est en train d’abattre n’aurait pas l’impact attendu.
Pour l’heure, il faut se rendre à l’évidence qu’au niveau sectoriel, les différents départements ministériels ne communiquent pas assez. Et au niveau de la primature, on est plus dans la gestion de crise soit pour gérer le problème des marchands ambulants ou pour divulguer des scandales fonciers et autres. Le Premier ministre n’est pas à vrai dire dans la communication publique avec une valorisation conséquente du travail abattu. Avec l’absence d’initiatives comme celle du régime présidentiel notamment “le gouvernement face à la presse”, le besoin de communiquer directement avec le peuple se fait sentir.
On peut se demander cependant si les autorités actuelles sont bien préparées à cet exercice. La réalité est que durant leurs dernières années d’opposition, elles se livraient plus à des points de presse qu’à des conférences de presse. Vu que leur stratégie était plus basée sur l’amplification de leurs discours savamment construits par leurs officines via les réseaux sociaux, elles ont abusé avec des points de presse sans possibilité d'être relancées et challengés couramment par des journalistes chevronnés.
Aujourd’hui, Bassirou Diomaye Faye prend le risque et compte aller au charbon pour vendre ses réalisations après cent jours de gestion et vendre de l’espoir. Force est de constater cependant que cet exercice peut s’avérer périlleux. Macky Sall, qui voulait révolutionner sa communication après ses discours du nouvel an en organisant des face-à-face avec des journalistes, en a fait les frais. Le 31 décembre 2019 à l’occasion d’un entretien avec des professionnels des médias au palais de la République, il a été piégé par le journaliste de RFM Babacar Fall avec une question fermée sur le troisième mandat. Celui-ci lui avait demandé de répondre par “Oui” ou par “Non” s’il allait briguer un troisième mandat. Le président Sall avait rétorqué : « Je ne répondrai ni par oui ni par non.» Une telle posture n’avait fait ensuite qu’amplifier le débat durant toute l’année pendant laquelle «pro et anti troisième mandat » se sont donnés en spectacle. Mais sa réponse avait été le catalyseur pour déclencher un nouveau mouvement anti-troisième mandat.
Du temps d’Abdoulaye Wade, cela s’est souvent passé de manière assez irrespectueuse. Le Pape du Sopi avait souvent en face des journalistes qui n’avaient pas froid aux yeux et qui n’hésitaient pas à le titiller. On se rappelle ses échanges avec Mamadou Ibra Kane qui l’avait interpellé en lui disant qu’il parlait beaucoup plus qu’il ne travaillait. Une question qui avait irrité à l’époque le président Wade. Il n’avait pas manqué d’ailleurs de le traiter d’insolent.