CINQ ACTIVISTES DÉNONCENT DES CONDITIONS DE DÉTENTION INHUMAINES
Amnesty International plaide pour de meilleures conditions dans les prisons au Sénégal, notamment pour des solutions à la surpopulation carcérale et à l’insalubrité.
À l’approche de l’élection présidentielle de 2024, les autorités sénégalaises avaient lancé une vague de répression visant les voix dissidentes. Entre janvier et décembre 2023, plus d’un millier de personnes ont été arrêtées, selon le Collectif des familles de détenus politiques. Il s’agit notamment de journalistes, d’activistes et de manifestant·e·s qui ont été détenus arbitrairement pour avoir participé à des manifestations ou exprimé leur opinion sur les réseaux sociaux.
Depuis des années, Amnesty International plaide pour de meilleures conditions de détention au Sénégal, notamment pour des solutions à la surpopulation carcérale et à l’insalubrité, ainsi que la protection de groupes spécifiques de personnes en détention.
En cette Journée internationale Nelson Mandela, Amnesty International présente des interviews de cinq défenseur·e·s des droits humains qui ont été détenus injustement. Ils évoquent le temps qu’ils ont passé en détention et les conditions terribles qu’ils ont endurées.
Nafissatou Gueye
Activiste accusée de terrorisme, Nafissatou Gueye a passé sept mois dans une prison pour femmes à Dakar avant d’être libérée le 16 février 2024.
« Quand tu viens d’arriver en prison, c’est un moment difficile, et pour moi ça coïncidait avec une période de forte chaleur. La chambre des arrivantes est l’une des plus dures car elle est bondée de monde. Malgré les ventilateurs, tu as l’impression de te noyer dans ta propre transpiration. Il faut un mental solide pour survivre. Beaucoup de personnes sortent de prison avec des troubles psychologiques. Ce qui m’a le plus marquée, c’est la séparation avec mon fils qui n’avait pas encore deux ans à mon arrestation. Cette séparation brusque a été difficile. Il est venu en visite une fois pendant ma détention. Il a refusé que je le porte, comme il commençait à oublier mon visage. À ma sortie, il ne me reconnaissait plus et j’ai dû le laisser avec son père.
J’ai été marquée par les conditions de détention de toutes les femmes, au-delà de nous, détenues politiques, surtout celles des femmes enceintes et allaitantes. Des bébés apprennent à ramper, à s’asseoir, à marcher en détention. Imaginez seulement la vie des femmes avec des enfants là-bas ? La plupart des mamans détenues sont juste sous mandat de dépôt. Pour combien de temps ? Elles sont en prison et attendent leur jugement. Les longues détentions préventives pour les mamans et les femmes enceintes est un point qui me tient à cœur. Il serait préférable de leur mettre un bracelet électronique pour leur éviter la détention. »
Fatou Kiné Diagne
L’activiste Fatou Kiné Diagne, arrêtée le 2 juin 2023 après avoir publié un tweet, a été détenue pendant quatre mois. Depuis qu’elle a quitté le camp pénal de Liberté 6, Fatou est souvent sujette à des évanouissements, alors qu’elle était en bonne santé au moment de son arrestation
Fatou Kiné Diagne a été détenue pendant quatre mois après avoir publié un tweet
« À 18h, dès que je suis entrée dans le bureau de l’adjudant au commissariat, il m’a jetée au sol et a commencé à me frapper. Il disait que je connaissais des manifestants et je lui répondais que non mais il continuait à me frapper. Un autre est entré dans le bureau et a aussi commencé à me frapper. J’avais les menottes donc je ne pouvais pas me protéger des coups. J’ai été battue jusqu’à 5 ou 6h du matin. Je suis restée 48h sans manger ni boire. Ils ne m’ont pas donné à manger et n’ont pas accepté que ma famille me ramène à manger. J’ai été touchée par tous leurs propos injurieux. Ma mère ne vit plus, et ils l’ont insultée. Quand ils m’ont ramenée dans ma cellule, j’ai entendu l’appel à la prière et j’ai pleuré. Je faisais des allers et retours entre la cellule et le bureau de l’adjudant. Et à chaque fois, j’ai été humiliée par des insultes et des violences physiques. Je voulais juste quitter le commissariat, donc j’ai signé le procès-verbal. Je dois forcément avoir des séquelles car quand ils te frappent, ils font en sorte que ça te blesse. »
Binta Gueye
L’activiste Binta Gueye a été arrêtée après avoir publié deux messages sur Facebook concernant le report de l’élection présidentielle de 2024. Arrêtée le 14 février 2024, elle a été détenue pendant 14 jours au camp pénal de Liberté 6 à Dakar.
Binta Gueye a été détenue pendant 14 jours après avoir publié deux posts sur Facebook
« À mon arrivée à la prison, les gardes m’ont fait une fouille corporelle. J’avais mes menstrues mais j’ai été obligée d’enlever ma culotte. La pièce était remplie de femmes couchées par terre. Quand tu es couchée près des toilettes, tu ne peux pas mettre ton matelas parce que celles qui sortent des toilettes marchent dessus avec les pieds mouillés et ton matelas est trempé et sale. Pendant une semaine, les gardes m’ont désignée pour la corvée de balayage, alors que je suis arrivée là-bas avec une blessure au pied. Les gardes nous traitaient comme des déchets. Elles ne considèrent pas les détenues comme des êtres humains. Et les cheffes de chambre criaient sur les détenues, les insultaient… Ceux qui sont dehors entendent qu’il y a des activités pour faciliter la réinsertion des détenues, mais il n’y a rien du tout. Cela m’a fait mal de voir ces injustices. Il y a des mandats de dépôts qui durent des années. Il y a une femme déficiente mentale qui a fait 6 ans là-bas sans être jugée. C’est comme s’ils oubliaient leurs dossiers. À ma sortie, j’ai ressenti le besoin de me battre pour les femmes incarcérées. »
Hannibal Djim
Activiste connu pour ses campagnes de collecte de fonds, Hannibal Djim a été arrêté le 8 février 2023, détenu pendant un an à la prison de Rebeuss à Dakar, puis libéré sans jugement. Pendant sa détention, il a fait deux grèves de la faim pour protester contre sa détention et les conditions de vie des détenus. Il souffre aujourd’hui de nombreuses séquelles, notamment des troubles de la mémoire et de la digestion.
Hannibal Djim a été détenu pendant un an à la prison de Rebeuss à Dakar
« C’est une détention qui ne respecte pas les droits humains. On était 218 personnes dans une pièce de 70m². La nuit, pour se coucher, un détenu s’allongeait par terre, et un autre se mettait à côté de lui, tête-bêche, pour qu’ils soient serrés au maximum, et ainsi de suite avec d’autres détenus pour former une ligne, et une fois que la ligne des détenus couchés au sol est assez longue, il y a des gaillards qui viennent pousser pour les tasser encore plus les uns contre les autres. Mais il y a eu une période où, au lieu de se coucher, les détenus restaient assis toute la nuit. En 6 mois, personne ne m’a dit ce que j’avais fait. J’avais fait six demandes de liberté provisoire, toutes rejetées. Donc j’ai commencé une grève de la faim qui a duré 33 jours. J’ai eu une hypoglycémie sévère, on m’a emmené dans un service de réanimation. J’ai perdu tellement de souvenirs. À ma sortie, j’avais l’impression d’être un étranger. J’ai tout perdu, mon travail, et mes économies parce que la vie en prison coûte très cher. C’est comme si je devais recommencer ma vie à zéro. »
Pape Fara Ndiaye
Pape Fara Ndiaye a été arrêté le 30 mars 2023 pour avoir participé à une manifestation non autorisée. Il a été jugé et acquitté après avoir passé sept mois à la prison de Rebeuss puis à la prison du Cap Manuel à Dakar.
Pape Fara Ndiaye a passé sept mois en détention
« Les conditions de détention sont très inhumaines, je ne dirais pas seulement pour les détenus politiques, mais pour l’ensemble des détenus. Il y a l’insalubrité, des problèmes avec l’alimentation et la surpopulation carcérale. Les premières nuits, je suis resté debout de 22h à 6h du matin. Les conditions de préparation et de conservation des aliments ne sont pas bonnes. Vous accédez à la cour en alternance, à cause de la surpopulation carcérale. Les détenus tiennent beaucoup à sortir dans la cour. L’accès aux soins est très difficile, Il faut être dans une situation très critique pour que les gardes t’emmènent à l’infirmerie. J’y suis allé deux fois mais c’est seulement du paracétamol qu’on vous donne. L’accès aux soins et la prise en charge médicale devraient être revus par l’administration pénitentiaire. »