L'APR PEUT-ELLE ENCORE REBONDIR ?
Démissions en cascade, accusations de détournements et avenir sombre. L'ex-parti au pouvoir semble s'enfoncer inexorablement depuis sa défaite à la présidentielle
Depuis la défaite de son candidat à la présidentielle au mois de mars dernier, synonyme de basculement dans l’opposition, l’ancien parti aux pouvoir, l’APR (Alliance Pour la République) s’enfonce de plus en plus en eaux troubles. Comme d’ailleurs c’est le cas au Sénégal pour tout parti politique qui perd le pouvoir. Mais, pour ce cas précis, le rythme emprunté par le chrono tourne plus vite...
Après la formation d’un nouveau gouvernement qui a vu la totalité de l’ancienne équipe dirigée par le Premier ministre Sidiki Kaba remerciée, c’était au tour des directeurs généraux et présidents de conseils d’administration des sociétés nationales de faire leurs valises. Un coup de balai du président Bassirou Diomaye Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko jugé trop lent pour se débarrasser complètement des pontes de l’ancien régime et de leurs souteneurs lourdement sanctionnés par l’écrasante majorité des populations. C’est peut-être la raison pour laquelle, la semaine dernière, la cadence pour la «démackysation» a été accélérée et a permis de promouvoir plus de quatre-vingt personnes aux postes de DG et de PCA en attendant d’autres bien sûr. D’ailleurs, dans sa parution du lundi dernier, le quotidien, notre confrère « L’Enquête » a informé qu’un grand chamboulement dans les postes d’ambassadeurs et de consulats est imminent. Face à cette situation, la machine de l’APR qui se trouve grippée pour dire le moins. Il s’y ajoute la série de démissions de grosses pointures de l’ancien parti au pouvoir dont les anciens ministres comme Doudou Ka, Cheikhou Oumar Hann, Abdou Latif Coulibaly et aussi, dit-on, de Amadou Ba qui était le candidat de la coalition Benno Bokk Yakaar même si son départ n’est pas encore officiel. En tout cas, tous ces ministres démissionnaires disent vouloir aller le soutenir. Mais il y a surtout la démission d’Aliou Sall, le propre frère utérin de l’ancien président de la République, qui était par ailleurs le tout-puissant maire de Guédiawaye et de l’Association des maires du Sénégal. Ainsi, l’APR souffre des deux maladies les plus redoutées pour un parti politique à savoir la perte du pouvoir qui assèche souvent ses sources de financement mais également le départ de ses cadres qui va réduire en même temps son électorat. Si on y greffe les attaques de tous bords dont il fait l’objet suite aux rapports d’audit épinglant plusieurs hauts responsables du parti, la décision des nouvelles autorités de mettre fin au «tong tong» sur le foncier, source d’enrichissement de beaucoup de responsables de l’ancien régime, et les accusations de détournements dans certaines sociétés nationales, il y a de quoi émettre des doutes quant à l’avenir de l’APR.
Plus grave, ces accusations n’épargnent pas le patron de l’Apr, en l’occurrence l’ancien président de la République Macky Sall. En effet, lors de son récent entretien avec la presse, le président Bassirou Diomaye Faye avait révélé avoir trouvé la caisse des fonds politiques complètement vide. Ce qui, sans qu’il soit cité nommément, fait penser que son prédécesseur serait parti avec l’argent pourtant voté par l’Assemblée nationale et mis à la disposition de tout chef de l’État pour ses dépenses secrètes.
Quand la majorité détruit l’APR, son chef en premier.
Après cet entretien avec la presse du chef de l’État tirant le bilan de ses 100 jours à la magistrature suprême, le duo Diomaye/Sonko n’avait pas échappé aux attaques foudroyantes de l’opposition notamment de l’ancien parti au pouvoir qu’est l’APR. Au cours d’une conférence de presse de riposte, le chef du groupe Benno Bokk Yaakar (BBY) à l’Assemblée nationale, Abdou Mbow, et le porte-parole de l’Apr, Seydou Gueye, ont tiré à boulets rouges sur le nouveau régime qu’ils ont qualifié d’incompétent. Une chose est sûre : depuis quelques jours, les rares défenseurs de l’ancien Président se font entendre de moins en moins. Ont-ils reçu l’ordre de se taire ? Sont-ils dans des calculs de com pour trouver les moyens — et le moment —de mieux rebondir ? Nous donnons notre langue au chat !
L’APR a-t-elle dilué son vin ?
Si le blocage pour la DPG (Déclaration de politique générale) du Premier ministre devant le Parlement est en passe d’être levé avec notamment l’apport de correctifs au règlement intérieur de l’Assemblée nationale, n’empêche, il est permis de s’interroger sur les raisons qui ont permis de trouver un compromis. En tout cas, l’actuelle majorité à l’hémicycle, qui n’entendait pas corriger le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, a selon toute vraisemblance mis de l’eau dans son vin face aux menaces du PM de faire sa DPG devant un jury populaire. Bémol également dans les menaces de l’actuelle majorité parlementaire de faire voter une loi pour abroger les dispositions permettant au président de la République de dissoudre l’institution parlementaire deux ans après son installation. Si, sur ces points, à savoir la modification du règlement intérieur et l’ « émasculation » du Président pour qu’il ne puisse pas dissoudre l’Assemblée — un compromis a été trouvé entre les deux camps, cela peut être le résultat de tractations « diplomatiques » menées au plus haut niveau pour arrondir les angles. Dans ce cas, il ne faut pas écarter l’intervention de Macky Sall, président de l’APR, depuis l’étranger où il se trouve depuis qu’il a transmis le pouvoir à son successeur, avec les nouvelles autorités. Et suivant ce raisonnement, il est aussi permis de penser que des assurances ont été données quant à la renonciation par les députés de Benno à une éventuelle motion de censure pour faire tomber l’actuel gouvernement. Ce qui n’empêche pas la possibilité pour le président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale à partir du mois de septembre. Une dissolution qui s’impose dès lors que l’actuel régime a besoin de faire passer ses réformes pour répondre aux nombreuses attentes des populations. En outre, il y a l’urgence d’envoyer des hommes et des femmes de la coalition « Diomaye Président » à l’Assemblée nationale pour mieux contrôler la deuxième institution du pays et, en même temps, satisfaire une clientèle politique.
Dans un autre registre, la réalisation de certaines promesses électorales devenues à la limite des demandes sociales ne sera pas possible tant que l’actuelle Président ne disposera pas de la majorité au parlement. Il s’agit de la dissolution des institutions jugées budgétivores comme le Conseil économique, social et environnemental, le Haut conseil des collectivitésterritoriales, la Commission pour le dialogue desterritoires. Bien entendu, la nouvelle opposition ne compte pasfaciliter la tâche aux nouvelles autorités. C’est la raison pour laquelle elle s’agite comme elle peut pour se faire entendre. Toujours est-il que le dernier mot reviendra au peuple qui choisira la couleur qu’il compte donner à la prochaine Assemblée nationale. Va-t-il poursuivre dans sa logique de rupture en accordant la majorité à la coalition Diomaye Président après l’avoir portée au pouvoir en mars dernier ? Va-t-il au contraire pousser dans le sens d’une cohabitation en donnant une majorité de députés à la nouvelle opposition ? Les prochains jours voire mois nous édifieront.