UN NOUVEAU BIDONVILLE VOIT LE JOUR DANS LA ZONE DE L’«ANCIENNE PISTE»
Composé d'une quarantaine de cabanes de fortune, ce campement de fortune abrite déjà une cinquantaine de personnes venues chercher un havre de paix
Pour donner un visage reluisant à la capitale, plusieurs opérations de déguerpissement ont été menées à Dakar. Le quartier de l’ « ancienne piste » de l’Aéroport, la « cité imbécile » et Khandar 2 ont fait les frais des bulldozers. Cependant, un autre bidonville est en train de voir le jour dans le quartier réputé « chic » des Almadies, une installation qui inquiète les riverains.
Sur les nouveaux lotissements de l’ « ancienne piste » de l’aéroport Léopold Sédar Senghor, les chantiers poussent comme champignons après la pluie. Les coups de marteaux et le bourdonnement des camions de sable s’entendent de loin. Dans cette vaste zone à moitié urbanisée, un petit bidonville en gestation frappe l’œil à première vue. Composé d’une quarantaine de petites cahutes faites de carton, de bois et de toile imperméable, on croirait voir un campement en plein désert sahélien. Niché dans un terrain vague, l’endroit abrite une cinquantaine de personnes pour le moment.
Abdoul Aziz est surpris en train de laver quelques habits. Tout droit venu du Niger, il a fui la sécheresse, les djihadistes et l’absence de perspectives dans son pays. Épaules larges et visage parsemé de scarifications, l’homme exerce comme maçon dans un chantier non loin de là. La cherté du loyer à Dakar l’a poussé à aménager un petit baraquement dans ces lieux. « Ici, je le considère comme ma maison. Quand je suis venu au Sénégal, je n’ai pas trouvé un endroit où habiter encore moins de l’argent pour payer le loyer. C’est pourquoi je suis ici avec ma famille », confie t-il dans un français débrouillard. Abdoul Aziz explique que l’afflux de plusieurs familles indigentes dans ce bidonville est motivé par « des questions financières ». Les coûts du loyer sont très élevés à Dakar. Les familles n’ayant pas les moyens de se procurer un logement sont obligées de venir dans cet endroit malgré les conditions de vie difficiles, dit-il. Selon lui, les occupants ont campé dans ce lieu inhospitalier en espérant trouver de meilleures conditions à l’avenir.
Des conditions de vie difficiles
Même constat chez Ali Abdoulaye, recroquevillé sous une nappe. La trentenaire acquiesce : « Le loyer à Dakar est hors de portée pour nous. Nous travaillons comme manœuvres dans les chantiers aux alentours. Donc, habiter à côté paraît être idéal pour éviter les retards ». Pour ce jeune homme arrivé à Dakar il y a quelques mois, la vie dans ce quartier est « un peu dure ». « Il n’y a pas d’électricité ni d’équipements nécessaires pour garantir un niveau de vie décent. Durant la saison des pluies, les vents... Il faut être très résilient pour vivre ici », renchérit-il d’un ton désolé. Dans ce décor de misère crasse, les squatteurs déambulent au milieu des détritus pour vaquer à leurs occupations quotidiennes. Parmi eux, se trouve Abdarahmane vêtu d’un tee-shirt gris et d’un jean aux couleurs délavées. L’odeur incommodante de la poussière soufflée par le vent, en cette fin de matinée du 20 juillet, ne semble point l’importuner. Suant dans ses habits, ce natif du Niger dit vivre dans ce quartier flottant depuis quelques semaines. Bossu et de petite taille, il conte les difficultés des habitants d’Almadies « Piste ba », comme le surnomment les riverains. « Nous n’avons pas le choix. Nous peinons à joindre les deux bouts. Nous rencontrons énormément de difficultés au quotidien. Le quartier est trop enclavé. Il n’y a même pas d’eau courante. Nous sommes obligés de quémander dans les chantiers environnants pour avoir de l’eau », renseigne-t-il dans des propos regorgeant de mots en langue Haoussa. Selon lui, la surpopulation est à l’origine de la dégradation des conditions d’hygiène dans ce taudis flottant.
Des riverains inquiets
À un pas de là, de petits tas de pierres concassées s’étendent à perte de vue. Des calèches et des camions-bennes s’y succèdent pour déverser des gravats. Quelques ferrailleurs en haillons, pioches à la main et sacs en bandoulière, se précipitent sur les gravats pour dénicher des morceaux de métal, malgré la poussière suffocante. En face de ce capharnaüm, des dizaines de maisons nouvellement construites ont vu le jour. Le contraste est saisissant. Les riverains dénoncent l’installation de ce quartier spontané. Pour Abdou Diouf, l’absence d’un réseau d’assainissement adéquat dans le bidonville peut causer des problèmes sanitaires. « C’est déplorable ! Comment des gens venus de nulle part peuvent-ils venir s’installer sur le foncier d’autrui sans autorisation ? », questionne-t-il après de multiples plaintes. « L’absence d’assainissement peut favoriser le développement de gîtes larvaires et la prolifération d’autres microbes nuisibles. Sans toilettes, les squatteurs sont obligés de faire leurs besoins à l’air libre », désapprouve le riverain, qui dit « être témoin de la lente mais inexorable dégradation du cadre de vie dans le quartier ». À en croire cet homme d’une quarantaine d’années, ce quartier d’immigrants venus d’ailleurs crée le désordre et l’anarchie. « Ils commencent à durer ici. Au début, c’était une seule personne qui avait édifié un campement. Par la suite, les autres ont commencé à affluer. Si rien n’est fait, ce petit quartier va continuer de s’étendre », s’alarme-t-il.
Amadou Diouf, 40 ans, ne prend pas le contrepied de la tirade d’Abdou. Au contraire, il complète même le tableau de désolation peint par son voisin de quartier. Sac à la main, l’homme regarde avec désolation la quarantaine de tentes de fortune qui commencent à ternir la bonne réputation du quartier. Selon lui, « les lieux peuvent être pris d’assaut par les malfrats après avoir réalisé leurs entreprises funestes ». Ilse dit convaincu que c’est la sécurité du quartier qui est en jeu avec l’affluence des squatteurs dans le bidonville. « Ce n’est pas du tout sûr. Ils se baladent à n’importe quelle heure. Nous ne savons pas ce qu’ils font dans les tentes. En tout cas, ils perturbent notre quiétude », éructe avec agacement Awa Diagne, une locataire d’un immeuble situé en face des habitations spontanées. Elle est « très consternée » parle panorama de « désolation » et de « désordre » qui commence à prendre forme sous ses yeux. « Il faut que les autorités trouvent une solution à ce problème avant qu’il ne soit trop tard », conclut-elle. Le Sénégal s’est fixé pour objectif « zéro bidonville » à l’horizon 2035. La balle est dans le camp des autorités.