MULTIPLE PHOTOSLALANE, CAPITALE DE LA VANNERIE
Lalane, dans la région de Thiès, est un village qui peut se targuer d’être un berceau de la vannerie au Sénégal. Une activité essentiellement pratiquée par des femmes et centrée sur le rônier, arbre aux multiples usages et vertus.
LE RONIER, L’ARBRE AUX MULTIPLES «FRUITS»
Lalane, dans la région de Thiès, est un village qui peut se targuer d’être un berceau de la vannerie au Sénégal. Une activité essentiellement pratiquée par des femmes et centrée sur le rônier, arbre aux multiples usages et vertus. Mais cet arbre est aussi menacé par l’homme, d’où la nécessité de le protéger.
On arrive à Lalane par la RN2 en direction de Tivaouane, cité religieuse de la région de Thiès. Le long de la route, au premier abord, on est frappé par un alignement de rôniers, ces majestueux palmiers aux feuilles longues en éventail. On se croirait dans une forêt. Cet arbre (Borassus aethiopum) joue un grand rôle dans l’économie locale, selon les habitants. Le rônier, avec sa fibre, fournit la matière première pour la vannerie. Une activité artisanale dont les femmes sont, ici, les championnes. «Je suis la première femme à m’implanter sur cet axe pour démarrer un petit commerce, notamment de paniers en fibre de rônier», affirme Rose Wade, une sexagénaire rencontrée parmi les femmes artisans exposant leurs créations au bord de la route. Des paniers de divers motifs, des chapeaux, des nattes, des meubles, des éventails, entre autres accessoires aux motifs qui ravissent les yeux des passants et des voyageurs, attirés par la richesse de l’artisanat local. Hospitalité en bandoulière, Mme Wade invite à prendre place à ses côtés, proposant un tabouret de confection manuelle. Elle semble être la doyenne des femmes des lieux, ayant entre 25 et 60 ans. Et même, selon le respect et la déférence qu’elles lui témoignent, leur porte-parole non officielle.
Un travail des hommes «confisqué» par les femmes
C’est vers elle que renvoient souvent nos interlocutrices. «À l’époque, il n’y avait que les hommes qui menaient cette activité. Ils allaient écouler leurs produits dans les grandes villes comme Thiès, la capitale régionale à moins d’une demi-heure de trajet de là, ou au niveau des marchés hebdomadaires. Au fil des années, pour s’adonner uniquement aux activités agricoles, les hommes ont fini par céder la place aux dames qui commençaient petit à petit à s’y intéresser. Aujourd’hui, ce lieu de commerce sur cet axe sert de ‘’grand-place’’ aux hommes», poursuit Rose Wade. La hutte sert de lieu de stockage à plusieurs objets artisanaux fabriqués à base de rôniers, explique le patriarche, sans dévoiler son identité. S’y entassent, en désordre, des éponges exfoliantes naturelles locales (Ndiampé en wolof), des «vans» ou «layus», sorte de plateaux en fibres ou feuilles de rôniers tressées, mais aussi des bancs, des tabourets. Lui fait partie des hommes qui demeurent dans la vannerie, son âge avancé ne lui permettant plus de tenir lors des travaux champêtres, confie-t-il avant d’abréger la conversation
DIVERSITE DES PRODUITS EXPORTATIONS ET TOURISME
Au fil des ans, les choses se sont améliorées pour les vannières qui, à l’œuvre, manient avec dextérité leur matière première. Une amélioration grâce à la qualité de leur travail, à la diversité des produits proposés et à l’intérêt croissant des clients, qui ne se limitaient désormais plus aux seuls riverains et usagers de la route. Les vannières ont réussi à avoir des acheteurs hors de la région, et aussi hors du pays, avec des touristes et au sein de la diaspora, d’après Rose Wade et d’autres vannières moins extraverties préférant rester anonymes. Elles ne s’étalent pas sur leurs gains. Les prix pratiqués semblent abordables et dépendent des articles. 2500 FCFA pour un panier, 1500 FCFA un layu, les balais entre 700 et 1000 FCFA et les meubles de 4 chaises avec une table jusqu’à 35000 FCFA. «Entre Tivaouane et Thiès, les femmes de Lalane trouvaient leur compte dans la vannerie. À l’extérieur aussi, le commerce marchait à merveille», assure encore la vendeuse sexagénaire. Elle se rappelle avec bonheur «un client émigré, Ndongo Mbaye. Il venait récupérer toute la marchandise sur place. On gagnait beaucoup d’argent et on recevait même des touristes».
VANNERIE ET SCOLARISATION LA REVANCHE DE ROSE WADE SUR L’ECOLE
Ces rentrées d’argent ont permis à Rose Wade de payer la scolarité de ses enfants, régulièrement inscrits dans des écoles privées très courues, notamment à Thiès. Une grande source de joie pour elle qui n’a pu fréquenter l’école française. Une décision de ses parents qu’elle regrette encore. «Lalane a très tôt abrité un établissement scolaire. Mais, de mon temps, l’école n’était pas (considérée comme) l’affaire des femmes. Nos parents n’ont pas eu raison à ce sujet», a-t-elle dit. Au Sénégal, l’enseignement est gratuit dans les écoles publiques pour les enfants âgés de 6 à 16 ans, mais les parents doivent payer des frais de fourniture, de matériel ou de transport. Ces coûts demeurent élevés pour certaines familles démunies, qui renoncent à scolariser leurs enfants, d’après une étude du Centre africain de recherche sur la population et la santé (The African population and health research center, Aphrc). «Nous avons également constaté une préférence pour l’éducation des garçons par rapport à celle des filles. Dans les ménages aux moyens financiers limités, les garçons sont plus souvent envoyés à l’école, au détriment des filles», a indiqué Benta A. Abuya, un des auteurs de cette étude publiée en avril 2023 par le magazine The Conversation. Rose Wade a donc de quoi être fière, ayant vu ses enfants aller à l’école, boucler leurs études et devenir salariés.
SOURCES DE REVENUS POUR LES FEMMES DE LALANE LA BELLE HISTOIRE DES ANNEES 70
Aujourd’hui, certains parlent d’industrie de vannerie à Lalane, village peuplé en majorité de Sérères Noon. Mais quand Rose Wade se lançait dans cette activité, dans les années 1970, celleci était loin d’être florissante, indique la commerçante. «Je peux vous assurer que c’était difficile au début, mais je me battais pour m’en sortir. Deux de mes frères, Paul et Thathi Wade, me cédaient une partie de leurs marchandises qu’ils écoulaient à Thiès habituellement, que moi je revendais à Lalane», se souvient-elle. Ces marchandises incluaient du kinkéliba (Combretum micranthum), une plante de la savane à laquelle on prête de nombreuses vertus, et qui est prisée notamment pour l’infusion de ses feuilles. Mais aussi, déjà, «du bois de rônier et des paniers» confectionnés dans des feuilles et fibres du même arbre. «Je vendais le kinkéliba par tas de 50 ou 100 francs CFA (FCFA). Les paniers que j’achetais à 300 FCFA, je les revendais à 500 FCFA. Ces bénéfices semblent dérisoires, de nos jours, avec le coût élevé de la vie mais, à l’époque, ils étaient substantiels. C’était beaucoup d’argent pour nous !» Et même une somme folle pour quelqu’un comme elle : «Il fut un temps, pendant trois ans de mariage, je n’ai pas eu 500 FCFA d’économie. Avec les bénéfices journaliers, je parvenais à acheter jusqu’à un à deux kilos de riz, des légumes et du poisson pour nourrir la famille mais aussi des pagnes pour préparer la messe du dimanche», ajoute Rose Wade, de confession chrétienne comme une grande partie des habitants de Lalane.
HERITAGE DE LA VANNERIE DE MERE EN FILLE
Les difficultés actuelles n’effraient pas Rita Wade, fille de vannière devenue vannière. Elle a rejoint ses devancières en 2011 après avoir arrêté ses études. Et aujourd’hui, cette jeune femme de 26 ans, également mère de famille, assure qu’elle ne le regrette pas. «Je peux dire que je viens de commencer ce commerce. (…) Ma maman le faisait pour nous nourrir. Je le fais aussi pour prendre soin de mes enfants», déclare-t-elle. Avant d’ajouter : «Je me bats tous les jours aux côtés de ces braves dames de Lalane qui sont mes doyennes. Tant que je suis en bonne santé, je continuerai à me battre pour ne dépendre de personne. Dieu m’a donné la force de travailler. Je ne suis pas près d’abandonner (cette activité), parce que je m’en sors tant bien que mal. (…) Je m’identifie à ce travail».
ENVIRONNEMENT LE RONIER, UN ARBRE «UTILE DEPUIS LES FEUILLES JUSQU’AUX RACINES»
La région de Thiès comporte une grande variété d’arbres, notamment le caïlcédrats (Khaya senegalensis), le baobab (Adansonia digitata), le manguier (Mangifera indica), le dattier du désert (sump ou Balanites aegyptiaca) en plus du margousier et du rônier, l’espèce vedette pour les vanniers et vannières. Pour Rose Wade, la doyenne des vannières, le rônier est «un arbre de grâces», et «utile depuis les feuilles jusqu’aux racines». Divers documents spécialisés pour les besoins de cet article le confirment. Tout sert, dans le rônier, au Sénégal comme sous d’autres cieux, comme on peut le lire dans des archives de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (Fao), du Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée ou encore du Centre technique de coopération agricole et rurale (Cta), une institution conjointe du Groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, (Acp). «Il n’y a rien à jeter dans le rônier puisqu’on peut utiliser son bois pour les charpentes et les palissades, les feuilles pour les toits et les paniers, l’écorce à des fins médicinales et les fruits pour la consommation par les hommes et les animaux», a résumé le Cta dans un programme consacré en 2007 à cet arbre, qu’il a surnommé «Sentinelle de la savane». Au Niger par exemple, d’après la Fao, son fruit se consomme comme de la noix de coco, le jus servant dans la fabrication de bouillies et de galettes et la noix étant utilisée comme amuse-gueule. Une partie de sa tige (l’hypocotyle) est consommée comme des tubercules. Ses fleurs mâles ont «un rôle naturel de pollinisation» et sont utilisées pour «l’embouche et la fertilisation des champs», tandis que ses racines, ses feuilles et ses pétioles (les parties qui relient les feuilles aux tiges) servent dans la fabrication de nasses pour la pêche et de meubles. Au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire, d’après des archives de chercheurs, l’arbre est exploité pour sa sève (vin de palme), ses fruits et ses feuilles, qui servent à fabriquer des vans, paniers, sacs, chaises, lits, lattes, nattes, toiture, entre autres objets.
TONTINE, EPARGNE, TRANSFORMATION DE PRODUITS… LES VANNIERES S’ORGANISENT POUR LA GESTION DE LEURS REVENUS
Une autre doyenne parmi les vannières, qui préfère taire son nom, confirme ce que dit Rose Wade. La vannerie a beaucoup rapporté à Lalane, surtout aux femmes, qui en ont tiré de bons revenus. «Il nous arrivait même de passer des commandes de certains objets dans les villages environnants, comme des calebasses ou autres objets traditionnels tissés par des artisans de Pire ou de Ngaye Mekhé», une commune dans la zone devenue célèbre grâce à l’artisanat, surtout des produits de maroquinerie. «Les temps sont durs et l’argent ne circule plus. Aujourd’hui, on peine à écouler la marchandise», se désole cette vannière sans entrer dans des détails. «C’est difficile. Mais on rend grâce à Dieu et on n’attend rien du gouvernement, même s’il est censé nous accompagner dans nos activités», intervient Rose Wade. «Sans rien attendre des autorités», les vannières se sont regroupées, elles ont diversifié leurs activités, se sont organisées pour s’entraider pour leurs dépenses de santé et se sont cotisées pour avoir de l’épargne à tour de rôle dans le cadre d’une tontine. «Nous sommes environ 120 femmes rassemblées dans cette démarche», explique encore Rose Wade, évoquant le soutien du Groupe de recherches et d’appui aux initiatives féminines (Gref), «une association de solidarité internationale». «Le Gref nous accompagne dans la transformation des produits locaux : sur la savonnerie à partir du margousier (arbre appelé localement neem, Azadirachta indica, NDLR), la tomate concentrée, l’eau de Javel et beaucoup d’autres formations dont nous avons bénéficié. On a aussi une tontine qui nous permet d’épargner et d’avoir des prêts en cas de besoin. Et aussi, une mutuelle de santé qui allège nos dépenses sanitaires. Tous nos enfants y sont inscrits. Les temps sont durs, mais on ne se plaint pas», a-t-elle dit.
ALIOU THIAW, UN DES RARES HOMMES ENCORE DANS LA VANNERIE «LE RONIER EST LA SEVE NOURRICIERE DE L’ARTISANAT DANS CES ZONES»
Aliou Thiaw fait partie des hommes encore actifs dans la vannerie dans la zone et il est l’un des initiateurs d’un «Forum sur le rônier au service de l’artisanat» dans la région. La première édition de cet événement s’est tenue en juillet 2023 à Ndiobène, dans la commune de Fandène. Cet artisan se dit fier de pratiquer un savoir-faire hérité de ses aînés. «Le rônier est la sève nourricière de l’artisanat dans ces zones», soutient-il devant sa galerie, occupé à préparer une nouvelle édition de son forum qu’il veut annuel. Son constat : les femmes sont au cœur de la commercialisation de la vannerie dans la commune de Fandène. «Elles sont en train de s’émanciper. Elles sont bien organisées dans leurs localités respectives et elles ont renforcé leur savoir-faire. Elles sont même capables de confectionner les outils primaires qu’elles utilisent dans leurs foyers. C’est une très bonne avancée», se réjouit M. Thiaw. Cette avancée pourrait demeurer longtemps profitable, croient certains, en évitant notamment un écueil : la surexploitation de l’arbre. Sans compter les autres menaces auxquels sont exposés d’autres secteurs ou régions du pays, la coupe abusive d’arbres, la pollution des eaux ou encore les effets du changement climatique.