LA LAÏCITÉ À LA SÉNÉGALAISE, UN IMPÉRATIF VITAL
La question du voile à l’école se pose non point en se couvrant la tête mais en promotion du vivre-ensemble. Si derrière tout ce tintamarre s’exprimait un désir d’émancipation vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale, elle est d’une paresse confortable
Alors même qu’il s’entretenait la veille avec les lauréats du Concours général qu’il avait conviés à une réception, le Premier ministre Ousmane Sonko avait « immédiatement arrêté le discours qu’il faisait sur la laïcité et la religion au Sénégal », lorsque l’appel du muezzin pour la prière du crépuscule a retenti aux alentours, rapporte « Le Témoin » de mercredi dernier. Selon toujours le journal, « à la fin de l’appel de la prière », le Premier ministre « a eu droit à un tonnerre d’applaudissements » de la part de nos futures élites. « Et si des cloches avaient retenti d’une église voisine » s’interroge le Témoin ? Bien que la question posée soit pertinente, il n’en demeure pas moins que Barthélémy Dias avait adopté la même attitude lors d’une réunion politique. Lui aussi, avait été ovationné. C’est dire ! Il ne reste donc plus qu’à souhaiter qu’en cas d’urgence dans leurs futurs domaines de compétences, cette promotion de cracks n’ait pas un cas de conscience entre l’appel à la prière d’un muezzin ou celui du bedeau qui sonne les cloches de l’Eglise. Gageons plutôt qu’en bons apprenants, ils s’inscrivent dans une logique de vénération du travail en faisant leur cette sentence de Cheikh Ahmadou Bamba, à savoir : « Travaille comme si tu ne devais jamais mourir, et prie comme si tu devais mourir demain ».
Il est surtout à se désoler que cette séquence quelque peu déroutante a eu lieu dans un contexte qui s’est voulu vindicatif, prévenant de sa volonté de ne pas cautionner que le port du voile puisse ne pas être accepté dans une quelconque institution scolaire. Une prise de position affichée dans un brutalisme qui vient s’agréger à tous ces bruits et fureurs qui polluent les sujets religieux et qu’il convient de contenir au plus vite avant qu’ils ne développent des antagonismes inappropriés.
Musulmans, chrétiens, animistes, athées entretiennent pourtant de bonnes relations tout en laissant à l’Autorité Suprême le soin de reconnaître les Siens. Cela se manifeste quotidiennement dans la mixité de nos familles mais aussi lors de différentes fêtes religieuses symbolisées notamment par la distribution de la viande de mouton aux voisins catholiques lors de la fête de Tabaski , ou alors celle de la distribution de « ngalax » par la communauté catholique aux frères et sœurs musulmans.
Dans ce pays, faut-il le rappeler, un fervent catholique a été porté à la magistrature suprême contre Lamine Guèye, un adversaire politique de confession musulmane. La Grande mosquée de Dakar a été inaugurée en 1964 en présence du président Léopold Sédar Senghor, sa majesté le Roi Assane II du Maroc et El Hadj Abdoul Aziz Sy Dabakh. Le chef de l’Etat assistait lui-même à la prière de l’Aïd par une présence remarquée à la mosquée. On a eu dans une même famille recomposée un archevêque catholique et un imam. Qui ne souvient par ailleurs de ce qu’il s’est passé en 2006 lors de la profanation de la Cathédrale en plein Vendredi Saint par des policiers qui cherchaient à interpeller Jean Paul Dias ? A la Cathédrale on se rappelle encore avec une vive émotion de la présence des dignitaires musulmans venus massivement en soutien contre cette ignominie. Lorsque en 2012, la Zawiya d’El Hadj Malick Sy de Dakar a été l’objet à son tour de profanation avec des tirs de grenades lacrymogènes sur des manifestants du M23 protestant contre un 3e mandat de Abdoulaye Wade, on a assisté à ce même mouvement de solidarité avec la présence remarquée des dignitaires catholiques. C’était un des grands moments de communion et d’unité nationale dont le Sénégal a le secret.
Promouvoir le vivre-ensemble
Quel intérêt y a-t-il donc à exacerber des tensions inutiles, si l’on sait que la question du voile à l’école se pose autrement. Non point en se couvrant la tête mais en promotion du vivre ensemble. Dans les règlements intérieurs de l’enseignement catholique, il est en effet question de ne pas accepter le refus de serrer la main d’un camarade de sexe opposé, de partager un même table-blanc avec un camarade de sexe opposé. Qui peut défendre que dans une institution privée, de surcroit religieuse, une personne de confession différente puisse s’y inscrire en toute connaissance de cause et exiger au nom de sa religion de ne pas serrer la main de garçon, de ne pas se mettre en short pour la gymnastique. C’est assurément fort de café d’autant plus que rien ne s’oppose à ce qu’elle s’inscrive dans une institution privée en accord avec ses attentes.
Alors qu’il est question d’un état des lieux sur la situation du pays, il importe de rappeler qu’il est attendu du président de la République et de son gouvernement de veiller à trouver des solutions aux problèmes que traversent les populations. Ces derniers poussent notamment nombre de jeunes à continuer de risquer leurs vies en s’embarquant pour l’Europe tant décriée, à la recherche d’un avenir dont ils se sentent exclus chez eux. La semaine dernière un internaute vivant aux Etats-Unis a informé ses followers que 40 000 Sénégalais avaient foulé le sol américain via le Nicaragua. Pendant ce temps, dans la nuit du vendredi 2 au samedi 3 août, cinq enfants talibés sont morts calcinés dans un violent incendie, dans un village rattaché à la commune de Tivaouane. Ce sinistre a réveillé le souvenir funeste d’il y a 11 ans , où par une nuit du dimanche 3 au 4 mars 2013, il a été constaté la mort atroce de 9 jeunes talibés à la suite d’un incendie dans un bâtiment insalubre de la Médina. En dépit de tout cela, le problème des enfants talibés demeure toujours aussi poignant.
En tout état de cause, si derrière tout ce tintamarre s’exprimait un désir d’émancipation vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale, disons-le tout net, la voie choisie est celle d’une paresse confortable. La souveraineté tant chantée ne saurait en effet se résumer à une posture déclamatoire. Elle est un comportement, un combat qui consiste à se donner concrètement les moyens de son autonomie et de son indépendance. Et cela ne pourra se faire que par une exaltation de la valeur travail, de l’éthique et de la morale. Elu pour exécuter le programme qu’il a « vendu » à ses compatriotes, le président de la République et le gouvernement qu’il a mis en place sont au service de leur pays. Ils ne sont pas la République mais ses serviteurs. En ce sens nulle arrogance et surtout l’humilité de celui qui se sait en mission commandée tant les tragédies qui explosent sous nos yeux obligent à se mobiliser autour des véritables enjeux. Il faut donc avancer, promouvoir la laïcité à la sénégalaise, cette façon bien originale de rendre effectif l’exercice de toutes les croyances tout en entretenant un rapport apaisé avec elles, refusant ainsi de patauger dans le poto-poto des polémiques inutiles qui sonnent comme l’expression d’une incapacité à saisir les problèmes à bras le corps