DEUX STYLES À L’ÉPREUVE DU POUVOIR
Ils ont beau cheminé ensemble, tout oppose le président Diomaye et son Premier ministre Sonko en matière de communication. Une accumulation d’erreurs peut déteindre sur l’image du régime et par conséquent sur le chef de l’État
Ils ont beau cheminé ensemble, tout oppose le président de la République et son Premier ministre en style de communication. Très effacé, Bassirou Diomaye Faye fait figure d’un dirigeant posé et calme. Tandis que son Premier ministre, harangueur de foules attitré, s’en sort plutôt difficilement avec des discours qui suscitent souvent la polémique. toutefois, selon des spécialistes que L’As a interrogés, une accumulation d’erreurs peut déteindre sur l’image du régime et par conséquent sur le chef de l’État.
Au sein du parti Pastef, l’un a été le patron de l’autre. Mais le dernier a été élu président de la République et le premier est devenu son Premier ministre. Et depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. Trois mois après l’exercice du pouvoir, une différence de style de communication commence à être décelée. Bassirou Diomaye Faye paraît parfait dans ses habits de président de la République en dépit de quelques impairs. Le président de la République se pose en rassembleur et calme dans sa communication. Toutefois, il est à remarquer que souvent, ses discours sont improvisés. C’est l’exemple à Touba, lors de la Journée nationale de l’arbre où il a tenu un discours sans aucun document écrit. Précédemment, lors des premières journées de «Set Setal», il avait également fait des déclarations sans se référer sur des documents écrits. Une fréquence qui semble se révéler comme un choix.
Selon le journaliste et formateur à l'Institut supérieur des sciences de l'information et de la communication à l'Institut supérieur des sciences de l'information et de la communication (Issic),Ibrahima Bakhoum, le Président a choisi d’être «soft». C’est pourquoi, faitsavoir, lors de son déplacement à Touba, le chef de l’Etat s’est passé d’un discours écrit. Car ce qui l’intéressait, c’est par l’image, montrer l’importance de planter un arbre et d’encourager les citoyens à le faire.
Une analyse que semble confirmer l’Enseignant-chercheur en Communication des organisations au Centre d’études des Sciences et techniques de l’information, Sahit Gaye. Selon lui, même si le Président improvise, l'on sent derrière de l'authenticité et de la mesure. «La communication dépasse le verbal, elle englobe aussi le non-verbal, c'est-à-dire les gestes, les attitudes et les comportements. À ce jour, le comportement du Président (à la mosquée en aidant l'imam, ou avec Aminata Mbengue Ndiaye) participe à rendre invisibles certains impairs», a indiqué le Spécialiste en communication de crise qui note quand même que trois mois, c'est trop tôt pour tirer un bilan.
Toutefois, le choix de l’improvisation n’est pas sans conséquence. Puisque certains qualifient le Président Diomaye Faye de quelqu’un qui éprouve des difficultés en français. Toutefois, à en croire Ibrahima Bakhoum, si le Président manque d’éloquence, il ne peut prendre le risque d’improviser et prendre le risque de passer à côté. «Tout le monde a besoin de coaching surtout quand on a la responsabilité d’être l’ambassadeur de son pays à l’étranger. Il est critiqué non du point de vue du niveau de langue mais en termes de communication, c’est-à-dire de savoir où se trouvent les codes, le langage et l’opportunité», a insisté le formateur à l’Issic.
« Le président Abdoulaye Wade faisait tout le contraire de Diomaye en termes de communication »
Il faut noter qu’à l’étranger, après ses discours à Abidjan et à Bissau, qui ont suscité des moqueries sur la toile, le chef de l’Etat semble se raviser sur la forme de sa communication à l’international. Lors de ses deux déplacements à Paris, le Président Bassirou Diomaye Faye qui a participé à des sommets internationaux a tenu des discours écrits et préparés par ses conseillers. Un revirement compréhensible, de l’avis d’Ibrahima Bakhoum. «Si le Président Diomaye n’a pas l’habitude de haranguer les foules et du débat contradictoire, il vaut mieux, notamment à l’étranger où il s’adresse à des gens qui ne parlent pas wolof etc., écrire et s’assurer ce qu’il dit : un texte préparé», a souligné le Journaliste.
Sous ce rapport, constate-t-il, le président Abdoulaye Wade faisait tout le contraire de Diomaye en termes de communication. «Généralement, Abdoulaye Wade faisait ses discours en wolof au niveau national mais à l’étranger, il faisait des discours scientifiques même s’il n’écrivait pas. C’est aussi normal parce qu’il est un professeur d’Université et un avocat. Donc, il a l’habitude», a noté le journaliste.
Ibrahima Bakhoum : « le problème d’Ousmane Sonko, c’est psychologique ; il voit encore des adversaires et pense qu’il faut les détruire »
A la différence de Bassirou Diomaye Faye, le Premier ministre Ousmane Sonko, quant à lui, semble toujours chercher ses marques. Il cumule des erreurs qui font souvent polémique. Selon Ibrahima Bakhou, Ousmane Sonko, dans sa communication, montre qu’il n’est pas encore dans la tête d’un gouvernant. «Il est toujours dans la peau d’un opposant. Le problème d’Ousmane Sonko, c’est psychologique, il voit encore des adversaires et pense qu’il faut les détruire. Il est toujours dans son combat d’opposant. Au pouvoir, il ne peut pas continuer à être toujours sur la défensive», a relevé le journaliste qui note que la manière de communication d’Ousmane Sonko montre qu'il est sur la défensive.
En communication, d’après Sahit Gaye, il y a une relation qui est établie avec le public et le contenu. A partir de cet instant, dit-il, la communication d'un Premier ministre devrait être inclusive. «Pour le Premier ministre, le problème se trouve au niveau du ressenti du public et de la sensibilité de certains sujets. Avec son ethos, il a l'habitude d'attaquer et de cogner, il doit faire sa mue et transcender les clivages pour construire ses discours autour du ''Projet'' de société», a souligné l’Enseignant-chercheur
Le discours d’Ousmane Sonko renseigne, selon Ibrahima Bakhoum, sur l’état d’esprit de quelqu’un qui n’a pas encore une confiance. «Il a besoin de montrer qu’il a raison et qu’il est inaccessible du point de vue des attaques de l’adversaire. En le faisant, progressivement, il fait une violence là où il n’y a rien, autrement dit une sorte de rappel des troupes où il n’y pas combat », fait remarquer le formateur qui pense que le Premier ministre doit se recadrer un peu.
En tant que Premier ministre, Ousmane Sonko peut, explique Sahit Gaye, certes aborder des sujets de controverses mais en prenant en compte que sa communication doit être d'intérêt général avec beaucoup de pédagogie. «Actuellement, sa communication devrait s'orienter vers la pédagogie d'autant plus que les urgences sont ailleurs. Pour un Premier ministre, l'improvisation est toujours à éviter et certains sujets sont à aborder avec tact», a signalé le spécialiste en Communication de crise.
Sahit Gaye : « les erreurs communicationnelles parasitent les actions sur le terrain »
Une accumulation d’erreurs de la part du Premier ministre peut se répercuter sur l’image du régime en place et sur le président de la République, a indiqué le journaliste et formateur à l’Issic. Car Ousmane Sonko a fait figure d’un leader charismatique et a été un élément central pour l’avènement de la troisième alternance. Donc, s’il perd du charisme du fait d’erreurs, forcément cela va déteindre sur le président de la République d’une manière ou d’une autre, dit-il.
A en croire, Sahit Gaye, les premiers mois d'un quinquennat sont toujours des marqueurs. «Les erreurs communicationnelles parasitent les actions sur le terrain. D'ailleurs à chaque fois qu'il y a une polémique sur un sujet, le gouvernement passe à côté de forts moments de communication sur des décisions ou des réalisations. L'accumulation des erreurs brouillent le message et donne l'impression d'un tâtonnement et à la longue, elle peut rendre inaudible le message», a martelé l’Enseignant-chercheur.