LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ENCORE SUR LA ROUTE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE
Le président aurait demandé l'avis du Conseil Constitutionnel sur la dissolution du parlement, une démarche qui fait débat. Au cœur de la controverse : l'interprétation de la Constitution et du règlement intérieur de l'Assemblée
La météo politique annonce des pluies diluviennes qui pourraient inonder les couloirs de la présente législature sous la forme d’une dissolution annoncée. Le Conseil Constitutionnel aurait été sollicité par le président de la République pour donner un avis juridique. Bassirou Diomaye Faye veut être éclairé pour s’entourer de toutes les garanties avant de conduire à l’échafaud la présente législature à l’échafaud. Seulement voilà, au niveau du corpus judiciaire, on soutient que ledit Conseil Constitutionnel n’a aucune compétence sur la dissolution de l’Assemblée nationale sauf dans des situations exceptionnelles prévues par l’art 52 de la Constitution.
En ce début de semaine, Dakar et le reste du pays commencent à s’installer définitivement dans la saison des pluies. Août a toujours été un mois pluvial. La météo est scrutée quotidiennement par les citadins comme les ruraux. Sur le plan politique aussi, une autre météo est scrutée. Celle qui annonce une probable tempête sur la législature en cours issue des législatives de juillet 2022. Depuis que le président Bassirou Diomaye Faye s’est installé au Palais de l’avenue Léopold Sédar Senghor, après son élection dès le premier tour avec 54% des suffrages exprimés le 25 mars 2024, l’on refait les comptes politiques du côté des tenants du pouvoir. Les réformes promises au bon peuple butent sur le fait que, Place Soweto, la majorité parlementaire est détenue par la coalition défaite lors de la dernière élection présidentielle. Autrement dit la majorité présidentielle et la majorité parlementaire ne s’accordent pas ! Plutôt que de travailler à un compromis, le nouveau pouvoir, à travers le Premier ministre Ousmane Sonko, a voulu imposer un rapport de forces. Il a notamment exigé la mise à jour préalable du règlement intérieur de l’Assemblée nationale dans le sens d’y intégrer les dispositions relatives au Premier ministre — supprimées en même temps que la fonction elle-même au lendemain de la présidentielle de 2019 — avant qu’il vienne faire sa Déclaration de Politique générale (DPG) dans l’hémicycle. Une exigence qui a eu pour effet de braquer les députés de la majorité parlementaire qui appartiennent, on l’a dit, au régime défait le 24 mars dernier. Pour montrer leur mécontentement, ils ont refusé d’accueillir le ministre des Finances pour son débat d’orientation budgétaire. Un conflit latent pour la résolution duquel le président de la République a rencontré le titulaire du perchoir pour une sortie de crise. Une sortie qui passait par un dialogue pour un nouveau Règlement intérieur fruit d’un compromis de toutes les forces politiques de l’Assemblée nationale lors d’un conclave à Saly tenu le mois dernier.
Malgré ce cessez-le-feu, pourtant, chaque camp fourbit ses armes de destruction politique pour la lutte finale. Sur ce registre, il a été annoncé en début de semaine que le président Bassirou Diomaye Faye aurait saisi le Conseil Constitutionnel pour avis sur la question de la dissolution de l’Assemblée nationale. La confirmation officielle est attendue. Elle ne viendra pas de sitôt, mais il n’empêche cette question de la dissolution fait débat. Selon l’ancien député Alioune Souaré, la saisine annoncée du Conseil Constitutionnel par le président de la République ne peut être que consultative, voire personnelle. « Parce que le Conseil Constitutionnel n’a aucune compétence à intervenir dans la procédure de dissolution de l’Assemblée nationale sauf dans les conditions prévues par l’article 52 de la Constitution qui parle d’une situation d’exception qui peut déboucher sur des pouvoirs d’exception accordés au président de la République. Situation d’exception peut se comprendre comme une menace de l’indépendance de la République ou de guerre » indique l’ancien parlementaire. Selon ce dernier, la saisine du Conseil Constitutionnel par le président Diomaye Faye sur la dissolution de l’Assemblée nationale ne peut être faite qu’à titre personnel. Notre interlocuteur de convoquer la jurisprudence Kéba Mbaye qui avait fait comprendre à l’époque au président Abdou Diouf que, s’agissant d’un certain nombre d’interpellations, le Conseil Constitutionnel n’agissait qu’à titre consultatif. Alioune Souaré renforce son argumentaire en expliquant qu’il n’y a nulle trace du Conseil Constitutionnel au niveau de l’article 87 de la Constitution qui parle de dissolution. Selon cet article 87, « Le Président de la République peut, après avoir recueilli l’avis du Premier ministre et celui du Président de l’Assemblée nationale, prononcer, par décret, la dissolution de l’Assemblée nationale. Toutefois, la dissolution ne peut intervenir durant les deux premières années de législature. Le décret de dissolution fixe la date du scrutin pour l’élection des députés. Le scrutin a lieu soixante jours au moins et quatre-vingt dix jours au plus après la date de publication dudit décret. L’Assemblée nationale dissoute ne peut se réunir. Toutefois, le mandat des députés n’expire qu’à la date de la proclamation de l’élection des membres de la nouvelle Assemblée nationale ».
Début de législature et début de mandat
Le débat se situe donc après les deux premières années de législature, à quel moment le président de la République peut-il dissoudre l’Assemblée nationale ? Pour y répondre, il faut tenir compte du début de la législature et du mandat des députés. Selon Alioune Souaré, la Constitution est muette concernant le début de la législature. C’est l’article 51 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui règle la question du début de la législature. « Le député est couvert par l’immunité à compter du début de son mandat qui prend effet dès la proclamation des résultats de l’élection législative par le Conseil Constitutionnel » selon l’art 51. C’est le 11 août 2022 que le Conseil Constitutionnel a proclamé les résultats de l’élection qui s’est déroulée en juillet. Donc à partir du dimanche 11 août 2024, la présente législature va boucler ses deux années d’existence. Rien ne pourra s’opposer dès lors à la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Bassirou Diomaye Faye selon les tenants de la thèse du début de législature. La Constitution est muette également concernant le début du mandat. Sur ce point, notre interlocuteur convoque encore le règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui stipule en son article 9 que « au début de la législature, le plus âgé des membres présents, sachant lire et écrire la langue officielle, assure la présidence » lors de la séance pour l’élection du président de l’Assemblée nationale et du Bureau. Amadou Mame Diop a été élu le 12 septembre 2022 comme président de l’Assemblée nationale. En vertu de quoi, la dissolution de l’Assemblée nationale ne pourrait qu’intervenir que vers le 12 septembre 2024 selon les tenants de la thèse du début de mandat. Est-ce pour sortir de cet imbroglio juridique relatif à la date de dissolution que le président de la République a sollicité l’avis du Conseil Constitutionnel ? Lui seul pourrait répondre à cette question.