DE LA PRÉFÉRENCE NATIONALE
Entre amateurisme, gestion familiale opaque et manque de professionnalisme, les entreprises locales peinent à honorer leurs engagements. Les scandales et chantiers inachevés se multiplient, remettant en question l'efficacité de cette politique
Depuis l’avènement du duo Diomaye/Sonko aux commandes de notre pays, il est de plus en plus question de préférence nationale pour acter la rupture et favoriser les 3 J : Jubb Jubbel-Jubenti du Projet. Tout ce qu’il y a de très normal que de vouloir favoriser les champions nationaux pour construire notre pays. Jusque-là rien de bien répréhensible sauf que la préférence nationale tant déclamée et réclamée n’a jamais fait défaut dans notre pays. Beaucoup de projets et programmes ont été confiés à des entreprises nationales et dont la presque totalité s’est terminée en eau de boudin : chantiers inachevés-travaux mal faits- délais d’exécution anormalement longs pour les uns, avenants multiples pour d’autres etc., etc.
Et on ne s’est jamais posé la question du pourquoi de tous ces impairs ? Essayons de savoir ensemble…
1/ La presque totalité des entreprises sénégalaises souffrent d’une tare rédhibitoire qui est le manque de professionnalisme avéré. D’abord, nombre d’entreprises sénégalaises ou celles qui se font dénommer comme telles, sont très souvent le fait d’une personne qui en est à la fois, le créateur, le propriétaire et le gérant. Un «self made man» quoi. Et qui, même si son entreprise se développe et prend de l’envergure avec un chiffre d’affaires conséquent, répugnera toujours à chercher des partenaires associés dans l’actionnariat, préférant gérer son entreprise de façon solitaire voire familiale ou clanique. Suivez mon regard.
2/ A part quelques rares exceptions comme la Cse (Compagnie Sahélienne d’Entreprises) de Feu Aliou Sow, la Cde et le Groupe Atepa pour ce que j’en sais, on peut compter sur les doigts d’une seule main, les entreprises «sénégalaisement» sénégalaises qui peuvent se prévaloir d’une structuration aux normes d’une entreprise qui se respecte avec Ca (Conseil d’administration) Comité de direction, et des structures de management dédiées avec des directions administrative, financière, technique, du personnel, de la sécurité-hygiène et autres. Tout part du chef et tout se ramène au chef. Même des «géants» comme Sedima se complaisent dans une gestion familiale.
3/ Nos entreprises dites nationales et privées» recrutent rarement du personnel conséquent et compétent dans leur domaine d’activité. Notamment dans les Btp. A part les exceptions citées supra, rares sont les entreprises de ce secteur si important qui peuvent se targuer d’avoir un bureau d’études techniques avec des ingénieurs et techniciens hautement qualifiés pour piloter des projets d’envergure. En général, elles ont un personnel très réduit et une fois un marché décroché, se mettent à la recherche de sous-traitants et de personnel d’appoint pour exécuter leurs commandes. Elles sont légion dans ce pays et se reconnaîtront quand bien même elles refuseraient de l’admettre. Ce n’est donc pas un hasard si la plupart des chantiers confiés à des nationaux restent en l’état ou sont très mal faits. L’amateurisme est passé par là. Nos patrons locaux préfèrent gérer leurs affaires à la petite semaine utilisant du personnel taillable et corvéable à souhait et pour la plupart d’entre eux, sont rarement à jour des paiements des salaires et autres obligations sociales comme les impôts, la Tva, les cotisations sociales Ipres et Css. On a vu ici le monde de la presse pleurnicher grave pour le rappel d’impôts à payer. Ah ! S’ils (les Patrons) pouvaient comprendre que la justice et la régularité envers le personnel et la conformité avec les lois conditionnent pour une grande part, le développement et la prospérité de leur entreprise, pour sûr, ils s’y attèleraient tous. Mais, Ils préfèrent tous, aller chez le guide religieux de leur obédience et y verser des «adiya» faramineux en guise d’allégeance plutôt que de s’acquitter de leurs obligations sociales et entrepreneuriales. Voyez les moyens colossaux déployés à Touba par Monsieur 50% de préférence nationale, laissant en souffrance ses chantiers inachevés de l’aéroport Blaise Diagne. Nos entreprises dites nationales et privées ne recrutent presque pas. Et si elles le font ce sont des Cdd à n’en plus finir et très rarement des Cdi même pour un certain personnel qui peut rester plus de dix ans sans avancement ni plan de carrière et autres.
4/ En réalité, nos entrepreneurs n’entreprennent pas. Et sans jeu de mots, ils entrent et ils prennent. En effet, avec l’aide de leurs réseaux de relations et autres connivences à presque tous les niveaux, politiques, religieux, socio-économiques et autres, ils arrivent avec des complices tapis dans les dédales des structures étatiques, à capter les affaires juteuses. Ils entrent (dans une affaire) et y prennent (leurs parts). Et forts de leur impunité pour avoir payé l’écot au «porteur d’affaires», ils sabotent littéralement l’exécution des termes des marchés conclus. C’est ce qui explique en partie les indélicatesses notées dans nombre de scandales comme le plan Covid-19, le Prodac, etc.
5/ La plupart de ceux qui se prévalent «entrepreneurs» et qui très souvent font beaucoup de bruit autour d’associations, de patronats ou de groupements d’hommes d’affaires sont de parfaits inconnus dans le monde réel du travail et de l’entrepreneuriat. Ils trustent les présidences et autres postes de responsabilité sans être en mesure de vous montrer une seule usine ou une seule entreprise qu’ils auraient créée et qu’ils sont en train de manager. De véritables usurpateurs qui sont en réalité de redoutables escrocs. Experts dans l’art de l’infiltration et du trafic d’influence, ils squattent les endroits chics et organisent régulièrement des soirées et dîners de gala festifs pour y décerner des prix de pacotille (Cauris, Sedar et autres) à de vrais managers qui se seront laissés plumer en toute beauté en acceptant de payer au prix fort ces trophées en toc, véritables colifichets désuets dans une innocence complice. Ils sont là et se reconnaissent très bien tout en étant très bien connus de tout le monde. Mais on laisse faire dans un système de falsification et d’imposture laxiste. Du vrai ponce pilatisme. Ne suivez pas mon regard deh.
6/ Dès lors, comment peut-il être étonnant que les scandales dans les commandes publiques allouées aux entrepreneurs nationaux se suivent et se multiplient sans cesse dans tous les domaines ?
Quelques rappels de «l’expertise» et des «hauts faits d’armes» de nos capitaines d’industrie nationaux.
Le Building administratif qui, d’avenant en avenant, est passé de huit milliards à plus de quinze milliards et qui peine toujours à être achevé et livré définitivement plus de dix ans après le démarrage des chantiers. L’hôpital de Fatick qui aura mis plus de 10 ans sans être jamais terminé. Et ce n’est pas Mballo Dia Thiam de «And Guesseum» qui va me démentir. Le Mémorial «Le Joola» qui aura mis plus de vingt ans avant d’être finalisé tandis que le Mémorial de Gorée, l’autre combat épique du «lauréat des prix de la poésie francophone», reste encore à l’état larvaire plus de vingt ans après son lancement. L’état d’exécution du stade de Sédhiou qui n’a pas fini de scandaliser la ministre des Sports, le scandale des semences et tant, tant d’autres chantiers, commandes et marchés dont les affairistes et entrepreneurs autoproclamés se sont emparés et en véritables sangsues, les ont littéralement sabotés et sabordés sans état d’âme aucun. Tous, tant qu’ils sont, une fois, l’avance de démarrage d’un marché de travaux de chantiers, de fournitures ou de toutes autres prestations de service, encaissée , ils s’empressent de se rendre chez leur marabout pour payer leur dîme, se coltiner pour certains, une nouvelle épouse et pour d’autres se payer un véhicule haut de gamme pour marquer leur entrée dans «la cour des Grands»… Cour des grands voleurs. Oui. Mais Allah ne dort pas et veille toujours. Ainsi, toute entreprise assise sur l’injustice, la roublardise, le vol, la concussion et autres «taf yenguel» ou «ndjoutt ndiath» est inexorablement vouée à la décrépitude et à la faillite. irrémédiablement.
Toujours dans ce chapitre «des exceptions sénégalaises», on peut y classer les attitudes inqualifiables des transporteurs qui, malgré l’avertissement gouvernemental lors de la Tabaski, n’ont eu aucun scrupule à revenir à leurs manœuvres délictuelles voire criminelles en augmentant encore à l’excès, les prix des transports lors du Magal de Touba et sans aucun état d’âme. Et les voilà. Tout contents d’entasser les voyageurs dans des guimbardes d’un autre âge, et de rouler à plein gaz sur nos routes en mauvais état, pour assouvir leur cupidité vorace au mépris des accidents mortels causés par leur faute. Terrible.
Dans le même registre du manque de patriotisme et de compassion pour les populations, on peut y ranger les comportements cupides des marchands des marchés qui n’hésitent pas à chaque occasion, de créer des pénuries artificielles de certaines denrées alimentaires pour ensuite les vendre à des prix prohibitifs. L’illustration la plus parfaite de cette attitude de sans cœur est celle des producteurs d’oignons. Une fois, ils réclament à cor et à cri l’arrêt des importations d’oignons pour, disent-ils, écouler leurs productions locales. Dès que la mesure est prise par les pouvoirs publics, ils n’hésitent pas à vendre leurs produits à des prix prohibitifs sans aucune compassion pour les populations déjà durement éprouvées.
Et si le gouvernement reprend les importations pour soulager les populations, ils ne vont pas hésiter à aller jusqu’à creuser de très grandes fosses pour y enterrer leurs oignons plutôt que de devoir les vendre à des prix acceptables aux clients. Comme ils l’ont déjà fait par le passé pour marquer leur dépit, quelle méchanceté !
Au regard de toutes ces pratiques de filouterie de haut vol et tant d’autres auxquelles s’adonnent ceux qui veulent toujours pouvoir être bénéficiaires de la préférence nationale sans jamais donner satisfaction, n’est-il pas temps pour les pouvoirs publics de revoir ce concept de préférence nationale pour bien l’encadrer et faire affaire avec ceux qui veulent travailler, encore travailler toujours travailler et surtout bien travailler pour l’intérêt national plutôt que de contribuer à entretenir une race d’aigrefins dont le seul mérite est d’être sénégalais ?
La question mérite d’être posée.
Pour la réalisation du projet, cela aussi doit changer dans les 3J : du jubb, du jubbel et du jubbenti . Rekk. Jajeffetti.
Dieu nous garde et garde le Sénégal