FAUT-IL CONTINUER À ENTRETENIR LES ANCIENS CHEFS D’ÉTAT ?
Bénéficiant d'avantages financiers conséquents, ils choisissent pourtant l'exil doré plutôt que l'engagement pour leur pays. Leur mutisme face aux crises que traverse le Sénégal contraste fortement avec l'implication d'anciens dirigeants d'autres nations
Le Sénégal vient d’étrenner sa souveraineté spatiale. Le pari était loin d’être gagné : un peu plus d’une chance sur deux. Car, le taux de réussite des premiers essais d’un nouveau lanceur, quel qu’il soit, n’atteindrait péniblement que 53 %. «Well done», dirait Trump. «A la différence des satellites, les institutions demeurent rarement sur l’orbite où leur créateur avait entendu les placer», notait par contre la fameuse formule de Jean Rivero, Laurent Fabius, alors président du Conseil constitutionnel français, qui souhaitait supprimer le droit à vie des anciens présidents de la République à siéger parmi les Sages (Conseil constitutionnel), comme le prévoit l’alinéa 2 de l’article 56 de la loi fondamentale française. En l’évoquant ici, nous envisageons de poser le débat relatif aux privilèges des anciens présidents de la République. Pour cela, quittons le ciel pour revenir sur le plancher des vaches.
Les dernières élections législatives françaises devraient nous parler, à nous Sénégalais. Celles, présidentielles, des Etats-Unis prévues au mois de novembre prochain entre Donald Trump et Kamala Harris aussi. Ces joutes devraient plus encore parler à nos anciens chefs d’État à qui notre pays a tout donné et qu’il continue encore d’entretenir alors qu’ils ont préféré aller payer des impôts directs ou indirects en France, pour Feu Leopold Sédar Senghor, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade ; et au Maroc pour Macky Sall.
Le 24 juin dernier, la France toute entière a tremblé, mais comme une seule voix, les Français ont su dire NON à l’arrivée du Front National au pouvoir, le 7 juillet dernier. Les Français ont voté contre le racisme, la xénophobie, l’islamophobie, bref toutes les formes de phobie visant à diviser les Français. La France a opté pour l’ouverture et l’enracinement, pour l’Europe dont elle est une des locomotives à côté de l’Allemagne. La 5eme puissance mondiale a préféré garder sa grandeur légendaire que lui avaient léguée Napoléon, Jean Jaurès, Charles De Gaulle, Simone Veil, Jeanne d’Arc, etc.
En première ligne, on a vu l’ancien président, François Hollande. «A situation exceptionnelle, décision exceptionnelle», avait déclaré l’ancien chef de l’Etat pour justifier son soutien à la nouvelle alliance des partis de Gauche afin d’empêcher l’extrême droite d’arriver au pouvoir, alors même qu’il était l’une des voix critiques de la Nupes, en 2022. Sans être aussi offensif que son successeur, Nicolas Sarkozy est aussi entré en scène en qualifiant l’accord entre LR-RN «d’absorption». «Être le supplétif du RN n’est pas une ambition mais un constat de renoncement». Et de mettre en garde LR dans les médias français en ces termes : «S’allier au Rassemblement national aujourd’hui consiste à se mettre dans les roues d’un jeune homme de 28 ans (Jordan Bardella, Ndlr) qui, s’il réussit, ne vous laissera pas la place, et s’il échoue, vous emportera avec lui»
Aux Etats-Unis, pour empêcher le retour au pouvoir de Donald Trump, Joe Biden accepte l’évidence d’une défaite inévitable et cède sa place à sa vice-présidente Kamala Harris. Mais ce qui a encore frappé les esprits, c’est cette fusion, cette coalition des anciens présidents républicains. Barack Obama et Bill Clinton se succédant au pupitre, après un discours mémorable de Michele Obama, pour éviter que l’Amérique ne revienne en arrière avec le Trumpisme qui avait balafré l’une des démocraties les plus respectées au monde.
Au Ghana voisin, l’ancien président Jerry Rawlings (aujourd’hui décédé), retiré de la vie politique en 2001 après deux mandats électifs, était resté actif dans son pays comme en Afrique. Le soutien qu’il apporta à son dauphin et viceprésident, John Atta-Mills, ne lui permit pas d’emporter l’élection face à John Kufuor, le candidat du parti d’opposition New Patriotic Party (NPP).
Autre pays, autre environnement, c’est tout le contraire au Sénégal où les anciens Chefs d’Etat «abandonnent» tout bonnement leur peuple, ou à tout le moins, s’enferment dans un mutisme profond, une fois les lambris dorés du palais recouverts, se réfugiant derrière le fallacieux prétexte : «Je ne veux pas gêner mon prédécesseur».
Diouf s’emmure dans un silence coupable
El Hadji Mansour Mbaye avait l’habitude de rappeler qu’Abdou Diouf a été gouverneur à 25 ans, Premier ministre à 35 ans et Président de la République à 45 ans. L’un des plus grands paroliers de la musique sénégalaise, Feu Thione Balago Seck a même publié un album intitulé « numéro 10 » en hommage à l’ancien président de la République qui a dirigé le Sénégal de 1981 à 2000. Pour cet honneur, il sera désigné Secrétaire de la Francophonie. Mais depuis qu’il a quitté le Palais pour aller s’installer en France, il semble tourner le dos à ce pays qui lui a tout donné et qui continue encore de l’entretenir. Ni les lois scélérates votées sous le régime de Wade (lois Sada Ndiaye, Ezan) et autres révisions de la constitution ayant débouché aux émeutes du 23 juin 2011, suivies de celles de l’électricité, ne parviendront à faire sortir l’ancien Chef de l’Etat de son silence coupable. Son parti pouvait finir en lambeaux, cela le laissait de marbre. Pas un seul mot. La seule fois qu’il sortira de sa torpeur, c’est dans une lettre conjointe qu’il aurait co-signée avec Me Abdoulaye Wade avant de se raviser sous la bronca de l’opinion. Pour le reste, il se contentera d’apprécier des honneurs qui lui sont faits avec notamment le CICAD (Centre International de Conférences Abdou Diouf).
Karim, la raison d’être de Wade
Quant à Maitre Abdoulaye Wade, il reste dans le jeu politique non pas par amour pour le pays qu’il a dirigé pendant 12 ans (2000 -2012) et qui a mis fin à ses «ennuis financiers». Mais plutôt pour veiller sur son fils Karim Meissa Wade dont il prédit un destin présidentiel à partir de son exil doré à Doha au Qatar. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il traitera Macky Sall de tous les noms d’oiseaux. Toutefois, quand le pays a failli sombrer à cause des douloureux évènements du mars 2021 et de juin 2023, Abdoulaye Wade qui avait fini de fumer le calumet de la paix avec son ancien Premier ministre, ne se fera pas remarquer. Comme Abdou Diouf, il va s’engouffrer lui aussi dans un silence complice pendant que des jeunes sénégalais tombaient comme des mouches lors des manifestations. A la place, ce sont des joueurs de football qui sont montés au créneau pour dire « Stop ».
Macky sall, un livre-blanc en attendant…
Si Diouf et Wade ont choisi la France pour leur retraite, Macky Sall, lui, a déposé ses valises dans la ville ocre du Royaume chérifien où il a construit un palace digne d’un prince ou d’un émir à Marrakech. En tant qu’Envoyé spécial du 4P (Pacte de Paris pour les peuples et la Planète), il sillonne le monde tout en contrôlant les faits et gestes des tenants du nouveau régime. Mais comme ses devanciers, il se garde de toute déclaration sur la vie politique sénégalaise. Toutefois, il continue à veiller sur son œuvre comme en témoigne la publication récente d’un «livre blanc» retraçant ses 12 ans de règne, dans lequel le curseur est mis sur son bilan matériel à la limite titanesque, mais pas un seul mot sur le bilan immatériel qui l’aurait privé de troisième mandat.
Caisse noire suivie d’une retraite dorée
Malgré tout, ils ne se plaignent pas, nos Excellences, loin s’en faut. Le décret numéro 2013- 125 du 17 janvier 2013 leur attribue un traitement mensuel de 5 000 000 francs CFA, en plus de l’octroi d’une assurance maladie étendue au conjoint ; de deux véhicules, d’un téléphone fixe, d’un logement et du mobilier d’ameublement. En cas de renoncement au logement affecté, tout ancien Président de la République perçoit une indemnité compensatrice d’un montant mensuel net de 4 500 000 francs CFA
Le contribuable sénégalais prend également en charge à hauteur de 40 000 000 francs CFA, par an, le coût des billets d’avions de chaque ancien Président de la République et de son (ses) conjoint(s). Tout ancien Chef de l’Etat qui décide de s’établir hors du Sénégal (ce qui est le cas pour tous nos anciens Chefs d’Etat) peut s’attacher les services de quatre collaborateurs de son choix. Ces derniers sont rémunérés dans les mêmes conditions que les personnels affectés dans les postes diplomatiques et consulaires du Sénégal.
Enfin, s’agissant des personnels mis à la disposition de tout ancien Président de la République, l’Etat fournit les catégories suivantes: un aide de camp dont le grade n’est pas supérieur à celui de Commandant et qui remplit sa mission exclusivement à l’intérieur du territoire national ; des gendarmes pour assurer la protection du logement ; deux agents de sécurité pour assurer la protection de sa personne ; un agent du protocole ; deux assistants ; un standardiste ; un cuisinier ; une lingère ; un jardinier ; deux chauffeurs. Pis, précise l’édit, l’application de ces dispositions ne souffre aucune restriction.
Une pension de retraite supérieure à celle que perçoivent les anciens chefs d’Etat français, qui reçoivent 6000 euros par mois soit 3.935.742 F CFA. (...)”. Quant aux anciens Chefs d’Etat des Etats-Unis, selon lesechos.fr (21 janv. 2021), « Jusqu’à la fin des années cinquante, les ex-présidents repartaient les mains dans les poches après avoir quitté la Maison Blanche. Le Congrès a remédié à cette situation, devant l’embarras causé par Harry Truman et ses maigres revenus après avoir quitté la fonction suprême. En 1958, le «Former Présidents Act» (la loi sur les anciens présidents en VF) fixait la rente présidentielle à 25.000 dollars par an.
A l’heure actuelle, elle est calquée sur le salaire d’un ministre, soit environ 221.000 dollars annuels».
En réalité, ce sont moins les avantages et privilèges accordés aux anciens chefs de l’Etat sénégalais que l’incurie qui les caractérise qui interroge. En d’autres termes, ce n’est pas tant ce qu’ils coûtent au contribuable, car après tout, si un ancien président du Sénégal a droit à 5 millions de FCFA, son homologue de Côte d’Ivoire touche 9,6 millions de FCFA, celui Tunisie, 7,9 millions de FCFA, etc.
Ailleurs dans le monde, la comparaison des salaires et des autres avantages en nature d’un ancien président sénégalais avec ceux des pays développés révèle que, si le Sénégal est certes devant la France (3 millions), il reste loin derrière les Etats-Unis (7,8 millions) et l’Allemagne (11,6 millions de francs). C’est juste, même lorsque le feu couve au Sénégal, ils n’en ont cure !