LE PARADOXE AFRICAIN
Alors que le continent abrite 30% des minerais stratégiques du monde, et donc de toutes les ressources nécessaires pour être une réponse puissante à la crise énergétique mondiale et aux impératifs de la transition verte
Il y a un paradoxe africain : alors que le continent abrite 30% des minerais stratégiques du monde, et donc de toutes les ressources nécessaires pour être une réponse puissante à la crise énergétique mondiale et aux impératifs de la transition verte, les pays africains ne parviennent toujours pas à en tirer le meilleur profit pour leurs intérêts stratégiques vitaux. Or, à condition qu’ils soient adossés à un nouveau modèle de développement, les minerais stratégiques offrent une occasion historique d’en finir avec la soi-disant malédiction des ressources naturelles en Afrique.
La fable de la malédiction des ressources naturelles
De la Norvège aux Emirats Arabes Unis, de nombreux pays offrent des exemples réussis de croissance économique et de développement grâce aux ressources naturelles. Troisième plus grand producteur de gaz au monde et onzième plus grand producteur de pétrole, la Norvège est la deuxième économie mondiale en termes de Produit intérieur brut par habitant (après le Luxembourg et devant l’Irlande et à la Suisse), selon les chiffres du Fmi d’avril 2023, soit plus de 2, 5 fois le niveau de vie de la France. Quant aux Emirats Arabes Unis, neuvième producteur mondial de pétrole et quinzième de gaz naturel, le poids de leur économie a quintuplé en vingt ans. Ce pays mise désormais sur l’économie du savoir, devenu assez riche pour s’engager dans une ère post-pétrole, plus diversifiée, voire décarbonée.
En Afrique aussi, le cas du Botswana dément les sombres anticipations appliquées systématiquement au continent. Ces dernières années, ce pays -qui figure parmi les plus importants producteurs mondiaux de diamant, mais également un des moins corrompus- a imposé une stratégie inclusive dans le secteur extractif, investissant ses revenus dans la santé et l’éducation, mais surtout dans un fonds souverain au service des besoins des générations futures. Le Botswana a aussi mis en place toute une série de mécanismes et d’institutions pour prévenir et punir les cas de corruption, prouvant ainsi que le succès dans les affaires et la lutte contre la corruption sont parfaitement compatibles.
Une demande gigantesque en minerais stratégiques
La course aux minerais stratégiques a été relancée avec la crise énergétique, plaçant l’Afrique en pole position. Ces métaux sont en effet indispensables pour les véhicules électriques, les batteries au lithium, les téléphones portables, les scanners médicaux ou encore le matériel militaire, autant de secteurs stratégiques pour la transition énergique et la sécurité nationale de nombreuses puissances. Or, cette course risque de se faire au détriment des économies africaines, déjà privées des financements promis mais non honorés par la Communauté internationale en matière de lutte contre le changement climatique. La Banque africaine de développement (Bad) a estimé à 2800 milliards de dollars les besoins financiers de l’Afrique pour couvrir ses objectifs de lutte contre le réchauffement climatique entre 2020 et 2030. Or, le continent reçoit moins de 10% des fonds dédiés à cet effet, alors qu’il n’est à l’origine que de 3% des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle internationale. Voilà désormais les pays africains soumis à des logiques d’extraction prédatrice qui leur font perdre non seulement ces ressources, mais également les emplois qui vont avec.
Une stratégie d’investissement plus responsable dans les minerais stratégiques constituerait non seulement une contribution majeure au développement de l’Afrique, mais aussi une solution durable aux défis de la transition énergétique pour le monde entier.
La pression souverainiste des opinions africaines
Alors que les jeunes générations expriment un fort désir de contrôler le destin de leurs pays sur les plans politique (au point d’applaudir les putschistes sahéliens), culturel (avec la restitution des œuvres d’art historiquement spoliées), économique (avec la remise en cause du F Cfa), la maîtrise du sol africain est un élément de plus en plus central des campagnes électorales et des transitions politiques, qu’elles soient démocratiques ou autoritaires. Dans ce contexte, il n’est pas certain que les stratégies prédatrices, y compris chinoises, l’emporteront sur le long terme.
Sous la pression des opinions africaines, il ne fait aucun doute que les partenaires de l’Afrique devront se repositionner, en passant à un modèle de développement plus inclusif s’ils veulent avoir un avantage compétitif sur ce marché très concurrentiel qui oppose non seulement les puissances globales, mais également les moyennes puissances du Moyen-Orient à l’Asie du Sud-Est. Les effets de la pandémie du Covid-19 sur les chaînes d’approvisionnement et l’impact de la guerre en Ukraine, qui ont accéléré cette nouvelle ruée vers l’Afrique, ne sauraient être une raison suffisante pour ignorer les besoins spécifiques de l’Afrique : les Africains, eux aussi, devraient pouvoir profiter des téléphones portables dernier cri d’Apple, conduire les voitures électriques de Tesla, et bénéficier de scanners médicaux de qualité lorsqu’ils sont malades. Tous ces produits sont fabriqués à partir de minéraux stratégiques qu’ils fournissent, mais dont ils ne bénéficient pas.
Les attentes des investisseurs internationaux
Mais il leur revient également de prendre leurs responsabilités en mettant en place des cadres réglementaires transparents et efficaces, en formant des ingénieurs capables de négocier des contrats miniers, en définissant une feuille de route répondant à leurs besoins de développement et en élaborant une stratégie de transformation industrielle avec l’appui des organisations régionales et de la récente Zone de libre-échange africaine qui pourrait jouer un rôle crucial dans la création de marchés locaux plus adaptés aux investissements internationaux.
Précisément, alors que la demande mondiale en minerais stratégiques n’a jamais été aussi élevée et que les industries vertes sont plus que jamais essentielles à la lutte contre le réchauffement climatique, ces investissements demeurent largement insuffisants. Lorsqu’ils existent, très peu sont menés à bien. Les raisons de ce sous-investissement chronique tiennent à plusieurs facteurs explicités par un récent rapport d’Atlantic Council et son auteure Aubrey Hruby, notamment la mauvaise perception des risques inhérents à l’investissement en Afrique et la sous-mobilisation du secteur privé.
Enfin, aucune de ces recommandations ne saurait aboutir sans stabilité. Or, dans des zones comme la région des Grands Lacs où la République démocratique du Congo, pays aussi grand que l’Europe de l’Ouest, est déchirée par des guerres civiles et régionales depuis plus de trente ans, il ne saurait y avoir d’investissements sans paix. C’est pourquoi la pacification des Grands Lacs doit être à l’avant-garde des efforts diplomatiques et des politiques énergétiques en Afrique.
Rama Yade est Directrice Afrique Atlantic Council.