LA MISERE PREND DE L’AMPLEUR DANS LES RUES
Véritable fléau qui dénature la face de la capitale sénégalaise, la mendicité dans la rue gagne de plus en plus de l’ampleur. Aux enfants talibés et autres enfants de la rue, sont venues se greffer des familles entières de mendiants...
Véritable fléau qui dénature la face de la capitale sénégalaise, la mendicité dans la rue gagne de plus en plus de l’ampleur. Aux enfants talibés et autres enfants de la rue, sont venues se greffer des familles entières de mendiants, originaires de la sous-région. Les ronds-points et carrefours envahis par ces squatteurs d’un nouveau style, c’est toute la misère qui s’étale à perte de vue dans certaines avenues de Dakar. Sur fond d’insécurité !
Sous un soleil de plomb, au rond-point 26 des Parcelles Assainies, une scène familière se déroule chaque jour : des mendiants de tous âges envahissent les lieux, transformant l’espace en un théâtre de misère humaine. Des enfants, défiant l’insécurité, s’avancent vers les voitures immobilisées par les embouteillages, espérant quelques pièces. Pourtant, ces jeunes, en âge d’aller à l’école, se trouvent bien loin des bancs de classe, en dépit du fait que la scolarisation est un droit inscrit dans la Constitution sénégalaise. Parmi ces talibés mendiants, Malick, âgé de 12 ans, sillonne entre les voitures, cherchant l’empathie des conducteurs. Malick n’est pas un cas isolé. Selon une étude récente, Dakar compte près de 54 837 enfants talibés, dont 30 000 sont engagés quotidiennement dans la mendicité forcée, une pratique persistante malgré les tentatives d’éradication par les autorités.
À quelques mètres de ce même rond-point, sous un pont délabré, des malades mentaux ont trouvé refuge, ajoutant à l’atmosphère de désolation. L’endroit, laissé à l’abandon, est devenu un refuge pour des marginaux. « L’insécurité est constante ici », déclare Ousmane, un chauffeur de taxi qui emprunte régulièrement cette route. « Passer par cet axe est une épreuve, surtout le soir. Il y a souvent des agressions. » Les forces de sécurité, peu visibles, ne suffisent pas à enrayer l’insécurité qui y règne. Les mendiants eux n’en ont cure. Mariama, une femme d’une quarantaine d’années, est une figure bien connue du rond-point. Divorcée depuis 2017, nous révèle-t-elle, sans emploi et mère de nombreux enfants, elle s'est retrouvée malgré elle dans la mendicité. « Je suis ici par obligation. Je n’ai plus d’autre moyen de subvenir aux besoins de mes enfants », raconte-telle, la voix teintée de résignation. La mendicité, dans son cas, est une question de survie. « Les hommes m’ont fait trop mal. Je ne me remarierai jamais. » Son histoire, comme celle de nombreuses autres femmes, révèle la vulnérabilité des couches les plus démunies de la société.
Pour ne rien arranger, l’univers de la mendicité est aussi, paradoxalement, un lieu de confrontations. Certains mendiants n’hésitent pas à s'accuser mutuellement de tricherie. « Vous voyez cette dame avec deux enfants ? Ils ne sont pas jumeaux comme elle le prétend… Elle les a loués pour faire de la mendicité», affirme une mendiante. Et ces rivalités s’intensifient, exacerbées qu’elles sont par la lutte quotidienne pour les maigres donations.
Le phénomène prend même une tournure encore plus inquiétante avec l’arrivée de mendiants en provenance de pays voisins, notamment du Niger. « Beaucoup d’entre eux sont des Nigériens, venus profiter de la générosité des Sénégalais », explique un sous-officier des sapeurs-pompiers, sous couvert de l'anonymat. Ce flux transfrontalier complique encore davantage la gestion du problème. Certains réseaux bien organisés exploitent des enfants et des adultes handicapés pour obtenir de l'argent. « Ils revendent même les dons en nature à vil prix, comme le kilo de mil ou de maïs qui est vendu à 300 FCFA », rapporte un témoin.
Les autorités semblent dépasser par l’ampleur du problème. « On peut gagner 3 000 à 3 500 FCFA par jour ici, mais aujourd'hui, c’est très calme », confie Hamidou, un mendiant et tailleur de son état qui espère retourner un jour au Niger. Seulement, le coût du transport pour rentrer au pays est élevé : « 150 000 FCFA, c’est trop pour nous », se désole-t-il. La situation dépasse les frontières de la capitale, s'étendant jusque dans les banlieues éloignées comme Keur Massar et Niacoulrab, où la mendicité se concentre autour des grands axes. Avec l’absence d’une réponse efficace, la mendicité à Dakar devient une véritable menace pour la sécurité publique. Les embouteillages croissants, l’insécurité, l’insalubrité et la violence nécessite une intervention rapide et décisive de l’État. Les populations, pour leur part, se sentent abandonnées. « Il faut que les autorités prennent ce problème au sérieux, car la situation devient intenable », martèle un habitant des Parcelles Assainies. Face à cette situation critique, une seule chose est certaine : les rues de Dakar continuent d’être le théâtre d’une misère qui ne fait que grandir.