CHAMOISEAU DÉFIE LE STATUT EN MARTINIQUE
Face à la crise que traverse la Martinique, le lauréat du Prix Goncourt 1992 esquisse les contours d'une île réinventée, libérée du carcan de l'assimilation et propulsée vers un avenir émancipé
(SenePlus) - Dans une tribune publiée mercredi 16 octobre sur le site de Marianne, Patrick Chamoiseau, écrivain et lauréat du prix Goncourt 1992, lance un appel vibrant à une transformation radicale de la société martiniquaise. Face à la crise que traverse l'île, il voit une opportunité unique de repenser en profondeur les structures politiques, économiques et culturelles qui, selon lui, étouffent le développement et l'épanouissement de la Martinique.
"Toute crise demeure une opportunité", affirme Chamoiseau, soulignant que les moments de tension peuvent catalyser des changements jusqu'alors jugés impossibles. L'écrivain appelle à "changer la focale" et à adopter une approche globale des défis auxquels fait face la Martinique, rejetant les solutions partielles qui, selon lui, ne font que perpétuer le "système-outremer" en vigueur.
Il dresse une liste ambitieuse de défis à relever, allant de la lutte contre la précarité à l'anticipation des impacts du changement climatique, en passant par la modernisation du cadre institutionnel et l'élaboration d'une stratégie culturelle englobante. Il insiste sur la nécessité de traiter ces urgences "ensemble, dans une intensité égale, circulaire, inter-rétroactive".
Au cœur de son analyse se trouve une critique acerbe du modèle d'assimilation qui, depuis 1946, structure les relations entre la Martinique et l'Hexagone. "L'assimilation est à la colonne vertébrale historique des Antilles dites françaises", écrit-il, dénonçant une "relation de déresponsabilisation institutionnelle, d'assistanat et de dépendances" qui a transformé l'île en une "terre d'hyperconsommation".
Pour sortir de cette impasse, Patrick Chamoiseau appelle à une émancipation qui ne se limite pas à une simple autonomie formelle ou à une indépendance redoutée, mais qui vise à "forger sa propre vision du monde". Cette émancipation passe, selon lui, par un renouvellement profond des processus démocratiques, inspiré notamment par des modèles comme l'e-démocratie estonienne. "De nouvelles ingénieries de participation populaire sont à expérimenter", propose-t-il, évoquant l'idée d'une "démocratie moléculaire" qui reconnecterait les citoyens aux processus de décision.
Sur le plan économique, Chamoiseau plaide pour un modèle "plus égalitaire, basé sur une intention sociale, culturelle, écologique, numérique, circulaire et solidaire". Il met particulièrement l'accent sur l'importance de la souveraineté alimentaire, appelant à la création de "filières agricoles et maraîchères diversifiées, ancrées dans des pratiques agroécologiques et soutenues par des logistiques numériques".
L'écrivain insiste également sur la nécessité pour la Martinique de s'inscrire fortement dans le tissu régional caribéen et de s'étendre vers le reste des Amériques. Il envisage une Martinique qui, "loin d'un nationalisme obsolète, se transformerait (dans un premier temps) en une entité politique sub-nationale, reconnue par les organismes régionaux et internationaux".
Pour concrétiser cette vision, Chamoiseau propose l'élaboration d'une "Charte-pays" qui servirait de base à une révision de la Constitution française. Cette charte viserait à "formaliser une ambition politique intégrant les défis immédiats" tout en inscrivant la Martinique dans une "métapolitique où les enjeux intérieurs et globaux, échappant aux simplifications, conserveraient l'échelle de leur inextricabilité".
La culture, selon l'auteur de Texaco, doit jouer un rôle central dans cette transformation, devenant "le système nerveux de cette émancipation". Il appelle à un renouvellement des pratiques culturelles, les rendant "plus transversales, mieux territorialisées, moins enfermées dans des raideurs essentialistes, en résonance avec les fluidités relationnelles globales".
Enfin, l'écrivain souligne l'importance cruciale de la transition écologique pour l'avenir de la Martinique. Face aux menaces du changement climatique, il plaide pour "la mise en place des énergies de troisième type, de l'économie écologique, sociale et circulaire, et d'un plan-catastrophes" comme "des impératifs de survie collective".