LE MONUMENT DE REIMS, L'HISTOIRE OUBLIEE DES TIRAILLEURS SENEGALAIS
Quand Reims célèbre la mémoire des Tirailleurs, c'est toute une histoire d'héroïsme et de liens humains qui ressurgit. De la défense de 1918 aux mariages mixtes pendant l'occupation nazie, la ville a tissé une relation unique avec ces soldats africains
A partir du 19 novembre à la gare de Reims, et ce pour un mois, les Chemins de fer français vont organiser une exposition sur l’engagement des soldats africains pour la France. Ceci dans le cadre notamment des commémorations des festivités de la Libération et du 80ème anniversaire du massacre de Thiaroye.
Le choix de la ville de mettre à l’honneur les Tirailleurs sénégalais ayant combattu pour la France a une grande importance mémorielle. Car en 1918, les bataillons de Tirailleurs sénégalais ont défendu et sauvé la ville de l’offensive allemande. Ce souvenir marque encore les habitants de cette ville de l’Est du pays. Pour leur rendre hommage, les Rémois se sont donc cotisés pour financer ensemble un monument « Aux héros de l’armée noire », inauguré sous l’ovation générale en 1924. La même année, une réplique du monument est érigée à Bamako, symbole du lien qui unit la France aux tirailleurs ayant combattu au péril de leur vie au cours des grandes guerres.
En 1940, la tragédie reprend ses droits. Les nazis occupent la France, détruisent et imposent aux prisonniers africains un traitement d’une rare cruauté, avant de les orienter dans les travaux des usines de la ville où ils se sont mêlés aux habitants créant ainsi des liens entre Africains et Rémois.
Soutenues par un souvenir commun, ces interactions de plus en plus fréquentes avec la population rémoise ont finalement favorisé la restauration de liens anciens. Dans une logique de cohésion et de partage, Rémois et tirailleurs se sont ainsi engagés dans une relation renouvelée, à la faveur d’un apprentissage du français, de la lecture et de l’écriture, la population rémoise aidant aussi ces soldats à se nourrir et s’habiller. Bien des mariages ont ainsi fleuri dans cette période étrange où tous s’unirent dans le désespoir commun de l’occupation. C’est au détour de tels événements que les Tirailleurs sénégalais ont si profondément entremêlé leur histoire à celle des habitants de l’ancienne métropole. Une fois n’est pas coutume, quelques années plus tard les soldats sénégalais contribuaient à nouveau à la libération de la France, en investissant cette fois-ci leur bravoure dans le débarquement de juin 1944 dont le Sénégal, par une délégation dirigée par le ministre Biram Diop, est allé célébrer le 80ème anniversaire en Provence. Mais au même moment, une nouvelle déchirure se formait encore dans le secret des villes anciennement occupées. Les ex-prisonniers africains ayant noué des liens jusqu’à matrimoniaux avec la population française, se voyaient ouvrir la possibilité de retrouver leur pays. D’ailleurs, à ce sujet, Amadou Mahtar Mbow, décédé récemment, racontait que la gendarmerie française est venue lui demander de rentrer au Sénégal après la Guerre. Il avait répondu : « Donc pour faire la guerre, je suis le bienvenu en France, mais après je dois rentrer chez moi. Je ne vais nulle part, je reste en France pour reprendre mes études ! »
Mais certains n’ont pas eu son cran et sont repartis dans leurs pays respectifs. Des Français se sont ainsi mobilisés pour que leur départ ne soit pas synonyme d’oubli. C’est dans cadre qu’un travail mémoriel est mis en œuvre par des associations, des institutions et des personnalités. Ce travail mémoriel a vocation à rendre hommage aux Tirailleurs sénégalais, à honorer leur mémoire et à souligner leur courage pendant leurs combats au nom d’une cause qui leur est parfois inconnue au fond.
En octobre 1963, un nouveau monument est inauguré à Reims pour honorer la résistance de la ville. Une plaque y figure et témoigne de la reconnaissance rémoise envers les Tirailleurs sénégalais. Acteurs d’une partie l’histoire, il s’agit de perpétuer le souvenir de ces anciens combattants dans la mémoire collective loin des anathèmes, des raccourcis faciles et des jugements a postériori toujours périlleux.
A l’approche du centenaire de la Première Guerre mondiale, en 2014, l’idée de restituer le monument initial et de raviver le souvenir de cette histoire a émergé de nouveau dans la capitale de la Champagne. Le 6 novembre 2018, dans le cadre des célébrations du centenaire de l'Armistice de 1918, le président français Emmanuel Macron et feu Ibrahim Boubacar Keïta ont présidé la cérémonie d'inauguration de ce monument qui trône désormais au cœur de la ville, rappelant l barbarie de la guerre mais honorant la mémoire de cette armée africaine qui a risqué sa vie pour une nation étrangère et permettant sa libération du joug du nazisme. Ce monument aux héros, reconstruit sur le modèle du monument de Bamako, symbolise la mémoire des Tirailleurs sénégalais. Récemment une experte de cette question soulignait que le monument était l’emblème d’une reconnaissance sans borne, pour des soldats à qui il était demandé de se battre sur un sol étranger, contre un ennemi inconnu. Le 19 novembre prochain, c’est donc un retour sur toute cette histoire chargée d’émotion qu’organise la ville de Reims, via la mobilisation de nombreuses archives photos et témoignages de tirailleurs, prêtés par l’Office nationale des combattants et victimes de guerre. Point d’orgue de la journée, une séquence de projection du film Tirailleurs dans lequel notre compatriote Omar Sy est l’acteur principal, est programmée dans un petit cinéma de la ville. Elle sera suivie d’une table-ronde, réunissant spectateurs, étudiants et universitaires spécialistes de la question mémorielle. L’historien sénégalais Cheick Sacko sera notamment à l’honneur et évoquera son travail de plusieurs années sur les monuments français rendant hommage aux soldats africains qui fleurissent et honorent tout le territoire.
Nous espérons que le Sénégal sera représenté à cet évènement pour rappeler le sens du sacrifice de ces héros dont nous commémorons une partie à Thiaroye le 1er décembre prochain. Aussi, cette histoire méconnue du souvenir des Tirailleurs sénégalais à Reims devra être mise en exergue et racontée dans les écoles en France et au Sénégal.