LAT DIOR ET LES RÉSISTANTS
Dans un discours érudit prononcé à Thiès, il a retracé les destins croisés des résistants à la colonisation, de Lat Dior au Bourba Jolof, en passant par Aline Sitoé Diatta. Il a souligné l'importance de la diversité des mémoires comme socle de la nation

Dans son discours, lors de l’inauguration de la statue de Lat Dior hier, jeudi 12 décembre 2024, à Thiès, le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, s’est incliné devant la mémoire de toutes les figures historiques de la résistance coloniale.
Le président Bassirou Diomaye Diakhar Faye en est convaincu. «C’est dans la diversité des mémoires des terroirs constitutifs de la Nation sénégalaise, ouverte sur l’Afrique, que nous construirons un futur de dignité, de solidarité et de cohésion. L’occasion m’est ainsi donnée d’évoquer quelques-unes de ces vies du passé, comme la figure exemplaire du prince du Waalo Sidiyya Ndaté Yalla qui conduisit une insurrection violente contre la mainmise coloniale dans le pays de ses ancêtres. Il eut la clairvoyance d’appeler à une union de tous les États de la Sénégambie pour résister à l’intrusion coloniale».
Poursuivant son propos, il a retracé les faits d’armes du Bourba Jolof. «Quant au Jolof, il nous a donné le Bourba Alboury Seynabou Ndiaye, contemporain, allié et cousin du Damel du Kajoor que nous célébrons ce matin. Pendant plus de 10 ans, le Lion de Yang Yang a toujours répondu présent là où l’appelait le devoir. Ainsi, il prit part à la grande coalition que fut la Ligue Tijaan aux côtés de Saer Maty Bâ, l’héritier de l’almamy du Rip, de Mamadou Lamine Dramé du Bundu et d’Abdoul Bokar Kane, le grand électeur du Bosséa, Émir du Fouta, pour opposer la plus vive des résistances à la poussée impérialiste».
Et de relever : «L’occasion m’est également donnée ici de saluer la mémoire du premier Sultan de Dosso, Maïdanda Hamadou Saïdou Djermakoye. Au cours de son magistère, il a érigé dans l’enceinte de la grande mosquée de Dosso une sépulture digne du fils du Jolof. Ce faisant, il a posé un acte digne de son précoce engagement panafricain qui fait écho à celui du roi du Jolof mort en terre nigérienne».
Selon lui, ces deux destins, celui du Bourba et celui du Djermakoye incarnent à suffisance les idéaux du Panafricanisme qui doivent nous inspirer dans nos actions quotidiennes. «C’est de ce Gabou que partirent, cinq siècles auparavant, les Gelwaar fondateurs des États du Siin et du Saalum. La symbiose qui s’est alors forgée entre ces migrants venus du Sud et les Lamaan du pays Sereer a donné naissance à des valeurs fortes d’abnégation au travail, de droiture, d’humilité, de courage, de respect de la parole donnée et d’ancrage aux meilleures traditions ancestrales. Nous avons un bel exemple illustratif de ces valeurs avec le fameux témoignage en faveur de Cheikh Ahmadou Bamba apporté par le Bour Siin Kumba Ndoffène au péril de son pouvoir voire de sa vie, pour éviter au Cheikh un second exil».
Listant toujours les résistances, il a soutenu que, «parti du Firdu, province sous domination du Gabou, inspiré par Cheikh Oumar Tall, Alfa Molo Baldé a libéré le Fouladou avec le drapeau de l’islam. Son fils et successeur Moussa Molo, pris en tenaille entre les rivalités conquérantes de la France, de l’Angleterre et du Portugal, leur a opposé une forte résistance en jouant sur leurs rivalités».
Concernant toujours la partie méridionale du Sénégal, il a confié : «Quant à la Basse Casamance, elle nous donne à voir une longue résistance populaire contre l’intrusion coloniale. Village par village, les hommes et les femmes de cette région ont réussi à préserver l’intégrité de leur terroir jusqu’à la veille de la Grande Guerre. Aline Sitoé Diatta, la Dame de Cabrousse, a repris le flambeau qui ne s’est jamais éteint. L’histoire retiendra de cette figure historique décédée en déportation au Soudan en 1944, sa lutte farouche contre la remise en cause de la civilisation agraire du terroir, base de la souveraineté alimentaire».
Resistance pacifique à l’occupation coloniale : celle des religieux
Dans sa leçon d’histoire sur la lutte contre l’occupation coloniale, il (qui ?) n’a pas occulté la résistance notamment pacifique celle-là menée par des religieux. «Des hommes nouveaux ont repris l’étendard de la lutte à travers la formation de communautés religieuses adossées sur une spiritualité inaccessible aux armes du colonisateur. Ils ont fait échec à son projet d’aliénation culturelle analysé comme le plus grand danger porté par la colonisation. Cheikhna Cheikh Saad Bouh, Amary Ngoné Ndak Seck, Cheikh Abdoulaye Niasse, Cheikh Bouh Kounta, Seydi El Hadji Malick Sy, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, Seydina Limamou Laye Thiaw ont apporté une réponse efficace à la crise des sociétés sénégambiennes de la fin du XIXe siècle».
A son avis, «Cette réponse trouva ses assises sur la production d’une alternative intellectuelle et religieuse au projet colonial. Ils ont ainsi réussi à préserver l’essentiel, c’est-àdire la foi en Dieu, les valeurs cardinales du travail, de la droiture et de l’intégrité, nourri par es textes des penseurs soufis. Ils sont alors devenus les figures emblématiques de la résistance culturelle et non violente à la domination coloniale et le refuge de tous ceux qui, déboussolés par les turbulences politiques et sociales, cherchent refuge auprès d’un maître pour donner sens à leur vie. Cet héritage se perpétue, de génération en génération, dans les daara appelés à entrer en symbiose avec l’école attendue de la réforme à venir du système éducatif sénégalais». Dès lors, «Donner ce poids au Daara, c’est renouer avec la longue histoire du mouvement maraboutique tel qu’il apparait dans ces pages d’histoire. Sa plus grande victoire en terre sénégalaise est advenue au Fouta avec la révolution Toroodo de 1776 conduite par les deux grandes figures que sont Thierno Souleymane Baal et Abdoul Qadir Kane»
Le président Diomaye Faye de conclure à soulignant que, «Formés à Pire, à Koki, au Fouta Djallon, au Bundu et dans les Zawiya de la Mauritanie, les révolutionnaires ne se sont pas enfermés dans leurs livres au contenu maîtrisé. Ils ont élaboré et mis en œuvre un programme de transformation radicale du Fouta en instituant un système politique électif et décentralisé d’une étonnante modernité. Toutefois, c’est l’éducation qui s’érige comme levier principal de la transformation du système social, avec la mise en place d’un puissant réseau scolaire qui irrigue tout le Fouta, du Dimar au Damnga».