LE DESESPOIR, PILIER FONDAMENTAL DU «PROJET»
Waly Diouf Bodian, plus gendarme que Directeur général, avait pourtant annoncé la couleur : les opposants milliardaires sont incompatibles avec le bon déroulement du «Projet». Au royaume du misérabilisme, avoir de l’argent est un crime de lèse-majesté.

A l’école élémentaire de ma bourgade natale, j’avais un camarade, devenu étudiant en médecine, qui, en classe, avait la manie de lever la main avant de réfléchir. Il s’obstinait à être envoyé au tableau pour, ensuite, mijoter sa réponse devant nos yeux écarquillés, accusateurs. Ce qui ne manquait pas d’irriter l’enseignant, qui le passait à tabac. Opiniâtre qu’il était, il revenait toujours à la charge, avec son antienne au bout des lèvres, pour taper sur la table : «Moi, monsieur !» Je plagie, après Ibou Fall, Madiambal Diagne, le nouvel homme politique devenu taciturne…
Après quelques années dans le maquis pour renverser le pouvoir de Macky, la litanie du «Projet» à protéger en bandoulière, le parti Pastef a été désigné par le Peuple pour aller au tableau, avec tous les outils nécessaires. Objectif : faire du Sénégal, comme l’avait prédit le Pmos, une terre où coulent du lait et du miel, au bout de trois petits mois. Quelques mois déjà d’exercice du pouvoir, résultat : rien. Sinon cibler et traquer des pestiférés (surtout ceux qui trimballent des milliards dans un pays pauvre) jusque dans leurs toilettes. A côté des grandes urgences -la cherté de la vie, les licenciements abusifs, l’atonie de notre économie, les innombrables revendications des différents syndicats, que sais-je encore-, on a droit, cependant, de manière effrénée, à des historiettes au sujet d’éventuels chapardeurs d’argent public. L’essentiel, qui n’est rien d’autre que la satisfaction des énormes attentes du Peuple, est volontairement ostracisé.
L’on est tenté de penser que le parti Pastef est arrivé au pouvoir les mains vides. L’insurrection n’a pas été mâtinée de «Solutions». Les génies taiseux qui étaient chargés de rédiger le «Projet», semble-t-il, se sont momifiés dans leur caverne. Hélas ! Mais le silence suffocant du Palais présidentiel rappelle les énormes promesses faites à la populace, qui croupit dans la misère en attendant mieux. En attendant le miracle. D’où l’urgence de bricoler, dans la confusion et à la sauvette, des initiatives -ou agitations- pour faire mine de se mettre au travail.
C’est le porte-parole du gouvernement, Moustapha Njekk Sarré, qui donne l’information tant attendue : Macky Sall, «chef de gang», sera jugé et, naturellement, jeté au fond d’un bagne. Pour quel motif ? Si le pays est au «troisième sous-sol», complètement ruiné, en mauvais termes avec ses partenaires techniques et financiers, c’est de sa faute. Il s’est arrangé à ce que nos souverainistes, comme se plaignait Diouf à la fin de son règne, «gouvernent dans la douleur».
En un mot comme en mille, nos deux Messies -l’autre miraculé rachitique devenu incidemment président de la République et son «meilleur Premier ministre de tous les temps»- ont hérité d’un pays en ruine dont l’Administration maquille des chiffres. Un Etat faussaire. Macky et sa bande de bouffeurs de deniers publics sont les seuls responsables de cette situation chaotique. On pourrait déduire que, demain, ces «diables boiteux» justifieront leur éventuelle déconfiture. Les partis populistes -Pastef en est unexcellent dans la recherche de boucs émissaires.
La communication gouvernementale est apocalyptique : il n’y a plus rien sous nos tropiques. Les temps sont crépusculaires. Nos dirigeants, tenaillés par leurs grandes promesses électorales, sont décidés à faire émerger non pas l’économie, mais nos peurs, nos angoisses. L’ancien «sanguinaire» et ses acolytes ont tout volé, bradé, falsifié. Par exemple, la dette, largement maquillée par Macky et ses maquilleurs, consume, en réalité, nos entrailles. Bref, tout est en capilotade.
Cette situation exige de tenir un langage de vérité aux 54%, qui piaffent d’impatience en attendant de cueillir enfin les premiers fruits de leur engagement. Le Pmos se veut réaliste, moins belliqueux, voire obséquieux. Il a convoqué certaines forces vives de la Nation -le patronat et les syndicats pour un dialogue sincère, afin de s’extirper de l’abîme. Il faut, prêche-t-il, que chaque partie, à son niveau, fasse des concessions pour redresser ce pays, qui a été pillé pendant plus d’une décennie.
Les sacrifices des gouvernés, et non ceux des gouvernants, sont donc inéluctables. Les Sénégalais, qui doivent se ceindre les reins, essayeront d’accepter l’amoindrissement des salaires, l’arrêt des subventions de l’Etat sur certains produits, l’inflation, etc. Vive l’austérité économique ! Et celle de nos libertés, pourquoi pas ? En tout cas, le Pmos a insinué son souhait de durcir son régime. Démocratie et développement, selon son exposé nuancé de quelques secondes, ne seraient pas compatibles. Avec lui, on n’aura pas droit, pour les cinquante prochaines années, à l’ennui...
Un chef, c’est quelqu’un qui vend un rêve, un devenir, qui mobilise des énergies, harangue des foules, libère des forces. Un chef, c’est aussi, écrit récemment Hamidou Anne, «un propulseur d’espoir et un embrayeur de récits d’espérance, qui chasse les démons de l’apathie et du découragement». Mais, avec nos marchands de cauchemars qui jouent la carte du catastrophisme et du misérabilisme, c’est la rhétorique de l’apocalypse, de la misère, de la souffrance, de l’indigence. Le «Projet», si tant est qu’il existe, a le désespoir, et non le rêve, comme pilier fondamental, comme fil rouge.
Pour finir, je m’enorgueillis tout de même d’avoir raison, d’avoir prédit le déroulement exact de l’histoire. Farba, je vous l’avais dit ! Dans «Le «Projet» de Pastef contre lui-même», tribune en date du 18 janvier 2025 que j’avais publiée dans ces colonnes, j’écrivais ceci : «Quand le Pmos, déguisé en procureur de la République, avait notifié à Farba Ngom -qu’il qualifie péjorativement de «griot de Macky»- que les Législatives étaient la dernière élection à laquelle il participait, il devait deviner que sa dernière demeure sera une geôle.» Quand les déclarations du Premier ministre coïncident avec la décision des juges, il sera très difficile, pour un esprit sérieux, de ne pas penser à la justice des vainqueurs.
Waly Diouf Bodian, plus gendarme que Directeur général, avait pourtant annoncé la couleur : les opposants milliardaires sont incompatibles avec le bon déroulement du «Projet». Au royaume du misérabilisme, avoir de l’argent est un crime de lèse-majesté. Comprendre cela, ce n’est pas Soumbédioune à ingurgiter, après tout.