DÉNI DE JUSTICE
RECEVABILITÉ ET RENVOI DE LA REQUÊTE DE KARIM WADE DEVANT LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL
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La Cour suprême, saisie d’un recours en Cassation d’une ordonnance de la Commission d’instruction de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), a rendu vendredi dernier une décision qui, à l’examen, se révèle être un véritable déni de justice.
Il est vrai que les textes qui organisent la Crei posent un véritable problème de respect des droits de la personne humaine et, dans ces colonnes, nous avons déjà eu à stigmatiser ce fait. Pour autant, le juge de cassation est tenu de respecter scrupuleusement la règle de droit.
Le juge n’est pas législateur et la loi, pour imparfaite qu’elle puisse être, pour mauvaise qu’elle puisse être, s’impose à lui d’autant que le juge de Cassation a pour mission d’interpréter et de veiller à l’application de la loi dans les décisions de justice.
On veut dire de la loi en vigueur telle qu’en aurait disposé le législateur souverain. Le juge n’a pas à dire qu’il n’applique pas la loi parce que celle-ci serait mauvaise ! Autrement, on verserait dans la dérive du gouvernement ou de la République des juges. Dans un système démocratique, chaque institution reste à sa place.
Dans le cas d’espèce de la requête des avocats de Karim Wade contre une ordonnance déclinatoire de compétence rendue par la Commission d’instruction de la Crei, la loi est claire en ce qu’une telle décision n’est susceptible d’aucune voie de recours.
La loi organique sur la Crei détermine de façon limitative les rares décisions des formations de cette juridiction susceptibles d’un recours en Cassation. Ainsi, dès l’instant qu’une décision n’entre pas dans la catégorie de celles susceptibles de recours, la Cour suprême est tenue de décliner ladite saisine par une décision de rejet, fondée sur son incompétence à statuer. Il s’y ajoute que la Cour suprême a ouvert, avec cette décision, la boîte de pandore.
Désormais, eu égard à cette jurisprudence ainsi posée, toutes les autres décisions de la Crei pourront lui être déférées et on pourra assister à un encombrement de procédures.
Au delà de la Crei, toute décision d’une quelconque autre juridiction, en dépit d’une disposition explicite proscrivant un recours en Cassation, pourra être déférée devant cette même Cour suprême qui se déclarerait compétente parce que les juges l’auraient voulu.
Est-il besoin de rappeler que le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire qui n’est empruntée que dans des cas expressément prévus par la loi. Toutes les décisions des juridictions ordinaires par exemple ne sont pas susceptibles de recours en Cassation ! Ainsi, la Cour suprême commet une erreur de jugement quand elle affirme : «Attendu que l’article 13 alinéa 1 de la loi N° 81 54 du 10 juillet 1981 créant la Cour de répression de l’enrichissement illicite, en excluant tout recours contre les décisions de la commission d’instruction, ne saurait s’opposer à la recevabilité du pourvoi manifesté de manière non équivoque» (sic).
Dans la décision en question, la Cour suprême a commis une violation manifeste de la loi en déclarant la requête de Karim Wade recevable.
La haute juridiction n’a pas encore tranché le fond du litige et on se demande encore comment elle procédera si le Conseil constitutionnel rendait une décision de conformité à la Constitution de la loi sur la Crei.
La Cour suprême ne pourra pas se dédire en invoquant une quelconque incompétence car, c’est après avoir admis sa compétence qu’elle a pu en tirer la conséquence de donner une suite à la demande de Question prioritaire de constitutionnalité (Qpc). D’ailleurs, la Cour suprême aurait statué sans même avoir dans le fond de son dossier l’ordonnance de la Crei déférée en cassation. Une telle méprise serait encore grave.
Aussi, en étudiant la décision rendue, on se rend compte de façon évidente, que le juge de Cassation s’est substitué au juge constitutionnel au niveau duquel il vient pourtant de déférer la Qpc. En effet, dans leurs motifs, les juges de la Cour suprême ont révélé leur point de vue sur l’inconstitutionnalité supposée de la loi sur la Crei.
Les motifs invoqués sont sans équivoque. Pour les juges de la Cour suprême, la loi sur la Crei n’est pas conforme à l’esprit et à la lettre de la Constitution encore moins aux traités internationaux auxquels la République du Sénégal a souscrit.
Dans un dispositif institutionnel qui ne comprenait pas un Conseil constitutionnel, ou même si elle officiait en qualité de Cour des droits de l’homme, la posture de la Cour suprême serait acceptable mais force est de dire que dans son analyse, la Cour suprême a dévalisé des arguments qui devraient être, à tout le moins, ceux du Conseil constitutionnel qui examinerait la question en fonction d’un bloc de constitutionnalité.
La Cour suprême s’est substituée au Conseil constitutionnel ou a tout simplement préjugé de la décision que le Conseil constitutionnel devra prendre.
Pis, dans un accent philosophique, la Cour Suprême fait la leçon de morale au législateur dans le sens où elle affirme : «Attendu que la loi doit être la même pour tous : que si le législateur peut prévoir des règles de procédures différentes, c’est à la condition que cela ne porte pas atteinte aux principes précités et que soit assuré au justiciable des garanties égales notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l’existence d’une procédure juste et équitable…»
Par ailleurs, la Cour suprême vient de provoquer une situation qui va plomber le traitement judiciaire du dossier Karim Wade.
Le Conseil constitutionnel pourra statuer dans un délai de 2 mois avant que le dossier ne puisse revenir éventuellement à la Cour suprême qui prendrait le temps nécessaire pour statuer sur le fond de la requête des avocats de Karim Wade.
En attendant, les délais d’instruction impartis à la commission d’instruction de la Crei seraient largement dépassés. Karim Wade gardera-t-il la prison au-delà des délais d’instruction ? Est-ce que la Crei se décidera de le libérer à l’issue des délais d’autant que cette juridiction ne serait pas responsable de la lenteur de la procédure.
Karim Wade et ses avocats pourront-ils se prévaloir de leur «propre turpitude» ?