WADE SUPERSTAR DE LA MANIP
RETOUR EN GRÂCE DE L’ANCIEN CHEF DE L’ÉTAT
Après de regrettables péripéties qui relèvent davantage de la manipulation politique que de procédures aéroportuaires, l’ex-président Wade est au Sénégal. Ses deux ans d’absence n’ont en apparence rien changé en l’homme.
Vivace, malgré le poids de l’âge, 87 ans officiellement, 90 au moins. Populaire et perspicace comme aux bons vieux temps du Sopi. Sagace, comme l’opposant qu’il a été dans ses multiples bras de fer avec les régimes de Senghor et Diouf. Démagogue, manipulateur comme il n’a jamais cessé de l’être malgré les douze années restés au pouvoir.
Wade, en réalité, reste entiché dans un triangle dramatique : Un, lui, ses partisans et les Sénégalais seraient les victimes expiatoires d’un régime incompétent et ingrat. Deux, sa mission messianique au Sénégal devrait l’amener à être le sauveur d’une nation en peine. Et trois, forcément à devenir le persécuteur, contraint d’utiliser la violence physique au besoin, pour contrer la violence institutionnelle du régime actuel.
Sans doute, pour Wade, les paradigmes ne sont plus les mêmes depuis 2000. Il a été confronté aux réalités du pouvoir avec les résultats qu’on sait. Globalement positifs pour certains, négatifs, dégradants, voire saccageurs, en termes de valeurs pour les autres.
C’est connu, la ruse est le levier essentiel sur lequel il agit pour gérer ses relations, gouverner et se valoriser. C’est par cette technique que Wade transforme ses défaites en victoires. Réduit, avec feinte humilité, ses victoires en étapes ou jalons vers d’autres annoncées plus amples encore.
Ce Wade, le prométhéen et le démiurge, s’est révélé à nouveau aux Sénégalais, alors qu’on croyait cet ante-Christ à jamais enterré. Personne ne se doute, pourtant que sortir son fils Karim Wade de son cachot constitue la motivation première de son sulfureux come back.
Et pourtant, dans ses déclarations, le sauveur d’un peuple en déshérence transparaît beaucoup plus nettement que sa détermination à venir à la rescousse de son fils et des 25 autres responsables libéraux en délicatesse avec la justice. Et pourtant, pour qui connaît Wade, sait qu’à la bourse de ses valeurs, le devenir de son fils compte bien plus que le quotidien des Sénégalais ou encore l’avenir politique ou physique de ses frères.
L’histoire politique de notre pays est encore trop récente, et les réminiscences de ces douze dernières années, avec leurs blessures profondes et cicatrices mal fermées, encore trop fraîches, pour qu’on puisse oublier ce qu’a été Wade-fils sous Wade-père.
Il est vrai que quand un peuple souffre durement de misères sociales et économiques interminables, après douze ans de souffrances et une alternance mouvementée, quand les ruptures politiques promises se révèlent chimériques, les dérives népotiques monnaie courante, la gouvernance sociale et économique défaillante, l’éthique tout simplement délitée, alors la désespérance s’installe.
La tentation de s’accrocher au premier pis-aller devient un recours providentiel. Même au risque d’oublier le pedigree d’un homme et d’un régime dont, rien que le souvenir, devrait donner plus froid au dos que le délirant accueil de vendredi soir, à Khombole, Bambey et Touba.
Peu importe qu’il ne s’agissait que de militants du PDS nostalgiques, transportés, habillés, «perdiémisés», de désespérés et déçus de la seconde alternance ou de curieux et autres badauds en mal d’occupation. Le fait est que des dizaines, voire centaines de milliers de Sénégalais, sont venus accueillir Wade. L’ont écouté en buvant ses paroles. L’ont adulé et l’ont plébiscité.
L’ont-ils cru ? Certainement. S’ils ont bien retenu la leçon du Vieux, les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Wade dixit.
Mais pour Wade, les promesses ne sont ce qu’elles valent, c’est-à-dire, ce qu’il ne fera jamais. Les militants ne sont que ce qu’ils sont pour lui, une masse taillable et corvéable, même parfois à vil prix, un levier, un faire-valoir, une pièce justificative d’une mobilisation échafaudée à coup d’espèces sonnantes et trébuchantes orchestrée, une légitimation. En somme, un moyen d’action modulable, à géométrie variable dont il peut se servir comme il veut. Quand il veut.
C’est à travers cette grille de lecture qu’il faut comprendre et appréhender le retour de Wade. Il ne serait pas surprenant qu’il cherche tout simplement à déclencher avec ses ficelles, une réaction plus bienveillante des autorités pour la libération de son fils. La fin justifiant, toujours pour lui, les moyens.
Son message ne souffre d’aucune ambiguïté, pour qui sait le décortiquer : libérez Karim, et vous aurez la paix ! Comment le pouvoir aura-t-il l’intelligence de l’interpréter et d’ajuster une réponse intelligente. Fort heureusement, les forces de l’ordre ont jusqu’ici réussi à éviter toute bavure policière qui n’aura pas déplu à Wade, si prompt à se victimiser.
Wade a sans doute gagné la première manche d’une confrontation, dont personne ne peut se douter qu’elle sera longue et rude. C’est le premier test sérieux de la solidité d’une coalition déjà en grande délicatesse.
Fait curieux, les alliés du Président Macky Sall pourraient être les premiers bénéficiaires de la contre-offensive wadienne. Pour faire face aux perspectives de remobilisation, voire de refondation de la famille libérale, autour du dénominateur commun et de la constante Wade, ils se rendraient ainsi indispensables à Macky dans sa stratégie de contenir, voire réduire, le vieux renard en retour de grâce. La bande des «cinq» comme les qualifie déjà Wade avec un brin de provocation, devront donc reprendre du service, pour continuer à exister.