SILENCE D'ÉTAT
LIVRE EXPLOSIF SUR LA GENDARMERIE

Le tsunami causé par le brûlot du Colonel Abdoulaye Aziz Ndaw n’a pas semblé affecter le palais de la République, où s’est tenu, hier, le conseil des ministres.
Selon nos sources, le scandale révélé par l’ancien Haut commandant en second de la gendarmerie n’a pas été évoqué par le Président Macky Sall, son nouveau Premier ministre, Mahammed Dionne ou ses ministres. Motus et bouche cousue.
C’est comme si rien ne s’était passé, alors que le pays ne bruit que des révélations contenues dans ce livre et déflorées pour l’essentiel par EnQuête.
Selon nos sources, cela découle d’une stratégie savamment déroulée qui consiste à dédramatiser par le silence, pour éviter que l’affaire n’enfle jusqu’à certaines proportions.
EnQuête s’est rapproché des canaux officiels de communication de la gendarmerie, pour recueillir une réponse officielle. Réponse : “No comment”. C’est visiblement la consigne donnée un peu partout.
Le Général Fall cloué à Lisbonne
Pendant ce temps, le Général Abdoulaye Fall, ancien Haut-commandant de la Gendarmerie, qui était attendu à Dakar, ne vient plus. En tout cas pas dans l’immédiat, selon des sources dignes de foi.
Sans pouvoir confirmer cette information, il est très probable qu’on lui ait demandé de rester sur place ; le temps que la tempête passe. Et sans doute que de très hautes autorités lui ont parlé. Mais enfin, on verra bien comment cela va évoluer.
EnQuête jouant la carte de la parfaite neutralité, les colonnes de notre canard lui sont toutes ouvertes. Pour l’heure, il faudra continuer à surveiller les actes qui seront posés dans les jours à venir.
Car, il est indéniable qu’il y aura une suite dans cette affaire qui est d’une extrême gravité et qui est particulièrement suivie par certaines représentations diplomatiques établies sur la place dakaroise.
BAÏLA WANE, ANCIEN DG DE LA LONASE
“Les accusations du Colonel Ndaw sont légères”
Cité dans le livre du colonel Abdoulaye Aziz Ndaw “Pour l’honneur de la gendarmerie”, l’ancien directeur général de la Loterie nationale sénégalaise (Lonase) a tenu à réagir.
Dans un document transmis à EnQuête, Baïla Wane soutient qu’il n’a jamais évoqué un seul dossier de la gendarmerie avec l’ancien ministre des Forces armées, Bécaye Diop, encore moins avec Lamine Faye, le neveu et garde du corps de l’ex-président de la République, Abdoulaye Wade.
“Je n’ai jamais envisagé des stratégies concertées pour nuire à quelqu’un encore moins le général Fall avec qui j’entretenais d’excellentes relations d’amitié et de fraternité depuis qu’il était au palais”, déclare-t-il dans la note.
Donnant sa version des faits, Baïla Wane avance : “contrairement à ce qui est raconté dans le livre, c’est moi-même qui ai pris la décision d’appeler le général Abdoulaye Fall pour qu’il reçoive un certain Amdy Diagne. Ce dernier soutenait détenir un dossier le concernant “.
En tout état de cause, Baïla Wane souligne : “les accusations faites par le colonel Ndaw contre le général Fall et le ministre Bécaye Diop sont aussi légères que celles qui sont tenues contre ma propre personne “.
RÉVÉLATIONS DU COLONEL NDAW SUR L’EXISTENCE DES CAISSES DE BRIGADE
D’anciens sous-officiers de la gendarmerie s’inscrivent en faux
Des brigadiers à la retraite se sentent insultés par les mots du Colonel Abdoulaye Aziz Ndaw, après la sortie de son brûlot sur la gendarmerie nationale.
Djiby Ndiaye a effectué 34 ans de service, avant sa retraite en 1995. Titulaire de la médaille d’honneur de la gendarmerie, il marque sa déception quant aux révélations de l’ex-numéro deux de gendarmerie concernant l’existence de caisses dans les brigades.
"Je suis complètement déçu par le Colonel Ndaw. Il est en train de ternir l’image de toute la gendarmerie. Il traite tous les brigadiers de corrompus”. L’ancien gendarme, ayant fait presque toute sa carrière en brigade, affirme “qu’il n’y a jamais eu de caisse de brigade. Il explique la procédure, du temps où il était en service.
“Le commandant de compagnie savait que la totalité des brigades qui composent sa compagnie envoyaient des éléments sur la route. Il connaissait les dates et les heures. Souvent, le commandant de compagnie ou son adjoint se déplaçait sans informer personne et cela souvent 15 minutes, avant la fin du service. Il contrôlait le carnet des amendes forfaitaires et calculait l’argent et si tout était en conformité, il donnait ses observations”. Tout cela, selon lui,
“c’était pour savoir si le gendarme mettait l’argent dans sa poche ou dans les caisses de l’Etat. Les carnets d’amendes forfaitaires “étaient donnés à la brigade par le Trésor et le gendarme de retour donnait l’argent, et le carnet était déchargé par le commandant de brigade qui, chaque semaine ou chaque 15 jours, se rendait au Trésor pour verser l’argent encaissé”.
D’ailleurs, fait-il renseigne que “des gendarmes ont été révoqués et sanctionnés, parce que simplement on a trouvé de l’argent dans leurs poches”. “Comment ces gendarmes peuvent créer des caisses pour les donner à des officiers ?”, s’interroge-t-il.
Aussi, “lorsqu’on nous parle de commandant de brigade qui partage ou qui verse à une société quelconque de l’argent, nous, on n’a jamais vu ça. Et si le Colonel le dit, c’est un mensonge. Il ne sait même pas, en tant qu’adjoint, ce qui se passe dans la gendarmerie”.
“S’il a des problèmes avec le Général Fall...”
Même son de cloche chez l’adjudant-chef Oumar Boye, à la retraite depuis septembre 2006, qui a, à son actif, 34 ans de bons et loyaux services. L’ancien commandant de brigade à Pété et à Dahra, chevalier dans l’Ordre national du Lion, médaillé militaire en Haïti et en Côte d’Ivoire, se dit abattu par les mots du Colonel Abdoulaye Aziz Ndaw.
“Je suis abattu, sidéré. Je ne me retrouve même plus dans cette gendarmerie. Le Colonel se permet de dire que les brigadiers créent des caisses au niveau des brigades pour les remettre aux officiers. Comment il a fait pour savoir cela ? Est-ce qu’il n’a pas reçu de l’argent en ce sens?” se demande-t-il.
Selon l’ancien gendarme, “s’il a des problèmes avec le Général Abdoulaye Fall, Haut commandant de la gendarmerie, c’est son problème. Il n’a qu’à le traiter avec le Général... Un officier doit avoir l’amabilité de dire la vérité, rien que la vérité. Mais, de grâce, supplie-t-il, qu’on laisse les brigadiers avec toute la discipline possible pour qu’ils fassent leur travail”.
L’adjudant-chef Oumar Boye de souligner qu’ils ont été gendarmes bien avant lui :
“ En 1975, il était élève officier à l’école. Il est connu par tous les gendarmes du Sénégal “, précise-t-il, avant de laisser entendre que du moment que le Général Abdoulaye Fall l’a nommé devant plus d’une quinzaine d’autres officiers, il aurait dû avoir l’amabilité et le ‘ngor ak diom’, de parler autrement”.