COURSE INFERNALE POUR LES TOUTS-PETITS
TRANSPORT D’ENFANTS DANS LE PRÉSCOLAIRES LES MATERNELLES ET GARDERIES D’ENFANTS

A Dakar comme dans d’autres villes du Sénégal, les petits enfants se rendent très tôt à l’école. Maternelles, garderies et préscolaires sont à la mode et déclassent même les écoles coraniques, jadis lieu de formation des tout petits. Si ces institutions poussent comme des champignons à Dakar, leur réglementation est matière à controverse. Les directeurs de ces structures se frottent les mains en proposant divers services pour accueillir plus d’enfants. Certains font dans le bilinguisme pour appâter les parents, d’autres proposent un service de transport aux parents, sous le prétexte de leur alléger la charge. Mais les véhicules proposés sont souvent dans un état lamentable. Les enfants y sont entassés comme de la marchandise en vrac. Ils sont pour beaucoup obligés de faire le tour de la ville avant d’arriver à l’école ou à la maison, alors que certains sont debout dès potron-minet. Une tournée s’est imposée au cœur de cet univers d’enfants pour mieux cerner leur calvaire quotidien.
Un tour rapide dans les principaux établissements du centre ville pour se rendre compte de la manière dont les enfants sont transportés pour arriver à l’école. Les situations sont contrastées, mais le meilleur est encore juste un rêve pour la majorité des écoles, malgré les sommes que les parents sont obligés de débourser.
Un mini bus à Yavuz Selim
Oumar Coulibaly, 34 ans est chauffeur à l’école Yavuz Selim depuis 4 mois. Cette structure d’origine turque accueille près de 700 élèves et chaque classe en contient 28. Coulibaly transporte les élèves le matin à 6h et aux heures de sortie de l’école, à 13h 30 et 16h. L’homme assure avoir exercé depuis longtemps le métier de chauffeur. «J’ai débuté le métier à l’âge de 18 ans» confie-t-il. «Ce minicar m’appartient. Au début, on me louait, mais je suis actuellement sous contrat et cela depuis 1 mois» affirme-t-il.
Oumar Coulibaly se réjouit d’avoir en plus, des notions de mécanique. «Il arrive souvent que le car tombe en panne en cours de route. Cela a été le cas le vendredi dernier. Mais comme j’ai des connaissances en mécanique, je l’ai rapidement réparé et l’on s’est remis en route» se félicite-t-il.
Cheikh Sadibou Diop, un chauffeur qui dit bien connaître le monde du transport, révèle que ses collègues qui cherchent à arrondir leurs fins de mois se livrent parfois à des pratiques mesquines. «La plupart de ces chauffeurs font le trajet Dakar Yoff-Aéroport. Ils s’empressent à l’heure de descente, de déposer les clients pour aller chercher les enfants à l’école». Ce qui pour lui, explique les pannes fréquentes et les retards que subissent les élèves en matière de transport.
Ndèye Ngilane, chargée du ramassage des élèves, confie que les gens qui s’occupent du transport à Yavuz Sélim ont leur bureau au sein-même de l’institution. Elle assure en outre que le travail est difficile. «Il s’agit de ramasser les élèves dès le matin et de les ramener chez eux. Je n’ai pas de contrat, même s’il n’empêche que je suis payée chaque mois».
La jeune dame de 33 ans, révèle en outre que pour faire le métier, il faut beaucoup de maîtrise de soi. «Les parents d’élèves se plaignent fréquemment. Surtout lorsque nous ramenons tard les enfants ou que nous les grondons». Ayant suivi le bus dans l’espoir de rencontrer un parent d’élève, nous n’en n’avons rencontré qu’un seul. Ndèye explique qu’à cette heure de l’après midi, «la plupart des parents vont au travail ; vous n’y trouverez que les bonnes».
A chaque bas de porte, Ndèye se lève pour ouvrir la porte du bus aux enfants. Pour certains, elle prend la peine de sonner à la porte ; pour d’autres elle ne se donne pas cette peine et s’empresse de partir aussitôt que l’enfant descend du véhicule.
Parole des parents
Après deux heures de trajet, le véhicule arrive enfin à la dernière demeure. Un coup de chance ! Les parents de Saliou Diallo se trouvent à domicile. Accueilli par le gardien au pied de la porte, le petit Saliou est ravi de retrouver les siens.
«Après 2h de route, il a bien raison» lance sa maman. «Cet enfant vit un calvaire au quotidien. Nous payons chaque mois 60.000 fcfa pour le transport de son frère et lui. N’empêche que le service laisse à désirer. Son papa le déposait à l’école, mais depuis que sa voiture est en panne, nous n’avons plus le choix.
Nous sommes obligés de recourir au bus qui tombe fréquemment en panne et Saliou revient très tard. C’est pénible pour un enfant» se désolet-elle. A la question de savoir s’il préfère la voiture de son papa ou le bus, Saliou vote sans rechigner pour celle de son pater Samba Bathily Diallo.
Seyda Top, rencontrée à la porte de l’Ecole maternelle Reine Fabiola est une jeune dame de 25 ans environ, venue chercher ses petites sœurs et frères. Pourquoi ce choix ? Elle explique que c’est plus facile pour elle. Elle prend chaque jour un taxi pour ramener ses frères aux Hlm. Autrement, c’est la mère qui vient les chercher quand elle revient de son service. «C’est plus pratique», assure Seyda.
Une autre dame trouvée dans sa voiture, attend la sortie des classes pour ramener ses enfants. Pour elle, c’est plus sûr puisqu’elle a les moyens et n’habite pas loin. Ndèye Maty elle n’a pas de voiture, mais vient chercher tous les jours ses enfants en taxi. Mais déplore la cherté du transport «3000 frs chaque jour, ce n’est pas donné à tout le monde !» s’exclame-t-elle.
Bintou Ndiaye, une jeune maman, préfère venir récupérer son enfant elle-même parce que confie-t-elle, «avec tout ce qu’on entend à Dakar, ce n’est pas sûr de laisser son fils dans la rue».
Mots des directeurs à Yavuz Selim, Reine Fabiola, Keur Arame et Blossom Academy
Le groupe Yavuz Selim est présent à Dakar depuis un certain nombre d’années, pendant lesquelles il a connu une forte expansion. Le groupe scolaire a ouvert plusieurs annexes. Pourtant, s’agissant des difficultés de transport que connaissent les élèves, la directrice de la préscolaire dégage toute responsabilité de son institution.
«Au début, l’école avait acheté des bus neufs. Mais ceux-ci firent long feu à cause de leur mauvaise gestion. Nous avons engagé par la suite des structures privées pour assurer le transport des élèves. Chaque parent devait verser 30.000fcfa. Mais certains ne payaient pas et nous avons alors rompu le contrat avec cette structure.
Actuellement, ce sont les parents qui prennent eux-mêmes en charge le transport de leurs enfants». Mme Diallo reste très laconique car elle ne veut pas s’étendre sur la situation du transport.
Mais elle explique néanmoins comment les choses ont évolué depuis un certain temps. «Tout ce que je peux vous dire, c’est que le transport est actuellement géré par un privé. Les parents versent chaque mois 25.000 ou 30.000 fcfa». Elle explique que cela est dû au fait que certains parents déposent leurs enfants à l’entrée le matin, mais ne peuvent pas revenir les chercher à la sortie des cours.
Awa Ndiaye, directrice pédagogique de la section Point E de l’Ecole Reine Fabiola avoue que sa structure a fait le choix de ne pas se doter de bus de transport. «Nous préférons que les parents déposent eux-mêmes leurs petits et qu’ils viennent les rechercher vers 13h». Elle explique qu’à cet âge, l’enfant a encore besoin de ses parents.
«C’est risqué de les laisser seuls dans des bus. Il est important pour l’enfant d’avoir un peu plus de contact avec ses parents. Nous leurs expliquons cela et ces derniers l’acceptent sans problème. S’y ajoute que l’itinéraire des bus est parfois très long.
Et c’est compliqué de perturber le sommeil d’un môme à 5h. Etant donné tous ces éléments, nous nous sommes dit que ça ne valait pas la peine» dit-elle. Mame Absa Dieng adjointe de la directrice dans la même structure, partage cette opinion.
«Au point E, il n’y a pas de bus pour transporter les enfants. Parce qu’à deux ans, les enfants sont encore trop petits pour être laissés aux mains de chauffeurs et de convoyeuses. Nous disposons par contre de bus pour le transport des enfants de l’élémentaire. Les parents versent 20.000 à 25.000 fcfa», explique-t-elle. Elle précise toutefois que c’est une structure privée qui se charge d’emmener et de ramener les bambins. «Un bus nécessite beaucoup de moyens humains. C’est compliqué, alors on a préféré engager un privé».
A l’école Reine Fabiola, la demande est plus importante que l’offre pour ce service de transport d’enfants. La directrice adjointe renseigne que ces véhicules de transport pour la plupart, sont loués auprès des privés. «Ces derniers ont d’autres engagements qu’ils remplissent aux heures creuses des écoles, et ne viennent qu’aux heures de ramassage et de sortie des cours».
M. Issa Sangharé, le responsable administratif de la maternelle Keur Arame à la Sicap Baobab, indique que cet institut possède cinq cars qui font chaque matin à partir de 6h, le tour de la ville. «Ils desservent Médina, Sacré Cœur, Mermoz. Ainsi que quelques zones de la banlieue Hlm, Guédiawaye, Parcelles assainies».
Alioune Coulibaly, responsable du transport dans ledit préscolaire note que même si les parents se plaignent parfois des retards et des pannes de véhicules, des textos leurs sont régulièrement envoyés pour les rassurer. «Des convoyeuses accompagnent les chauffeurs, elles se chargent de repérer les maisons et de surveiller les enfants dans les véhicules».
A Blossom Academy, une nouvelle maternelle bilingue basée à la cité Keur Gorgui sur la Vdn, les cours sont dispensés en français et anglais. La directrice technique est Merry Sarr. L’établissement qui a ouvert ses portes en 2013 n’est pas encore doté de bus. Ce sont les parents, pour la plupart véhiculés, qui transportent leurs gosses, explique la dame.
Elle indique toutefois que l’école compte bien s’en doter, dans la mesure où «c’est une nécessité aujourd’hui. Ça décharge et libère les parents qui sont bien trop occupés par leurs travail». Mme Niang de l’école préscolaire Le petit futé, ne dit pas autre chose.
La situation vue de l’Inspection de l’éducation et de la formation de Dakar-plateau
Rien qu’à Dakar Plateau, il y avait en 2014, 6010 élèves dans le préscolaire, contre 5782 en 2013. En 2014 près de 4850 de ces enfants étaient dans les structures privées. Entre 2014 et 2015, le nombre de structures préscolaires est passé de 38 à 43 à Dakar Plateau. Cette évolution fulgurante exige alors une réglementation serrée, selon l’Inspection de l’éducation et de la formation de Dakar Plateau.
Il semblerait même que les documents nécessaires pour ouvrir une institution préscolaire sont très simples. Outre le dossier du déclarant responsable et du directeur technique, le dossier de l’établissement doit être inclus au même titre. «Les procédures restent les mêmes», renseigne Abdoulaye Diallo planificateur à l’Ief de Dakar Plateau.
Il s’agit de fournir une note sur les buts de l’établissement, le plan des locaux, les diplômes préparés, les programmes et horaires, les conditions de recrutement des élèves, le nombre d’enseignants et de classes prévus, les membres du personnel administratif, ainsi que le titre de propriété ou le contrat de location. Il n’est fait mention nulle part d’un document sur le transport des enfants.
M. Guèye inspecteur de l’éducation à Dakar plateau, note que cet aspect n’est pas pris en charge par ses services. «Même si l’inspecteur est regardant sur l’environnement scolaire, les questions relatives aux transports ne sont pas prises en compte par lui. Les bus de transport sont gérés en interne par les établissements scolaires. Dans le public, les élèves gèrent eux-mêmes leur transport. Mais dans le privé, les écoles possèdent leurs propres moyens de transport. Ce qui nous préoccupe nous, c’est que l’élève arrive à l’heure à l’école. Le reste ne nous regarde pas».
Massamba Diagne du Bureau des privés de l’Ief des Almadies exprime exactement la même opinion. «L’inspecteur ne fait que contrôler la qualité de l’enseignement, assurer un suivi ainsi que l’encadrement des établissements. Hors de cela, il a outrepassé son rôle».
Irresponsabilité : Tout le monde dans le car de la démission
Les véhicules transportant les enfants en bas âge sont pour la plupart dans un état de délabrement avancé. Des véhicules vétustes, sans freins, des enfants entassées dans ces carcasses comme s’ils ne méritaient pas d’évoluer dans un bon cadre.
Des véhicules tellement lugubres qu’on se demande s’ils ne risquent pas de tomber en panne en cours de route. Le reportage a permis de mettre le doigt sur la responsabilité des parents qui démissionnent de leur rôle de protecteurs de leurs enfants.
L’administration du préscolaire, qui ne se préoccupe que du pactole qu’elle amasse sur le dos de parents insouciants, ne fait pas montre de plus de maturité dans l’affaire. Mais il ne faut pas écarter l’inertie des autorités face à cette situation. Le mutisme de la population qui agit comme complice de ces manquements est aussi à décrier.