"IL EST TEMPS DE DOTER LE SÉNÉGAL D'UNE MAISON DES ARCHIVES"
FATIMATA CISSÉ DIARRA, DIRECTRICE DES ARCHIVES DU SÉNÉGAL
Fermée depuis le 24 octobre dernier, la Direction des Archives du Sénégal est sur le point d'établir ses nouveaux quartiers au Central Park (les 4C) en raison de la réhabilitation du Building administratif. Dans cet entretien accordé à EnQuête, la directrice Fatimata Cissé Diarra revient sur les modalités du déménagement, sur le projet de numérisation des Archives nationales et invite l'Etat à concrétiser le projet de construction d'une maison des Archives.
Vos locaux ne sont plus ouverts au public depuis quelques mois. Qu'en est-il exactement ?
La réalité, c'est que depuis le 24 octobre dernier, les archives nationales du Sénégal, qui un service dans les archives du Sénégal en opposition avec les services régionaux des archives, sont fermées au public pour cause de réhabilitation du building administratif qui abrite ce service depuis 1954. La fermeture des archives depuis 4 mois pose problème à la communauté des chercheurs nationaux comme étrangers. Parce que nous recevions au moins 30 à 35 chercheurs par jour. Depuis la fermeture, nous ne cessons de recevoir des demandes de communication et des interpellations de partout.
On parle de plus en plus de délocalisation. Où en êtes-vous avec ce projet ?
Nous avons toujours pensé quitter le building administratif pour déménager dans la maison des archives. C'est le vœu le plus cher de la communauté archivistique nationale. Tous les autres ministères qui occupaient le bâtiment sont partis vers d'autres lieux à l'exception du service des archives nationales. La cause de notre présence toujours dans les lieux est due à la spécificité des archives. Ce n'est pas du jour au lendemain qu'on peut les transférer d'un local à un autre.
Est-ce qu'il n'y a pas un risque de perte de documents ?
C'est un grand défi qui nous est lancé et que nous essaierons de relever. Nous avons préalablement défini un plan de déménagement. Ce plan a été élaboré et nous y travaillons depuis des mois. Depuis la semaine ayant suivi la fermeture du building, nous avons procédé à des activités de recollement des fonds pour recenser l'ensemble des collections conservées aux archives nationales. Nous travaillons également à l'identification des documents les plus fragiles pour nous permettre, une fois dans les nouveaux locaux, d'être opérationnels.
Ces nouveaux locaux dont vous parlez sont-ils déjà disponibles ?
Ils sont disponibles depuis le 8 août dernier. Nous avons reçu une notification de l'affectation de locaux d'une superficie de 2 500 mètres carrés à Central Park communément appelé le centre commercial les 4C. Nous avons effectué des visites sur les lieux à maintes reprises. Nous avons lancé un dossier de renseignement des prix le 31 janvier dans le journal L'Observateur.
Concrètement qu'est-ce qui retarde le déménagement ?
Ce sont les lenteurs administratives qui posent problème. Parce qu'après avoir reçu la notification de l'affectation de ces locaux, des crédits ont été mis à notre disposition. Mais il faut suivre les règles du code des marchés publics. Depuis le 30 janvier, un avis public a été publié en procédure d'urgence pour 15 jours. Au 15e jour, nous avons procédé à l'ouverture des plis. Après cela, nous avons procédé à la publication des attributions provisoires parues le 6 mars dernier. A ce jour, nous avons reçu quelques recours auxquels nous avons apporté des réponses. Je me refuse de me fixer des délais parce que tout ne dépend pas de moi-même. Mais nous serons fin prêts dès que le marché sera attribué.
En attendant, les usagers doivent donc prendre leur mal en patience ?
Oui. Ils doivent encore patienter. Ils n'ont pas le choix, nous non plus. Cela nous fait mal parce que nous ne connaissons que les archives. Nous avons même perdu l'âme de nos locaux parce que chaque matin, on était envahi par des dizaines de chercheurs qui venaient régulièrement. Maintenant, nous nous rendons compte que nous sommes seuls dans ce building administratif.
Le personnel des archives nationales est-il en chômage technique ?
Nous continuons de travailler. Tous les jours nous sommes là pour faire du recollement. Ça nous permet de revisiter nos fonds et collections, de fond en comble, de numériser nos collections qui sont en état de détérioration ou de restaurer certains documents. Nous avons une grande conscience du patrimoine archivistique national conservé ici. J'ai même consigné le personnel à venir régulièrement et d'éviter les absences sauf en cas de force majeure. Cela afin de veiller sur une partie de ce riche patrimoine qu'on partage avec d'autres pays. C'est la raison de notre présence massive dans ces locaux en chantier malgré les désagréments.
L'actualisation des archives pose problème. Selon certaines indiscrétions, le service public ne fait plus de versement. Qu'en pensez-vous ?
Le problème de l'actualisation des archives n'est pas nouveau. C'est une situation malheureuse que nous vivons parce que depuis plus d'une décennie, les archives publiques ne sont plus versées aux archives nationales du fait de la situation des locaux. C'est pourquoi nous appelons les pouvoirs publics à doter le Sénégal d'une maison des archives moderne et fonctionnelle qui puisse prendre en charge correctement l'immense patrimoine archivistique national.
Quelles dispositions comptez-vous prendre pour que les documents restent intacts ?
Nous allons procéder à une DRP pour le transfert des documents, du mobilier et des collections de la bibliothèque dans les conditions les plus idoines. Nous avons convenu de mettre à la disposition du déménageur des archivistes professionnels de l'institution nationale d'archives. Les archivistes de la maison superviseront le déménagement et le transfert des documents. Du chargement des documents à leur déchargement au 4C en passant par leur transfert dans les camions. La plupart des gens me posent la question en terme global de numérisation des archives nationales. Et là je leur réponds tout de go que ce sont pratiquement des profanes qui raisonnent de la sorte. Tous mes prédécesseurs ont eu leur propre projet spécifique de numérisation. Que ce soit pour les journaux anciens comme Paris-Dakar, Dakar Matin, pour des fonds spécifiques, ou pour des rapports politiques de l'époque coloniale, tous ces projets sont tombés à l'eau.
Pourquoi ces projets n'ont pas abouti ?
Parce qu'il faut des fonds, des moyens matériels et humains. La numérisation a un coût. C'est certes une opportunité qui se présente aux professionnels de l'information documentaire à l'époque moderne mais elle a ses coûts. Le dernier projet en date est celui de numérisation des archives de l'AOF. Un projet que la France a initié et que je copilote avec mon homologue des archives de France. C'est un projet qui est à son début. Nous allons nous y lancer. Il sera peut-être un peu freiné par ce déménagement des archives. Encore une autre contrainte. Une équipe venant de France a séjourné pendant une semaine aux archives pour procéder avec leurs homologues sénégalais à l'évaluation du projet.
Donc c'est le Sénégal qui retarde ce projet ?
Non. Il faut qu'on soit clair. Tous les crédits ne sont pas disponibles pour le moment. Donc le Sénégal n'a rien à voir dans les lenteurs notées dans la mise en œuvre du projet en question.
Qui doit financer les crédits ?
C'est la France, même si elle a fait un appel à contribution aux différentes parties prenantes dans ce projet. Si les Etats impliqués n'y consentent pas, la France le fera, pour un meilleur accès de ce fonds, qui est très usité par la communauté internationale.
Peut-on avoir une idée du montant financier de ce projet ?
C'est un projet qui est en train d'être monté. Pour le coût financier, c'est la seconde étape. La première étape, c'est la faisabilité. On y travaille. Le Sénégal en a assez fait parce que depuis la décolonisation, c'est le gouvernement du Sénégal qui met à disposition des locaux, du personnel et qui entretient les locaux des archives. Donc, le Sénégal en a assez fait pour la conservation des fonds d'archives. Mais moi, mon combat le plus grand reste et demeure l'édification d'une maison des archives, à mesure de prendre en charge correctement le patrimoine archivistique national aussi bien ancien que moderne. Car, notre déménagement au 4 C n'est que provisoire. Nous lançons un cri du cœur pour que vivement, à l'issue de la réhabilitation du building administratif, que nous puissions disposer d'une maison des archives apte à nous accueillir ou à défaut, voir le démarrage des constructions de cette maison des archives. Nous avons bon espoir du fait que pour la première fois dans l'histoire des discours de politique générale, le Premier ministre a parlé de la construction prochaine de la maison des archives.
Quels sont les actes que vous avez eu à poser depuis que vous êtes à la tête des Archives du Sénégal ?
Il est difficile de parler de soi-même. Nous avons eu à organiser un colloque scientifique sur les archives du Sénégal. Nous avons aussi organisé la prestation de serment de 44 archivistes. Nous avons formé une commission qui travaille étroitement sur les projets de décret d'application de la loi d'archives, la loi relative aux archives et aux documents administratifs. Nous avons en charge ce grand défi que constitue ce déménagement. Chaque année, depuis 3 ans, j'organise la journée internationale des archives. Je travaille avec une superbe équipe. Je serais aux anges si on arrivait à réaliser la maison des archives. Néanmoins, après édification de la maison des archives, je voudrais voir la valorisation de la fonction archives pour inviter la communauté nationale à mieux sensibiliser sur la fonction archives. J'invite les patrons de presse, les chefs d'entreprise à constituer des services d'archives avec l'aide des professionnels diplômés de l'école. C'est un grand vœu que je chéris.
Avez-vous les moyens pour réussir votre mission ?
Nous avons un budget convenable. Je n'irais pas jusque dans les détails. Mais Je lance un plaidoyer à l'endroit des autorités pour le recrutement massif d'archivistes diplômés parce que nous avons des gab de classements qui ne peuvent se faire qu'avec des archivistes qui ont été formés à bonne école. Des techniciens également, nous en avons aussi besoin aux archives nationales. D'ailleurs l'atelier de restauration et l'unité audiovisuelle risquent d'être fermés faute de techniciens. Celui qui y officiait est parti à la retraite. Il est le seul restaurateur professionnel de l'AOF.
Est-ce à dire que l'Ebad ne joue pas son rôle ?
L'EBAD sert à former les archivistes, bibliothécaires, documentalistes. Ces métiers sont des métiers auxiliaires. Le restaurateur, il est formé ailleurs.