SI LA VIE M’ÉTAIT KONTÉ
PROFIL SENEPLUS – Barham, vendeur d’eau, le bon samaritain du village de Djilikhar

Le commerce de l’eau est une activité économique rarement exercée à l’intérieur du pays encore moins dans les zones où le robinet reste un luxe inaccessible pour les populations. À Djilakhar, l’enclos qui abrite le robinet de Barham Konté, se dresse comme une oasis permettant à tout le village de disposer d’une eau potable. Rencontre avec un homme qui a noyé ses soucis financiers dans la vente du liquide précieux.
À quelques encablures de Mbeuleukhé. Djilikhar, au cœur du Saloum. Un puits sacré et sec. Le gagne-pain de Barham Konté, qui assure la distribution d’eau moyennant espèces sonnantes et trébuchantes. À Djilikhar, les populations, en plus de faire face aux rigueurs du climat, peinent à trouver en quantité suffisante le liquide précieux. Quelques rares puits résistent encore au temps. Barham a monté son robinet dans cette localité presque millénaire pour alimenter en eau sa communauté et faire vivre sa famille avec les ressources tirées de la vente du liquide.
En ce début du mois de juin, nous avons trouvé Barham Konté à son lieu de travail. Un enclos de 7m sur 5m clôturé par une palissade. À l’intérieur des centaines de bidons de 20 litres, de couleurs diverses. Les uns déjà remplis, les autres vides occupent toute la superficie laissant un petit passage vers le robinet. Derrière le tube en fer est construite une petite tente recouverte de feuilles et maintenue par des piquets pour se protéger du soleil. Avec souplesse, il se lève pour venir à notre rencontre quand nous franchîmes le seuil.
Teint noir et allure sportive, il tient entre ses mains un chapelet et le livret d’une sourate du Coran. Par moment le mouvement du vent fait incliner son bonnet noir qu’il redresse machinalement. Ravitailler tout le village en eau est son travail, mais aussi un devoir. Et pour satisfaire la demande en eau Barham se lève au milieu de la nuit. Il raconte : ‘’Tous les jours, je me lève à 2 heures du matin pour venir remplir ces bidons avec l’eau du robinet. Chaque jour je dois avoir à ma disposition au minimum plus de 300 bidons remplis pour satisfaire la demande minimale en eau des populations de Djilikhar.’’
Il poursuit : ‘’Je suis obligé de commencer le travail à cette heure pour deux raisons. D’une part, cela me permet de remplir le plus de bidons avant que ne se présentent les premières clientes et, d’autre part, je pars à toute éventualité de rupture d’eau en cours de journée.’’ En effet à Djilikhar, l’eau ne coule pas à flot toute la journée. Les coupures n’avertissent jamais.
Barham achète le mètre cube d’eau à 300 francs Cfa et vend le bidon de 20 litres à 20 francs Cfa. Ce n’est pas une fortune, mais c’est nettement suffisant pour assurer la dépense quotidienne. ‘’Je ne peux pas dire que je gagne beaucoup d’argent, mais ce travail me permet de nourrir ma famille et de régler quelques besoins’’, assure cet homme de 43 ans, polygame (deux épouses) et père d’enfants dont, ‘’par superstition’’, il ne révélera pas le nombre.
Situé à 33 kilomètres de Kaolack avec une population de 25 000 habitants, Djilikhar ne compte qu’un seul robinet. Celui de Barham. Pourtant ce raccordement n’était pas prévu. Comme tous les enfants de Djilikhar, Barham a fait ses armes à l’école coranique. Puis il s’était lancé dans le commerce. Il parcourait les marchés hebdomadaires des localités environnantes pour écouler ses marchandises. Au début, se souvient-il, ‘’le commerce marchait bien. J’y trouvais mon compte mais les choses sont devenues plus compliquées avec la conjoncture et la cherté de la vie. J’ai finalement abandonné le commerce pour me lancer dans le maraichage et la plantation de manguiers et d’orangers. Par hasard j’ai appris que le tuyau pour le raccordement en eau pour un habitant de Ndjama aller passer dans mon domaine agricole en provenance de Dague Samb. J’ai saisi l’occasion pour faire aussi une demande au niveau de la société pour pouvoir arroser mes plantations’’.
En faisant la demande Konté n’avait pas pris en compte le fait que les habitants de son village avaient plus besoin du liquide précieux que ses plantations. Après 2 mois passés à arroser des plantations que des troupeaux saccageaient toutes les nuits, les gens de Djilikhar lui font comprendre qu’avec l’eau du robinet il peut venir en aide aux habitants tout en y trouvant son compte. C’est ainsi qu’il a décidé de commercialiser l’eau. Aujourd’hui pour les travaux ménagers et les travaux de construction, les habitants du village viennent puiser l’eau chez Barham. Contre quelques pièces de monnaie.
Pour autant, les femmes du village ne considèrent par Barham Konté comme un mercantiliste. Il est à leurs yeux un bienfaiteur. Rencontrées sur le chemin qui mène au robinet, Ndèye K. et Seynabou reviennent sur les difficultés quotidiennes qu’elles affrontaient pour disposer de l’eau. Assise confortablement sur la charrette qui les transporte, Seynabou raconte : ‘’Le robinet de Barham a enlevé une partie du fardeau que portent les femmes de Djilikhar. Avant il fallait se réveiller vers 4h30 du matin pour aller aux puits. Et comme il n’y a pas beaucoup de puits dans le village, les femmes il y avait des affluences monstres autour des puits. Parfois des disputes éclataient pour finir en bagarre entre femmes. Mais grâce au robinet de Barham il n’est plus nécessaire de se lever au milieu de la nuit pour avoir de l’eau.’’
Ndèye ne dit pas autre chose : ‘’Avec ce robinet nous disposons d’une eau potable et de qualité que nous utilisons principalement pour boire et pour la préparation des repas.’’ Elle ajoute : ‘’Nos enfants sont aujourd’hui à l’abri de certaines maladies liées à la qualité de l’eau des puits.’’