A TRAVERS UNE SI LONGUE PAROLE, JE PROPOSE UNE VISION NOUVELLE DU CONTINENT
Amadou Elimane Kane sur son dernier ouvrage

Auteur prolixe, Amadou Elimane Kane vient de faire paraître aux éditions Lettres de Renaissances, la dernière œuvre de sa trilogie. Intitulé Une si longue parole, cet ouvrage sera disponible dans les librairies à Dakar dans les prochains jours. En attendant, nous avons voulu lever avec lui un coin de voile sur sa démarche littéraire et le contenu de son opus.
M. Kane, comment naissent vos livres ?
Je suis un homme engagé, un écrivain engagé. J’assume les valeurs que j’ai choisies et je donne, grâce à ce libre choix, un sens à mon existence. Je chemine toujours vers une ouverture absolue au monde portant ces 3 valeurs qui sont : savoir, travail et justice. Le monde culturel qui m’habite est pluriel, riche et ouvert. Mon espace n’est pas étriqué. Je m’attache aux couleurs multiples de la cosmogonie dans laquelle il y a un va-et-vient fondateur de mon inspiration.
Ce qu’il faudrait retenir : l’exil est un des piliers de mon existence, un des piliers aussi de ma créativité. Là où je me trouve, je combats les injustices quel que soit leur nature. Je milite contre les injustices et je puise dans la vie qui m’entoure, dans les êtres que j’observe, dans les regards que je croise, dans le monde parfois beau et dans le monde parfois laid. La nature de mon écriture est à ce carrefour.
C’est ma singularité. Il n’existe pas d’un côté l’homme et d’un autre l’écrivain. Tout est lié et fait sens pour moi. Je travaille la langue, les images, le rythme, les répétitions, les allitérations, la mise en page, la langue orale. Voilà comment naissent mes livres, par la vie, par le partage humain, par un regard absolument attentif au monde. C’est en ces termes là que je fais jaillir toute ma créativité.
Que doit-on retenir de votre dernier livre, Une si longue parole ?
Ce qu’on peut retenir de mon livre qui vient de sortir et qui s’intitule Une si longue parole, c’est que c’est une trilogie : il y a eu d’abord L’ami dont l’aventure n’est pas ambiguë, Les soleils de nos libertés et là aujourd’hui, Une si longue parole. Parce que tout simplement je veux aujourd’hui proposer une nouvelle vision du continent. De quoi s’agit-il ? Lorsque je parle d’une nouvelle vision du continent, je veux tout simplement poser le problème de la transmission.
Parce qu’aujourd’hui, un des plus grands problèmes du continent se situe au niveau de la transmission. D’où la démarche qui consiste à s’inscrire non seulement dans la continuité, mais également dans la rupture. Là, vous avez vu, j’ai fait allusion à L’aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane, je fais également allusion aux Soleils des indépendances de Amadou Kourouma et aujourd’hui je fais allusion à Une si longue lettre de Mariama Ba.
Dans Une si longue parole, je voulais une voix unique et féminine comme un hymne de la créativité et de l’espoir. Fatimata est la seule héroïne du récit. C’est par sa voix construite au jeu et par ses sentiments que nous suivons son destin et ses choix. Je voulais construire un personnage dense, complet, en lui laissant le fil du récit et qu’il n’y ait pas de rupture entre sa parole et les évènements qu’elle traverse.
Ce qu’il faut retenir dans Une si longue parole où je propose donc cette vision nouvelle du continent qui nous projette dans un avenir radieux, c’est que je cherche toujours à dénoncer les injustices, l’irréel mensonger, la corruption et essayer de trouver des pistes pour les écarter durablement.
Le personnage principal incarne-t-il donc cette lutte, ce combat pour une vision nouvelle de l’Afrique ?
Dans Une si longue parole, Fatima qui est le personnage principal incarne le combat pour la justice. Ce qui est un choix. Et je puise à travers des références historiques et culturelles africaines pour rappeler et laisser des traces de notre mémoire. Parce qu’aujourd’hui, ce que l’on nous propose comme modèle de société ne correspond pas réellement à notre patrimoine historique. Aujourd’hui, ce que l’on nous propose comme modèle de société relève des valeurs d’accaparement, d’injustice, d’irréel mensonger que je dénonce dans L’ami dont l’aventure n’est pas ambiguë.
Et je puise dans nos références historiques pour dire qu’on peut effectivement bâtir un continent lumineux, prospère, modèle, un contient phare, car nous avons tout le potentiel. Nous avons le potentiel humain, nous avons le potentiel naturel, les ressources minières. Nous avons tout dans ce continent.
Et donc, dans Les soleils de nos libertés, je reprends tout cela et je fais appel à l’«almamia» de Thierno Souleymane Baal évoqué dans le livre, dans Une si longue parole, comme le symbole des valeurs qui sont les nôtres et que nous devons absolument défendre pour conduire à un changement pour la renaissance, la créativité et l’intégrité.
A travers l’histoire de Fatimata, je cherche toujours à dénoncer la traitrise morale, la faillite du système politique, l’absence d’éthique, la corruption, la médiocrité ambiante qui ne permet plus l’harmonie et l’espérance. D’où le texte qui s’intitule Une si longue parole et qui sera en librairie à la fin du mois à Dakar.
La simplicité et la couleur frappante de la couverture de ce livre nous poussent à nous demander pourquoi vous avez fait ces choix...
Vous savez, cette question me transporte dans des frissons parce que cela prouve que vous êtes un homme de culture. Vous avez vu L’ami dont l’aventure n’est pas ambiguë. J’ai illustré la couverture avec de la couleur ciel.
Pour Le soleil de nos libertés, c’est la couleur du soleil. Et pour Une si longue parole, j’ai préféré la couleur terre. C’est les couleurs africaines. Je me suis appuyé sur cette couleur parce que j’aime bien la couleur ocre, la couleur terre. Lorsque vous allez à Tombouctou, à Gao, lorsque vous allez dans les fins fonds d’Ifè, c’est cette couleur ocre que nos ancêtres utilisaient.
C’est d’une importance capitale dans ma démarche d’appropriation de ce patrimoine culturel et héritage historique. Parce que chez moi, rien n’est neutre dans mon écriture. J’essaie de faire appel à tout pour pouvoir porter ces valeurs que je défends et que nous défendons tous. Donc pour répondre de manière précise, je fais effectivement appel aux couleurs africaines, notamment à la couleur ocre pour illustrer cet ouvrage.
Au regard du travail de transmission des savoirs que vous faites, n’y a-t-il pas nécessité d’introduire vos livres dans le système éducatif africain ?
Je pense de manière objective qu’il y a lieu d’introduire ces ouvrages dans le système, dans la mesure où il y a cette démarche de continuité et de rupture. Lorsque l’on prend L’ami dont l’aventure n’est pas ambiguë, les problèmes que je pose sont du 21ème siècle et qui sont la question de l’immigration, de l’appropriation du savoir, des appartenances, de l’homme tout court.
Contrairement à Cheikh Hamidou Kane dans L’aventure ambiguë où Samba Diallo habite des angoisses écartelées entre deux fidélités : à l’enseignement coranique reçu du maître des Dialobés et à la philosophie occidentale découverte à la Sorbonne.
D’où la solution de Cheikh Hamidou Kane, cette solution désespérée du meurtre de Samba Diallo par le sang. Vous avez vu dans L’ami dont l’aventure n’est pas ambiguë : Samba Diallo va faire de bonnes études, mais aussi le choix d’opprimer son Peuple. Ce sont là les ruptures que j’opère.
Lorsque l’on prend exemple sur Amadou Kourouma dans Les soleils des indépendances, l’Afrique ancienne est morte symbolisée par Fama, alors que dans Les soleils de nos libertés, l’Afrique sera en 2023 un continent phare où les Asiatiques, les Européens viendront immigrer. Ce sont là des ruptures que j’opère. D’où l’importance d’enseigner ces ouvrages que je propose aux Africains et à l’humanité parce qu’il y a eu beaucoup d’articles sur ces ouvrages qui ont été écrits par des professeurs, etc.
Je peux même vous confier que dans l’Académie de Paris, ces ouvrages sont recommandés. Comme aussi certains de mes ouvrages parlant de la lecture, l’écriture et l’oralité qui sont sélectionnés par l’Académie de Paris.