APAISER SANS APEURER
En se prononçant contre le voile intégral, le Président Macky Sall empêche des musulmans d’exprimer leur choix vestimentaire. Une telle attitude discriminante peut faire le lit du terrorisme

Le 28 juillet dernier, le Sénégal par le biais du programme «Initiative de Médina Baye pour la Paix», à travers l'association «Jamhiyatu Ansaarud-Dîn du Sénégal» (JAD), a organisé une conférence internationale dont la thématique était «Islam et paix». Il était question de parler du dialogue interreligieux relatif aux questions sur l'extrémisme et le terrorisme qui constituent une menace à la paix. Le 9 novembre, la seconde édiction Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique s’est penchée sur les questions de paix et de sécurité sur le continent. Le 12, un symposium sur la sécurité s’est tenu dans la capitale sénégalaise. En l’espace de quatre mois, le Sénégal a organisé une triple rencontre sur les questions sécuritaires. C’est donc la preuve que plus que jamais, les autorités sont conscientes que notre pays n’est point à l’abri d’une attaque terroriste.
Ces rencontres interviennent à un moment où les services de sécurité ont arrêté et incarcéré deux imams et des individus proches des milieux islamistes pour apologie du terrorisme, blanchiment d’argent provenant de réseaux occultes et collusions avec des organisations djihadistes. Mais le point d’attraction de ce forum reste l’intervention du président Macky Sall qui a martelé : «Il faut développer un discours philosophique et théologique. C’est-à-dire la formation des imams dans le sens d’un islam tolérant, puisque c’est le modèle d’islam que nous avons adopté. Nous ne saurions accepter chez nous qu’on vienne nous imposer une autre forme de religion.»
Et d’enfoncer le clou : «Lorsqu’on voit des formes nouvelles, par exemple le port du voile intégral, dans nos sociétés, alors que ça ne correspond ni à notre culture, ni à nos traditions, ni même à notre conception de l’islam, nous devons avoir le courage de combattre cette forme excessive de nous imposer une manière d’être.»
Rassembler et non ostraciser
Ces propos qui ont reçu l’approbation de plusieurs Sénégalais très pointilleux sur les questions sécuritaires, n’ont pas manqué de provoquer concomitamment l’ire de certains qui ont perçu à travers le discours présidentiel une attaque voilée contre leur code vestimentaire, expression d’une certaine liberté cultuelle. Celles qui se couvrent du voile intégral (niqab ou burqa) sont des musulmanes dont le code de conduite est déterminé par l’idéologie salafiste.
Il est vrai que l’Islam soufi d’essence confrérique (pratiqué par les mouride, tidiane, layène, qadrya) qui prône la tolérance est le plus répandu sur l’ensemble du territoire national. Mais il y a une catégorie minoritaire (Ibadou Rahmane) qui a émergé à la fin des années 1970 et qui s’oppose à l’Islam confrérique et a adopté un code vestimentaire notamment le port du voile islamique chez la femme précisément le hijab.
Mais aujourd’hui, on assiste à l’émergence d’autres groupes plus réformistes, plus rigoristes qui prônent un retour à l'islam des origines par une interprétation à la lettre des versets coraniques. Cette approche ultra-rigoriste de l’Islam incarnée par les mouvements salafistes et wahhabites tend à se rapprocher de la façon de vivre du prophète Mahomet et de ses compagnons (les Salaf). Les femmes salafistes ou wahhabites se reconnaissent avec leur burqa ou niqab, ce fameux voile intégral qui laisse apparaitre simplement les yeux ou qui les couvre d’un grillage.
Le port de la burqa ou du niqab, qui ne laisse transparaitre aucun trait identificatoire, a été l’expédient utilisé par le groupe terroriste Boko Haram pour procéder à des attentats-suicide au Nigeria, au Tchad, au Cameroun et au Niger. Et c’est ce qui explique subséquemment les interdictions de ces ports vestimentaires dans ces pays.
Au Sénégal, il n’est pas rare maintenant de rencontrer dans les rues des femmes vêtues de niqab ou de burqa. Ainsi, il n’est pas à exclure que les méthodes utilisées dans les pays précités pour procéder à des attentats meurtriers ne fassent recette au Sénégal un jour où l’autre. Mais cette paranoïa sécuritaire que développe le terrorisme doit-elle pousser le Président Macky Sall à tenir ex abrupto un discours radical aux allures martiales contre un groupe de compatriotes qui ont opté, telle que la Constitution le garantit à l’article 8, de jouir de leur liberté de croyance ?
Certes le président de la République, garant de la sécurité nationale, a le devoir de prendre toute initiative allant dans le sens de préserver le Sénégal d’une éventuelle attaque terroriste mais pas en violant la liberté de croyants qui est un principe constitutionnel. Déjà, le gouverneur Cheikh Niane va vite en besogne en déclarant, lors la journée des Forces armées, que la volonté présidentielle sur le port du voile intégral sera appliquée dans la région de Tambacounda. Sa précipitation est incompréhensible. Une telle application constituerait une violation d’une liberté constitutionnelle, encore qu’aucune législation n’interdise le port du voile intégral. Et toute atteinte à la liberté d’un groupe peut faire le lit d’une résistance pouvant déboucher sur des réactions terroristes.
Forcer les femmes qui se couvrent de la burqa ou du niqab à s’en débarrasser ne revient-il pas à les priver de la liberté de pratiquer leur foi garantie par la loi sur la laïcité ? La question est tellement sensible et délicate qu’il ne faut pas, par maladresses, que la peur et la crainte du terrorisme poussent nos gouvernants à un radicalisme anti-terroriste qui, in fine, charrie malheureusement des torrents de sang et de larmes.
Au lieu de rassembler le Sénégal qui souffre à chaque fête religieuse musulmane des barrières étanches entre les groupes confrériques et les adeptes de l’islam non confrérique, le chef de l’Etat organise déjà, avec son discours stigmatisant sur le voile intégral, un communautarisme ségrégatif dans les esprits, en attendant sans doute une chasse à la femme emmitouflée dans sa burqa ou son niqab.
Le président de la République, garant de la sécurité nationale, apaise mais n’apeure pas. Il rassemble mais n’ostracise pas. Car tout ostracisme débouche sur une diabolisation, voire une déshumanisation mortifère. Ainsi en prononçant un laïus radical contre le port du voile intégral, le Président Sall exerce sur un groupuscule de musulmans compatriotes ce terrorisme qu’il tente d’exorciser. Il les intimide pour les empêcher de formuler leurs idées et exprimer leur choix vestimentaire pudique qu’il considère comme dangereux. Une telle attitude discriminante favorise la division, la création de tabous, la répulsion qui peuvent faire le lit d’un terrorisme naissant.
Loi anti-burqa inefficace
La lutte contre le terrorisme ne se situe pas sous le voile intégral. Et vouloir le ramener, sous un angle réducteur, à l’usage d’un simple code vestimentaire n’est que diversion ou politique de l’autruche. La France qui nous sert de paradigme dans tous les domaines éprouve plusieurs difficultés pour interdire le port du voile intégral dans certains endroits publics malgré la législation y afférent. Vendredi, malgré sa loi anti-burqa, Marianne a été frappée, avec d’autres expédients, par sept attentats meurtriers qui ont fait 129 morts provisoirement.
En Europe, nonobstant tout le tintamarre autour du voile intégral, il n’y a que la France et la Belgique qui ont prohibé le port du niqab et de la burqa dans des endroits spécifiés de l’espace public. L’Allemagne ne l’applique que dans quelques Land (Etat). En Espagne, quand certaines localités ont voulu proscrire le port du voile intégral, la Cour suprême d’Espagne a déclaré les ordonnances afférentes comme non conformes au texte constitutionnel. L’Angleterre, au nom de la liberté, bannit toute initiative législative allant dans le sens d’interdire la burqa ou le niqab. D’ailleurs, Hilary Clinton, alors secrétaire d’Etat, a vivement flétri la France qui remet en cause une liberté d’expression en votant une loi anti-burqa et anti-niqab.
Dès lors, faut-il interdire ce port vestimentaire prisé par un groupe qui s’arrime à sa conviction religieuse profonde dans ce Sénégal qui est loin d’être inondé par une marée de burqa et de niqab ? La réponse fait plutôt appel à la réflexion plutôt qu’à la réaction spontanée. Alors il faut que nos autorités évitent de légiférer sur des fantasmes au risque de créer un problème qui, en réalité, n’existe pas.
Effet boomerang
Une législation interdisant le port du voile peut produire l’effet boomerang. En France, la loi anti-burqa a augmenté le nombre de femmes voilées intégralement et créé des confrontations multiples entre ces dernières et les policiers en charge de faire respecter la loi dans les endroits concernés par l’interdiction. Tout cela fait qu’il faille éviter toute précipitation pour légiférer sur la burqa ou le niqab. Il ne sert à rien de voter une loi dont l’application serait problématique, voire difficultueuse.
La loi sur le gaspillage dans les cérémonies familiales en tombé en désuétude dès son adoption. Une loi anti-burqa poserait les mêmes difficultés d’application. Si quelqu’un souhaite se couvrir le visage parce que cela correspond à ses convictions cultuelles ou culturelles, il faut le respecter.
Il faut éviter d’interdire parce qu’interdire c’est stigmatiser, c’est discriminer un groupe de croyants. Et en voulant légiférer pour un groupuscule, l’Etat sénégalais ne fera qu’exacerber un climat de peur, de méfiance mais aussi de ressentiment. Il faut éviter de tenir certains discours discriminants et suprématistes qui installent un schisme entre les confréries majoritaires et les associations musulmanes qui ont opté librement pour un islam inspiré du salafisme ou du wahhabisme. Et c’est la laïcité, pourtant toujours remise en cause par bon nombre de Sénégalais se réclamant du salafisme et même des confréries, qui demeure le meilleur rempart pour protéger les minorités musulmanes à la merci de l’hégémonie des confréries dominantes dans notre République.