À LA DÉCOUVERTE DU CAFÉ TOUBA, PATRIMOINE DE LA COMMUNAUTÉ MOURIDE
Origines et histoire du "café Touba"
Le "café Touba" est une boisson faite, à ses origines, de café torréfié et moulu sans aucun additif et ensuite filtré. Aujourd'hui, le "Café Touba" est une boisson composée de café aromatisé au poivre de Guinée, ou piment noir (jàr en wolof). Ce café, jadis désigné par le vocable de "café saaf" par la masse populaire, est sélectionné parmi les meilleurs cafés du monde (Robusta, Arabica, Santos, Brésilien). Sa torréfaction se fait de façon très artisanale et basique. Il faut l'écorcer, le dépoussiérer, le trier minutieusement, le rincer et le sécher. Il est ensuite torréfié au feu à une température et en un temps bien précis. Le tout moulu, tamisé, et au besoin, mis dans les emballages adaptés. Toutefois, du fait de sa grande consommation, on assiste aujourd'hui à une industrialisation de sa production.
La bénédiction du "café Touba" par Cheikh Ahmadou Bamba
Le café a vu le jour au Sénégal durant la période de la traite négrière en Afrique. A l'époque, le nombre de consommateurs n'étaient pas si nombreux. C'est la communauté mouride qui a propulsé et fait la promotion de ce café, sous l'appellation de "Café Touba", par l'intermédiaire de son fondateur Cheikh Ahmadou Bamba. En effet, une bonne dose de mystique est venue faire définitivement la publicité de la fameuse boisson, à travers Serigne Touba. Bien enraciné dans la culture des mourides, le café fait partie de leur patrimoine. Il est associé au nom de Touba et son mode de préparation est devenu quasiment un art. D'ailleurs, il est tellement lié à l'identité mouride que des mauvaises langues font croire que c'est une espèce de potion magique que quiconque boirait ferait une allégeance forcée au Cheikh. En tout cas, pour les mourides, le "café Touba" représente, au-delà de sa qualité de boisson, l'expression concrète de leur apparence au mouridisme, mais aussi un moyen qui les rapproche de la bénédiction de Cheikh Ahmadou Bamba qui, renseigne-t-on, de son retour d'exil du Gabon en 1902, le ramena en guise de cadeau. "Suite à son séjour parmi des populations d'origines différentes, il constata l'effet tonifiant du café sur les colons français et décida de le ramener à sa communauté", rapporte Gorgui Fall. C'est pourquoi dans les Dahiras, les Daaras, dans les maisons et même dans les lieux de travail, "talibé Serigne Touba" rime avec café Touba.
Café Touba, addiction et vertus
A ses débuts, le "Café Touba" était exclusivement consommé au Sénégal par les mourides du Baol. D'ailleurs, ce sont les ressortissants de cette localité, les Baol-Baol, qui l'ont répandu à l'occasion de leur exode vers les milieux urbains. Le "Café Touba" a pris, de nos jours, une allure exceptionnelle. Il est consommé par plus de 70% des Sénégalais, de tous âges et sexes. Beaucoup de gens sont devenus addictifs à cette boisson. Elle est en effet servi dans toutes les manifestations sociales et religieuses de la confrérie mouride, tels que les Magal, Gamou et autres. Il s'est peu à peu installé dans les habitudes quotidiennes de la communauté, avec le fameux café "ngoon" (café du soir) en dehors de sa consommation lors des petits-déjeuners.
Certains attribuent des vertus thérapeutiques au café Touba. A en croire certains témoignages, le "Café Touba" est une véritable panacée contre plusieurs pathologies. D'ailleurs des analyses scientifiques confirment les vertus curatives et anti-microbiennes du poivre de Guinée (jàr) qui est l'épice principal du "Café Touba".
Le business autour du "café Touba"
Le business autour du café Touba est de nos jours l'un des plus accessibles aux jeunes. La vente du "café Touba" est une activité lucrative qui mobilise. Le prix d'une tasse de "café Touba" ne semble pas être appliqué par tous les vendeurs. Dans certains endroits, la tasse de café est vendue à 75 F CFA, alors que le tarif conventionnel est de 50 F CFA. Les sachets quant à eux s'achètent à 1 600 F CFA en temps normal et 2 500 francs CFA, le kilogramme, en période de pénurie. Des sachets de 250 et 500 grammes sont cédés respectivement à 400 et à 800 FCFA.
Ainsi, la vente du "Café Touba" est vite devenue le gagne-pain de nombreux jeunes qui refusent d'abdiquer. Ils y trouvent leur compte, en se faisant un petit bénéfice quotidien. D'anciens chômeurs y voient une aubaine pour survivre et gagner leur vie. Ces vendeurs, qui parcourent les rues des centres urbains avec leur cafetière conçue spécialement à cet effet, font légion. A la main un fourneau avec une cafetière qui peut contenir jusqu'à 8 litres de café chaud, ils font le tour de la ville à la recherche d'amateurs de café. D'autres choisissent comme point de vente des axes stratégiques empruntés quotidiennement par des clients potentiels. Cependant, la qualité du "café Touba" diffère d'un vendeur à un autre, car certains ne respectent pas les normes de torréfaction et de dosage. Dès lors, le café Touba a tendance à perdre ses vertus.
En tout cas, la capitale du mouridisme, bien que ne cultivant pas le café, commercialise la plus grande quantité de café au Sénégal. Même si son importation, qui passe par un circuit informel, a fait qu'on ne peut pas exactement mesurer la quantité qui est écoulée sur le marché sénégalais.