LES ARCHIVES DANS TOUS LEURS ÉTATS
Etat des lieux
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Un récent rapport de l’Inspection générale d’Etat (Ige) qui dénonce le traitement calamiteux des documents classés dans nos administrations, les controverses autour d’archives brûlées et la déclaration du chef de l’Etat sur l’urgence de remettre sur pied les archives nationales sont autant d’événements discursifs qui ont ouvert un débat public sur les archives.
«Les archives sont gérées d’une manière calamiteuse dans la majorité des administrations sénégalaises.» Cette plainte de l’Ige dans son dernier rapport n’a laissé personne indifférent. Longtemps reléguée au second plan, l’importance des archives s’est révélée au grand jour lorsqu’un désir de reddition des comptes s’est fait sentir auprès des autorités.
Les enquêtes, audits et contrôles de gestion qui sont les instruments de la reddition des comptes requièrent en effet des documents d’archives indispensables pour éclairer la lanterne des contrôleurs.
Or, dans son dernier rapport du 20 juin 2015, l’Ige fait état de manquements graves dans la gestion des archives, notamment dans certaines administrations publiques. «Les vérificateurs ont indexé l’archivage des documents officiels.
Ils ont découvert que malgré le dispositif légal, les archives ne sont pas la préoccupation de plusieurs administrations sénégalaises alors qu’elles constituent la matière qui permet un audit...
L’Ige a noté l’archivage défectueux des documents dans l’ensemble des services du centre hospitalier universitaire. Au ministère de l’Elevage, les projets et programmes ne sont pas au mieux.
Au ministère de l’Economie, des finances et du plan, les inspecteurs ont constaté l’absence de documents administratifs et financiers archivés à la Cellule de lutte contre la pauvreté. C’est la raison pour laquelle l’audit n’a pas pu être mené», lisait-on dans le rapport cité dans Le Quotidien du 22 juin 2015.
Ces manquements notés dans la gestion des archives comptables et financières viennent s’ajouter à d’autres carences plus anciennes qui concernaient les archives des états-civils.
Histoire d’archives brûlées
Parfois, des enquêtes ont montré que des incendies volontaires avaient été déclenchés par des pyromanes qui ne visaient qu’à dissimuler des preuves accablantes. Il est également arrivé ces dernières années au Sénégal que des populations dans l’ire générale s’attaquent à des mairies pour les brûler.
Par exemple, en 2010 à Vélingara, des jeunes insurgés de la commune ont incendié les locaux de la mairie et ses archives. Les conséquences furent lourdes.
Faute d’archives, la mairie n’a pu être fonctionnelle pendant des mois, car de l’aveu du secrétaire général, «ne disposant d’aucune archive, ni en papier ni en version électronique et ne pouvant établir donc aucun acte d’état-civil, de naissance, de mariage ou décès », la mairie a dû déployer des moyens financiers et logistiques substantiels pour redevenir fonctionnelle.
Entre 2009 et 2012 à Dakar, des communes furent saccagées durant les émeutes dites de l’électricité. Les centres d’état-civil de Mbao, de Tivaouane et de Kédougou ont aussi eu à subir les mêmes désagréments ces dernières années.
C’est pourquoi, pour cet enseignant en documentation, il urge de sensibiliser la population sur l’importance des archives : «Si les gens agissent ainsi, c’est parce qu’on n’a pas réussi à mettre dans leur conscience l’importance des archives en donnant une visibilité aux archives et en leur faisant comprendre que quand ils brûlent les archives, ils brûlent leur propre bien.
On ne détruit pas son patrimoine. Ces jeunes de Kédougou qui ont détruit leurs archives à la veille des examens n’ont pas pu passer leurs examens. Il y a un effort de conscientisation et une communication sur l’importance du rôle des archives. Dans les pays démocratiques avancés, l’une des choses sur lesquelles on veille le plus, ce sont les archives.»
M. Ahmet Thiam, maître de conférences à l’Ebad, embouchait la même trompette dans une de ses contributions parue dans Le Quotidien du 27 juin dernier.
Il constatait que la méprise totale de la fonction des archives dans les services de l’Administration publique était aussi ancienne et profonde que chronique : «Depuis l’avènement du Sénégal à l’indépendance, l’histoire des archives administratives n’est faite que de turbulences, allant de la mauvaise gestion des archives en formation aux mauvaises pratiques de versement, à l’utilisation trop limitée des archives comme sources de documentation. Le rapport de l’Ige de 2015 ne fait que rappeler un mal endémique qui gangrène le fonctionnement de l’Administration sénégalaise.»
Cela dit, il y a pour les professionnels des archives au Sénégal une urgence à maximiser l’espace d’archivage parce que, considèrent-ils, «la direction des Archives ne peut plus recevoir».
PROTECTION DES ARCHIVES NATIONALES
Entre défi d’espace et ambition de numérisation
La direction des Archives nationales n’est pas fonctionnelle depuis bientôt deux ans. Le Building administratif qui logeait le patrimoine documentaire sénégalais et les ministères est en pleine réfection. Là, les lieux étaient exigus, le décor sombre, le matériel rudimentaire. C’est dans ces conditions que Fatoumata Cissé Diarra, l’actuelle directrice des Archives, se bat pour réhabiliter la gestion des archives. Elle nourrit l’ambition de relever le défi de la numérisation et de voir sortir de terre une Maison des archives.
Les archives du Sénégal ont célébré leur centenaire le 1er juillet 2013. Le plus ancien document du dépôt date de 1672. Les documents, du fait de leur ancienneté, sont donc très fragiles. Les archivistes ont veillé, lors du déplacement du siège qui se trouvait au Building administratif, à ce que le transfert puisse se faire dans les règles de l’art.
«Toutes les opérations de transfert ont été supervisées par des professionnels de l’information documentaire et notamment des archivistes», rassurait à l’époque M. Cissé Diarra, la directrice des Archives. Mais pour elle, le problème va au-delà de la simple vétusté des documents.
Depuis 20 ans, les Archives nationales ne reçoivent plus de versement. «Pour une capacité d’accueil initiale de 8km, si aujourd’hui on frôle les 20km, vous voyez ce que cela fait comme gap», s’exclame Mme Diarra.
Alors pour elle, la priorité des priorités reste l’édification d’un bâtiment d’archives apte à prendre correctement en charge le patrimoine archivistique national. «Il faut une Maisons des archives pour héberger le patrimoine documentaire en souffrance dans les ministères et administrations publics. Les archives n’ont plus de place», avise-t-elle.
Pour rappel, l’idée de création d’une Maison des archives remonte aux temps de Senghor. Les fondations de cette maison qui devait se trouver en face de l’actuel Tribunal de Dakar avaient déjà été posées sous le régime du Président Abdou Diouf.
«On nous a promis une Maison des archives depuis 20 ans, mais rien n’est fait jusqu’à maintenant. Cette Maison des archives, tant qu’elle ne sortira pas de terre, on ne pourra pas veiller sur les archives. Au-delà de la lisibilité, la sécurité des archives passe par elle», disait Monsieur Mbaye Thiam, enseignant à l’Ebad.
Fatoumata Cissé Diarra, elle, garde bon espoir quant à la réalisation de ce projet. «Il y a eu plusieurs projets de Maison des archives. Mais nous avons bon espoir que la prochaine en date sera réalisée puisque le chef de l’Etat en personne, à la cérémonie de réception du rapport de l’Ige, s’est dit préoccupé par la gestion des archives dans l’Administration publique. Et une semaine après, en plein Conseil des ministres, il a demandé la tenue d’un Conseil interministériel sur les archives, la communauté des archivistes ne peut qu’applaudir.»
Mais pour l’heure, la directrice des Archives nationales s’évertue à relever le défi de la numérisation.
Le pari de la numérisation
Même si pour l’enseignant Mbaye Thiam, spécialiste de la question des archives, «la numérisation n’est pas la panacée, et ce n’est qu’une infime partie de la solution», même s’il considère le papier comme «la meilleure technologie de conservation des archives», pour la directrice des Archives, il y a dans ce procédé des palliatifs à bien des problèmes.
«J’ai l’habitude de donner un exemple : la personne qui, à l’avènement du robinet dans son village, casse tous ses canaris. Vous voyez ce que cela fait le jour où la société de distribution lui jouera des tours ? C’est pareil avec les documents qui sont aux Archives du Sénégal.
Ce sont des originaux et ce n’est pas parce qu’on numérise un document qu’on le détruit. C’est juste une dématérialisation qui permet même de protéger les originaux de la manipulation fréquente des chercheurs et sauvegarde le support papier qui demeure fragile.»
Cela dit, Mme Diarra précise toutefois que si elle avait à choisir entre trouver des ressources pour loger l’intégralité des archives et trouver des fonds pour numériser une catégorie des documents, elle opterait sans hésiter pour la première solution. Alors pour elle, une Maison des archives est indispensable.