CHRONIQUE D’UN CARNAGE ORGANISÉ PAR HABRÉ
Crimes commis au Tchad entre 1982 et 1990
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L’ancien Président du Tchad, Hissein Habré, est le principal responsable des crimes commis durant son règne. C’est la conviction des avocats des parties civiles qui ont tous tiré sur lui en le considérant comme le responsable des souffrances de leurs clients.
Les plaidoiries des avocats des parties civiles convergent vers un même objectif : Asseoir la culpabilité de Hissein Habré. Toutes les robes noires qui se sont succédé à la barre, en ce deuxième jour des plaidoiries, ont cherché à démontrer l’implication directe ou indirecte de l’ancien Président dans les crimes présumés commis au Tchad dans la période allant de 1982 à 1990. Les avocats estiment, à l’unanimité, que tous les crimes commis sur le Peuple tchadien durant cette période portent sa marque.
Pour eux, c’est l’ancien Président du Tchad en question qui donnait des ordres. Ainsi, «Hissein Habré doit être tenu pour responsable des crimes parce qu’il les a planifiés», a plaidé Me Alain Weiner, selon qui, l’ancien homme fort du Tchad avait créé la Dds pour éliminer et neutraliser ses ennemis. C’est lui qui nommait les agents aux postes clés et exerçait une mainmise sur eux, dit-il.
Très en verve, l’avocat belge soutient que Hissein Habré «a concocté l’un des plans criminels le plus grand de l’histoire moderne». «Il a donné des ordres qui ont abouti à des crimes», martèle l’avocat. En reprenant les propos de sa consœur Jacqueline Moudeina, Me Weiner décrit la Dds «comme une machine qui avale».
Selon toujours l’avocat belge qui cherche à étayer ses accusations, des témoins ont soutenu dans leurs dépositions que c’est Hissein Habré qui donnait des ordres. Il en veut pour preuve la déposition d’un des directeurs de la Dds qui disait qu’ il recevait directement des ordres du Président Habré. Un autre ancien agent de la Dds, poursuit-il, disait que toutes les fiches étaient transmises à la Présidence, et à chaque fois, elles revenaient avec des annotations comme par exemple «E» qui voudrait dire «Exécuter».
D’après toujours Me Weiner, Habré ne s’est pas contenté de donner des ordres, mais a pris part à ces crimes odieux qui ont assombri l’histoire du Tchad. L’avocat des victimes estime que l’implication de l’ancien homme fort de Ndjamena ne souffre d’aucune contestation, car des agents de la Dds ont soutenu que «les exécutions massives étaient faites sur les ordres express de Habré».
Il a planifié cette répression, à l’image de Charles Taylor, le premier Président africain à être jugé par la Cpi le 6 janvier 1999. Ce dernier, rappelle l’avocat, n’était pas sur les lieux du crime, mais cela n’a pas empêché qu’il soit condamné par la Cpi en ce sens qu’il avait tout planifié.
Assane Dioma Ndiaye s’est lui exercé à démonter les arguments de la défense. Il a interpellé à plusieurs reprises les avocats commis d’office pour leur demander d’expliquer le silence observé dans leurs écrits sur des faits et des témoignages discutés durant ce procès. «Pourquoi la défense n’a rien dit dans ses conclusions écrites sur la présence de Habré à Faya-Largeau ?
Pourquoi délibérément, elle s’est tue sur des faits discutés au procès ?», s’interroge Me Assane Dioma Ndiaye. Revenant sur les preuves, l’avocat sénégalais dit : «Jamais un procès n’a autant de pièces à conviction. Nous avons des preuves variées, même des aveux», indique la robe noire. «Un des articles qui organisent le fonctionnement de la Dds légitime la répression en appelant les agents de cette direction à la collaboration, à la répression», ajoute-t-il.
Me Bauthier a accès sa plaidoirie sur trois temps forts. Il pense que le silence de Habré est l’aveu «béant» des crimes qu’il a commis. Estimant le nombre de victimes à 40 mille, il dira que «c’est une litanie du carnage». Et à l’en croire, l’ordonnance de renvoi ne mentionne aucun cas de viol, alors qu’il doit être déclaré comme crime de guerre. Le viol, informe-t-il, est le 5e crime de guerre le plus grave. «L’infraction de viol doit immanquablement être déclarée établie», plaide-t-il, «parce que certaines femmes ont été violées et d’autres ont subi des décharges électriques».
Le 25 mars 1985, neuf femmes ont été déportées à Ouadidoum où elles ont été les esclaves sexuelles des soldats et bonnes à tout faire. Me Werner conclut : «On doit ce procès aux victimes, au Tchad, à la mémoire de l’humanité. Une précision horlogère dont Hissein a ordonnée les ordres.»
WILLIAM BOURDON SUR LE MUTISME DE HABRÉ
«Il va fanfaronner et montrer le V en signe de victoire alors que c’est du venin»
William Bourdon n’a pas été tendre avec Hissein Habré. Concluant le temps de parole réservé à la partie civile, le tonitruant avocat français a insisté sur les enjeux de la procédure notamment sur l’attitude de Habré. Durant tout le long du procès, souligne l’avocat, l’accusé n’a cessé, par son accoutrement, son silence et ses actes à cracher et à insulter (sur) les juges. «Il a confisqué son regard pour priver au président de le percer. Il nous a privés de ce face-à-face. Il a essayé de cacher ce petit bout de son face sinistre. Et après cette audience, il va fanfaronner et montrer le V en signe de victoire alors que c’est du venin», crache l’avocat.
Pour Me Bourdon, le président Kam doit dire ce qu’il pense de cette attitude. En conséquence, indique-t-il, il attend à ce que le président de la Cour le remette à la place des grands criminels. A la place de Pinochet «qui apparaît comme un petit joueur face à Habré», plaide-t-il. Revenant sur le silence de Habré, Me Bourdon indique qu’en «se taisant, Habré prolonge les actes criminels commis quand il était au pouvoir».
La défense s’énerve et dénonce les «bourdonnements» de Bourdon
Répondant à ceux qu’ils appellent «les avocats sans robe», c’est-à-dire la défense constituée de Habré, Mes Serres et Diawara, il les qualifie de «petits malins». Selon lui, ils ne s’illustrent que dans l’insulte et le mensonge dans les couloirs et les hôtels à travers des conférences de presse. La défense commise d’office en a pris aussi pour son grade. William Bourdon, qui dit comprendre «les commis d’office», indique qu’ils ont dépassé leur mandat.
Relevant ce qu’il appelle des drapages sévères, l’avocat a soutenu que ces derniers n’étaient pas obligés de dire dans leurs conclusions écrites «que Habré est un bienfaiteur de l’humanité, qu’il a pacifié le sud de son pays et a amélioré les conditions de détention des prisonniers. C’est terrible», crie presque la partie civile. Il sera interrompu dans son propos par la défense qui dénonce des attaques personnelles. Réponse de William Bourdon : «Je comprends que cela vous gêne, mais vous n’étiez pas obligés d’écrire cela», tonne encore l’avocat français.
Relevant toujours les écrits de la défense, Me Bourdon met sur la table l’alibi Deby. En disant que Deby «doit aussi être jugé, vous êtes en train d’avouer la responsabilité de votre client», soutient-il avant de conclure : «La responsabilité de Habré dans la commission des crimes de guerre, crime contre l’humanité et de torture est diverse et documentée. Il a planifié, organisé, donné des ordres, il a été partout et ailleurs, il met la main à la patte du viol, de la torture, de l’exécution et de la disparition. C’est un criminel hors pair. Voilà la responsabilité pénale de Habré», conclut l’avocat.
Me Assane Dioma Ndiaye rend hommage au Sénégal et à Demba Kandji
Me Assane Dioma Ndiaye a profité de sa tribune pour répondre aux critiques des avocats commis par Hissein Habré. Solennellement, devant la barre, il dit qu’il ne s’agit pas de persécuter un homme dans ce dossier, mais d’établir la culpabilité d’un homme.
L’avocat a aussi rendu un vibrant hommage aux organisations de défense des droits humains, Amnesty international et Human rigths watch qui, selon lui, ont essuyé beaucoup de critiques.
Pourtant, note-t-il, leur crime a été d’accompagner des victimes dans leur quête de justice. La robe noire a également rendu hommage au juge Demba Kandji qui été le premier magistrat à inculper Hissein Habré. Il n’a pas omis les milliers de victimes et le Sénégal qui a bien voulu tenir ce procès sur son sol.