L'AUTRE INSECURITE
Violences faites aux femmes

Considérée comme le « sexe faible », la femme doit être, dans nos sociétés africaines, docile et subir sans broncher, ni protester… Ce faisant, elle fait souvent l’objet de brimades. En cette journée mondiale de l’élimination des violences faites aux femmes, EnQuête fait un focus sur ce phénomène sous-jacent mais actuel, à travers des témoignages et le regard éclairé de la sociologue et enseignante-chercheure, Dr Selly Ba. Dans une période marquée par des meurtres crapuleux qui posent la question sécuritaire.
Il est 11 heures. Nous sommes dans les rues du quartier périphérique de Dieuppeul. L’ambiance est animée. C’est l’heure de la récréation pour les élèves de presque toutes les écoles riveraines. Ils courent dans tous les sens des deux voies de la route à la recherche d’un vendeur de petit-déjeuner ou de friandise. Les voitures roulent au ralenti et certains chauffeurs s’arrêtent pour les laisser traverser. D’autres automobilistes moins patients martyrisent leurs klaxons.
Pour les gérants de boutiques, salons de coiffure, ateliers, les activités commencent à peine. Au siège de l’Association des handicapés moteurs du Sénégal, tout le monde s’affaire au travail. On coiffe, on découpe les tissus déjà teints pour confectionner des pagnes, etc. Du côté de l’atelier de chaussures, c’est le moment de découper les talons.
Interrogée sur la violence faite aux femmes, Astou Ndiaye, la cinquantaine, argumente. « On ne peut pas parler de tous les types de violences que subissent les femmes au Sénégal. Certaines filles depuis le bas-âge, surtout quand elles ne vivent pas avec leurs parents, souffrent. Les femmes n’ont que des devoirs, et personne ne se préoccupe de leurs droits », dit-elle, le regard fixe, tout en se frottant les mains.
Insultes, injures et coups, au cœur de la vie de couple
Pour Astou, la violence verbale fait « plus de mal » que celle physique. Parce qu’elle se transforme en rancune qui pousse les femmes à réagir souvent d’une manière inattendue. « Au Sénégal, les gens qui font souffrir les autres sont généralement ceux qui occupent un rang social très élevé. Personne n’en croira ses oreilles si on lui raconte ce qu’ils font », poursuit-elle. Si pour Astou, ceux qui font souvent subir les violences aux femmes sont ceux qui ont un statut social important, la plupart des femmes interpellées indexent les maris.
« Il y a des hommes qui sont sans pitié. Leurs femmes se sacrifient matin et soir à la recherche de quelque chose à ramener à la maison pour la famille, mais une fois qu’elles posent le plat de riz, ce sont des injures, des coups. Il y a des hommes qui agissent de la sorte sciemment, par indiscipline. Ceux qui le font inconsciemment sont généralement les soulards, les drogués, etc.», martèle Marième Guèye, la quarantaine, vendeuse de concombres au marché Castor, non loin de Dieuppeul.
La dame se fait plus précise en racontant : « J’ai une voisine qui était tout le temps battue par son mari. Or, ce denier n’est ni soulard ni drogué. Il était simplement indiscipliné. C’est la femme qui faisait tout pour la famille mais le soir, il la frappait comme une gamine, l’injuriait. J’ai été témoin des faits à maintes reprises.»
« Nos mères ne se sont jamais rendues chez une juriste »
La violence faite aux femmes est un phénomène social contre lequel personne ne peut rien, estiment ces femmes. « La première forme de violence, c’est le fait de rester à la maison pour cuisiner, s’occuper des enfants, des travaux ménagers. Si on y ajoute la violence corporelle, ça devient invivable. La femme est toujours stressée à cause des difficultés qu’elle vit chez elle », indique Mme Fall, une autre dame rencontrée dans les parages.
Et contre toute attente, elle se met à s’en prendre aux victimes de violences qui contactent les femmes juristes pour rechercher une solution. « Les conseils qu’elles donnent souvent ne font pas partie de notre culture. Elles leur conseillent d’entamer une procédure judiciaire. Or, cela ne doit pas toujours être le cas.
Nous ne sommes pas des toubabs ; nous sommes des Africains, de surcroît des Sénégalais. Nous avons nos réalités », dit-elle. Selon Mme Fall, les violences conjugales ont toujours existé mais, « nos mères ne se sont jamais rendues chez une juriste. Aujourd’hui, Dieu merci, leurs enfants ont grandi, et elles ont peut-être oublié qu’elles ont souffert un jour. Je préfère que tout se règle en famille et ne pas mêler les femmes juristes aux vies de couple. Si je vivais ce genre de pratiques, je n’irais pas vers elles. »
Sur cette question, la gent masculine a également son mot à dire. Djimé Touré, chauffeur de profession et avocat des femmes, de dire qu’il y a des hommes qui « ne méritent même pas de prendre une femme ». « Je vous le jure. Si on est marié à un soulard, il vous insultera quand bon lui semblera. Avant-hier, j’ai été témoin d’une scène qui m’a fait très mal. Le gars insultait sa femme en présence de leur garçon, qui est un adulte. Et l’enfant lui a demandé d’arrêter d’insulter sa mère devant lui », narre-t-il.
Mais Abdou Seydi Keïta, la soixantaine, assis à côté du vieux Touré, sous l’ombre d’un arbre en face du terrain de Derklé, a un tout autre avis. « On parle souvent des violences faites aux femmes, alors qu’il y a des hommes qui subissent le pire avec leurs femmes. Pour moi, c’est quelque chose qui touche les deux genres », déclare-t-il avec le sourire.