DE LA NÉGROPHOBIE DES SOCIÉTÉS ARABES
EXCLUSIF SENEPLUS - Les transitions démocratiques en Afrique… La CPI… Les violences et humiliations subies par les Noirs en Afrique du Nord et ailleurs…
La vieille négrophobie des sociétés arabes, jusqu’ici assez sournoise, est en train de se décomplexer au point de devenir de plus en plus meurtrière
- Au Ghana, Nana Akufo-Addo vient de mettre un terme à ce que l'on a appelé avec humour "la ‘’tyrannie des John". Nous venons d'avoir une nouvelle alternance avec le vainqueur qui félicite le vaincu. Le scénario semblait se répéter en Gambie avant la volte face de Jammeh. Dans l’ensemble quelle lecture faites-vous de l’état de la transparence et de la bonne gouvernance en Afrique ?
Il faut reconnaitre que nous sommes loin de l’époque des Bokassa et Idi Amin Dada. S’il y a autant de contentieux électoraux, c’est bien parce que le suffrage universel est devenu la seule source de légitimité politique. Beaucoup de choses sont certes à parfaire et je suis persuadé que cela se fera au fil des ans. Je m’en réjouis, naturellement, mais d’un autre côté, cela me laisse de plus en plus perplexe. Pour ne rien vous cacher, cela m’arrache parfois un sourire bien amer. On a l’impression que les mêmes élites se relaient à la tête de l’Etat, la transhumance rendant par ailleurs quasi impossible tout renouvellement en profondeur de la classe dirigeante. Si l’alternance ne permet pas de relever le défi du changement, elle n’est finalement rien d’autre qu’une façon plus élégante et démocratique de se partager le gâteau national.
- Une alternative à la démocratie, ça existe ?
Je n’en connais pas. S’il y en avait une, cela se saurait. Il ne viendra à l’idée d’aucune personne réfléchie de dénoncer la démocratie, on n’a encore rien trouvé de mieux pour éviter l’écrasement des faibles par les plus forts. Je pense toutefois qu’il faut lui donner un nouveau sens, veiller à ce qu’elle ne se transforme pas en une sinistre farce. Nous voyons tous que sous nos cieux le président, une fois élu, ne tient plus trop compte de l’opinion de ses concitoyens. En fait, dans un pays comme le nôtre, il est bien conscient de devoir sa nouvelle position à des lobbies dont les plus puissants et redoutables sont étrangers. Ceux-ci financent de même des groupes de pression locaux qui sont une épée de Damoclès au-dessus de la tête de l’heureux élu et plus ce dernier a des choses à cacher plus ils le trouvent génial. Un chef d’Etat facile à faire chanter sera en effet plus enclin à servir leurs intérêts que ceux de son propre pays. Signe des temps, ce débat fait rage aux États-Unis, la controverse a éclaté avant même la prestation de serment de Donald Trump. C’est amusant de voir les Américains si choqués à l’idée que Trump pourrait être un jouet entre les mains de Poutine car pour la plupart des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, c’est une histoire bien connue que celle de ces fantoches tenus en laisse de l’extérieur. Peut-être aussi faudrait-il chercher de ce côté pour percer ce que j’appelais dans notre dernier entretien les mystères de la politique étrangère de Macky Sall ? On ne peut pas tout réduire à cette dimension éthique, fondatrice de la liberté d’action du leader mais je crois qu’elle est essentielle. En fait, si j’ai un tel respect pour Paul Kagamé c’est parce qu’il est d’une intégrité personnelle au-dessus de tout soupçon. Si ces gens, qui le détestent tant par ailleurs, avaient prise sur lui, il lui serait impossible de prendre les bonnes décisions pour son peuple au point d’obtenir les résultats que chacun peut constater. Au final, c’est bien que les droits des citoyens soient préservés, c’est bien qu’ils soient libres à l’égard de leurs dirigeants mais si ces derniers ne le sont pas à l’égard des puissances etrangeres, l’exercice democratique devient dérisoire.
- Trois pays, l’Afrique du Sud, le Burundi et la Gambie ont claqué la porte de la CPI dénonçant sa partialité. Un précédent dangereux ?
Ils ne sont pas les seuls. La Russie a également claqué la porte de la CPI et la Namibie et le Kenya sont sur la même voie. Et quand on sait que la Chine, les Usa et l’Inde n’en ont jamais fait partie, on peut fortement douter du caractère international de cette juridiction. Le reproche qui lui est fait de cibler en priorité les dirigeants africains est tout à fait fondé. Sur dix instructions en cours, neuf concernent le continent et on est à peu près dans les mêmes proportions pour les affaires déjà jugées. J’espère, faute d’un retrait massif et concerté sous la bannière de l’Union africaine, que nos pays vont être de plus en plus nombreux à quitter la Cpi. Je n’oublierai jamais le jour où j’ai entendu son Procureur de l’époque, Luis Moreno Ocampo, valider lors d’une conférence de presse à New York la fable obscène d’un Kadhafi aux abois en train de faire distribuer des caisses de Viagra à ses ‘’mercenaires africains’’ pour leur permettre de mieux violer des femmes arabes… Je ne vois franchement pas comment après cela on peut prendre au sérieux une telle institution.
- Comment appréciez-vous le déroulement du procès de Laurent Gbagbo ?
Tout le monde est bien conscient de l’embarras du tribunal. Sans avoir jamais été un admirateur de Gbagbo, je suis de ceux qui le considèrent aujourd’hui comme un otage. Rappelons les faits : à la faveur d’un contentieux électoral, des blindés français forcent les grilles de son palais et plus tard, après une arrestation particulièrement humiliante, filmée sous tous les angles, il est conduit à la Haye dans une opération spectaculaire, style Rambo, et depuis au moins cinq ans des témoins supposés à charge défilent à la barre pour se contredire les uns les autres ou à l’occasion avouer avoir menti sur commande. Je me souviens aujourd’hui de tous les intellectuels qui hurlaient contre Gbagbo, allant jusqu’à lui imputer le massacre de Duékoué au cours duquel des centaines de ses propres partisans avaient été sauvagement assassinés sous le regard impuissant des Casques bleus. Accusée de symboliser dans le conflit ivoirien la justice des vainqueurs, la Cpi a parfois comme des remords, on l’entend alors murmurer timidement le nom de Guillaume Soro mais les impératifs de la realpolitik lui font vite perdre la mémoire. Quant à Blaise Compaoré, personnage beaucoup plus intéressant comme chacun sait – même et peut-être surtout par rapport à la guerre civile ivoirienne – aucun de nos champions locaux des droits de l’homme n’a cru jusqu’ici devoir l’importuner. Pour moi, le cas Gbagbo est simple : si on ne trouve rien contre un accusé, il faut lui rendre sa liberté. L’exemple de Slobodan Milosevic devrait nous faire tous réfléchir : surnommé ‘’Le boucher des Balkans’’, traîné dans la boue, il est mort soudainement, dans des conditions mystérieuses, dans cette même prison de la Haye. Son procès a quand même eu lieu par la suite et il a finalement été reconnu innocent de toutes les charges qui pesaient sur lui… Presque personne n’est au courant de cet épisode parce que les medias dit globaux l’ont passé sous silence. Que l’on me comprenne bien, cependant : je ne suis pas en train de présenter Milosevic en innocente victime d’une juridiction aux ordres des Occidentaux. Je connais beaucoup trop mal la situation dans l’ex-Yougoslavie pour me permettre un tel raccourci. J’estime simplement que le fait mérite d’être signalé parce qu’il est un argument de plus en faveur de la libération de Gbagbo.
- Vous étiez au Mali il n'y a pas bien longtemps. La menace terroriste y est toujours bien présente.
Aminata Dramane Traoré organise chaque année une manifestation dénommée « Migrances ». De Dakar, Demba Dembele, Taoufick Ben Abdallah et moi-même avons rallié Bamako pour y prendre part avec d’autres amis. Aminata est très respectée dans son pays, même par ceux qui sont en désaccord avec elle. Comme vous le suggérez, on ne peut pas être à l’heure actuelle au Mali sans parler de la menace terroriste mais ces trois journées de réflexion ont surtout été l’occasion de préparer à notre manière le sommet Afrique-France de Bamako. Nous avons clairement réaffirmé dans un texte notre position sur certains grands sujets de l’heure - le franc Cfa, les Ape et la Cpi – avec en toile de fond la question centrale de la migration. Le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, a ouvert les travaux par une déclaration sans ambiguïté sur le refus de son pays de signer les ‘’accords de réadmission des migrants clandestins’’ que l’Union européenne veut lui imposer. Des migrants venus d’Algérie et de Libye ont fait des témoignages bouleversants et l’une d’elles s’est adressée à l’assistance à partir de Syrte, cette ville libyenne devenue un épouvantable enfer pour les Subsahariens.
"VIOLENCES ET HUMILIATIONS NÉGROPHOBES"
- Vous semblez beaucoup réfléchir à toutes ces questions liées à la situation des Subsahariens en Afrique du Nord. Qu'est-ce qui le justifie ?
La question est devenue si importante à mes yeux que j’y reviens sans cesse. Je l’ai longuement abordée il y a quelques semaines dans une interview avec un quotidien espagnol et au cours de cette édition de ‘’Migrances’’ j’ai choisi de centrer mon exposé sur ce seul sujet. C’était d’ailleurs d’actualité puisque quelques jours plus tôt avait débuté en Algérie la rafle de 1400 migrants Africains. Brutalisés, spoliés, insultés – un officiel du nom de Farouk Ksentini, chef d’une Commission de Promotion et de Protection des Droits de l’Homme les accusant publiquement de propager le sida – ils ont finalement été conduits dans des camions de sable à Tamanrasset, c’est-à-dire à près de 2000 kilomètres d’Alger. Là, on en a remis quelques centaines aux autorités nigériennes, les autres restant sur place avec interdiction formelle de quitter les lieux. Nos medias, très excités par l’affaire Jammeh, n’en ont pas soufflé mot. Cette indifférence est à mon avis assez révélatrice d’un certain état d’esprit élitiste : quand un journaliste, un avocat ou un diplomate est molesté quelque part, nous sommes tous révoltés et la levée de boucliers est immédiate mais lorsque des centaines de jeunes jugés pour ainsi dire sans importance sociale sont brûlés vifs, jetés aux requins ou abandonnés comme des chiens dans le désert algérien, cela ne nous indigne pas vraiment. Et ces ratonnades en Algérie ne sont rien à côté des violences et humiliations négrophobes subies par les mêmes migrants au Liban, dans les monarchies du Golfe et dans la Libye post-Kadhafi. On ne doit évidemment pas généraliser : à Alger des voix se sont élevées contre ces exactions et en Tunisie les bonnes volontés sont en train de se mobiliser du mieux qu’elles peuvent contre ce fléau. Le problème n’en est pas moins réel et ce n’est pas en s’obstinant à le nier que l’on va se donner une chance de le résoudre : la vieille négrophobie des sociétés arabes, jusqu’ici assez sournoise, est en train de se décomplexer au point de devenir de plus en plus meurtrière. Et c’est justement pour cette raison que nous ne pouvons plus continuer à nous taire. En réalité nous en parlons souvent entre nous, de ce racisme-là, sans toutefois que cela aille plus loin : chaque fois que des jeunes Camerounais et Sénégalais sont assassinés au Maghreb ou quand l’affaire Mbayang Diop en Arabie Saoudite fait la ‘’Une’’ des journaux. Ce serait bien du reste que la situation de Mbayang Diop soit rappelée chaque jour par les radios privées, systématiquement, pour l’aider à rester en vie. En fait, seule une certaine pudeur nous a toujours empêchés de poser publiquement le débat. L’heure est venue de nous y résoudre, sans haine et surtout pour éviter que la situation ne finisse par échapper à tout contrôle.