PREMIERE CONDUCTRICE DE BUS DAKAR DEM DIKK ET FIERE DE L’ETRE
PIONNIERE DANS LA CONDUITE DE BUS DDD

Comme un poisson dans l’eau, en jogging, chaussures de sport, casquette, les deux mains posées sur le volant d’un bus Dakar Dem Dikk, ligne 10, Sophie Diouck est la première femme au Sénégal à être conductrice de bus de transport en commun. Nullement impressionnée par le gabarit imposant des «12 m», elle conseille, en ce 8 mars, journée internationale de la femme, à ses « soeurs» d’aller de l’avant, de toujours croire en elles et ne jamais se dire, « c’est impossible».
l’As : comment êtes-vous devenue la première femme conductrice de bus Dakar Dem Dikk ?
Sophie Diouck : C’est le destin. J’ai vu à la télé que Dakar Dem Dikk recrutait des chauffeurs. Mais avant cette annonce, j’avais déposé des dossiers sans suite. J’ai fait une autre demande. Mes proches m’ont dit que je n’avais aucune chance parce que Dakar Dem Dikk ne prenait que des hommes. Je me suis dit pourquoi pas et j’ai quand même tenté ma chance. J’ai fini par obtenir ce poste. Comme quoi, il faut toujours y croire et ne jamais se décourager.
Aviez-vous le trac, votre premier jour ?
Non. Nous avons été bien préparés. Mon passage à taxi sister m’a beaucoup aidée. J’étais en quelque sorte dans mon élément. Des passagers s’approchent, me regardent comme si je venais d’une autre planète, mais je gère.
Comment s’est passée votre formation ?
Elle était prévue pour s’étaler sur un mois et demi mais nous étions tous braves et avions réussi aux tests avec brio avant la date fixée. J’ai débuté par la ligne 10, il y a une quinzaine de jours. La formation n’était pas une promenade de santé. C’était dur, je me suis accrochée. C’est quand je suis entrée à Dakar Dem Dikk que j’ai compris que nous ne conduisions pas. On évoluait comme ça dans la circulation, comme si on allait à l’aveuglette. On nous a reformés. Cela se sent dans notre manière de conduire et les passagers voient la différence. J’étais la seule femme, mais Dieu m’a aidée, je ne me suis pas laissée faire. Tout ce que les hommes pouvaient faire, je le pouvais aussi.
Est-ce que les hommes se comportaient de manière différente lors de la formation parce que vous étiez la seule femme ?
Je ne leur en donnais pas l’occasion, quand je voyais qu’ils tentaient de me ménager, en disant par exemple «que la femme commence », je leur disais ici, il n’y a pas de femme, nous sommes tous des hommes. «Lou nguen wakhi ma soul ko, niou défanté ko bamou diekh…». Finalement, ils ont compris.
Comment vous regardent les autres dans les bus et la rue ?
Ils sont étonnés. Tout à l’heure, une passagère a soufflé à une autre que la conductrice était une femme. Elle ne l’a pas cru et est venue jusqu’à moi. Lorsqu’elle a fini de bien m’observer, elle a hoché la tête, m’a félicitée et a prié pour moi. J’ai l’habitude que les autres soient surpris en me voyant au volant. J’ai été parmi les premières à être taxi-woman en 2007 sous Abdoulaye Wade avec les taxissisters, donc, je suis habituée à ces regards surpris. Je fais mon job. J’ai aussi conduit des minibus de 21 places de location, qui faisaient Mbour, Dakar, etc.
Qu’est-ce que cela vous fait d’avoir la responsabilité de dizaines de personnes, de savoir que leur sécurité est entre vos mains, le temps du trajet ?
Je suis consciente de ma responsabilité et je ne perds pas de vue que j’ai besoin de me concentrer du départ à l’arrivée.
Mariée et mère de trois enfants, comment faites-vous pour allier ce travail d’homme à celui du foyer ?
Je fais tout mon possible pour être à la hauteur de mes deux rôles. Je m’occupe de mes enfants, de mon époux. Il est vrai que ce n’est pas évident. A Dakar, je vis à la Médina, mais ma famille se trouve à Mbour. Je m’y rends chaque fois que j’ai un repos.
Qu’est-ce que votre famille a dit lorsque vous lui avez appris que vous allez conduire un bus Ddd ?
Ils ont dit, bus ? J’ai répondu sur un ton sans appel : oui, Inch Allah.
Avez-vous une autre activité en dehors de celle de conduite d’un bus ?
Non, un bus de 12 m, rempli de passagers, c’est une grosse responsabilité. Je me lève à 3 h du matin. A 04 h et quart, je suis partie. A 6 h, je suis sur mon lieu de travail. Je prends ma feuille de route et j’entre dans le bus… .Avec ce rythme ce n’est pas évident de mener une autre activité.
Quel message lancez-vous à l’occasion de cette journée internationale de la femme, à vos «soeurs» en général et en particulier à ceux qui ont peur de l’inconnu ou qui se découragent vite ?
Je leur dis de ne jamais baisser les bras, de venir à Dakar Dem Dikk. Quand on voit le gabarit, on a peur mais c’est une fois qu’on est au volant, qu’on comprend qu’on peut. Et puis, je peux dire que nous sommes passés entre de bonnes mains parce que nos moniteurs, Mbaye Kébé, Sams, Alioune Samb, Bousso sont vraiment performants. Ils nous mettent en confiance et nous préparent techniquement et psychologiquement. C’est un secret de Polichinelle que les chauffeurs sont de nature têtus. Voir un chauffeur qui a une dizaine d’années de carrière, le convaincre de laisser ses mauvaises habitudes au volant, ce n’est pas de tout repos. La patience des formateurs m’a beaucoup frappée. Le Dg de Dakar Dem Dikk, Me Moussa Diop a innové parce que ce n’est pas seulement aux femmes qu’on a ouvert les portes de Ddd, il y a aussi les personnes vivant avec un handicap moteur qui peuvent être des receveurs.
On vous a sans doute déjà dit que vous faites style garçon manqué, non ?
Effectivement, d’ailleurs j’ai une nièce qui m’appelle tonton Sophie, cela me fait rire…