Affaire Assane Diouf ou la poudre de perlimpinpin
La mobilisation extraordinaire des services de l’Etat pour «cueillir» notre compatriote Assane Diouf relève d’une farce burlesque
« Honte à qui peut chanter pendant que Rome brûle » Lamartine
La mobilisation extraordinaire des services de l’Etat pour «cueillir» notre compatriote Assane Diouf relève d’une farce burlesque. Que les propos d’Assane Diouf aient été inconvenants : il n’y a guère de doute. Mais que cette affaire en vienne à « expier » les dérives d’un régime en perte de vitesse, traduit une forme d’indécence.
Dans un magistère truffé de scandales en tous genres (affaire Pétrotim, prolifération des marchés de gré à gré, usage inapproprié des deniers publics, dérapage incontrôlé des fonds politiques …), marqué par une gouvernance médiocre, et un affaissement sans précédent de l’Etat de Droit au Sénégal (atteinte aux libertés individuelles et collectives), l’échelle des priorités est ailleurs.
Dans un article d’une haute portée juridique intitulé « Un peu plus de respect M. Le Ministre », Aliou Niane magistrat à la Cour des Comptes et ancien Président de l’Union des magistrats du Sénégal a révélé l’un des plus grands scandales sous le magistère de Macky Sall. En effet, en soutenant que contrairement aux dires du Ministre de l’Economie, des Finances et du Plan, Amadou Ba, la Cour des Comptes n’a jamais « déclaré conformes les écritures des comptes de gestion des comptables principaux du Trésor et le compte administratif de l’ordonnateur », ce magistrat (qui n’obéit qu’à la loi et à sa conscience) a eu le mérite de souligner que « le vote de la loi de règlement 2015, sans le rapport d’exécution de la loi de finances et la déclaration générale de conformité est assimilable à un hold-up, aux allures d’une escroquerie pure et simple ».
En vérité, cette affaire d’une extrême gravité est une affaire d’Etat qui mérite qu’on s’y attarde un instant. Dans un Etat démocratique où la séparation des pouvoirs est réelle et la justice indépendante, le Ministre Amadou Ba serait traduit sans aucun doute devant la Haute Cour de Justice. En matière pénale, il n’y a aucune équivalence possible entre les actes graves du Ministre (délit de soustraction au contrôle d’un organe « Cour des Comptes », présentation de comptes insincères, non conformes) et les propos inconvenants d’Assane Diouf. Paradoxalement, le Procureur de la République, si prompt à s’autosaisir pour les « offenses supposées au Chef de l’Etat », est aux abonnés absents lorsque des affaires portent sur les deniers publics et engagent le devenir de 14 millions de Sénégalais.
Dans l’affaire Assane Diouf, la leçon vient des Etats-Unis, et plus précisément de notre compatriote Baba Aidara. Après avoir reconnu publiquement s’être trompé dans son appréciation de la situation liée à la « déportation d’Assane », Baba Aidara en a tiré toutes les conséquences, en démissionnant de la RFM. Au même moment, le Ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo qui a organisé l’un des plus grands fiascos de l’histoire électorale du Sénégal (scrutin faussé du 30 juillet 2017) vaque tranquillement à ses occupations, et ne s’interroge pas, le moins du monde, sur sa responsabilité dans la survenance du « chaos électoral du 30 juillet ». Au Sénégal, l’impunité (le ministre délégué Moustapha Diop a défié la Cour des Comptes), l’irresponsabilité ou la propension à « se laver à grandes eaux, selon la formule consacrée » est la chose la mieux partagée par les tenants du pouvoir.
Au-delà de l’affaire Assane Diouf, ce qui pose surtout débat au Sénégal, ce sont les pratiques liberticides du régime. La gouvernance sobre et vertueuse a cédé la place aux intimidations et aux arrestations arbitraires. Cinq (5) ans après son accession à la magistrature suprême, Macky Sall a incontestablement réalisé la rupture promise : mais à l’envers.
L’interpellation de Madere Fall (un concitoyen vivant aux USA, connu pour son opposition farouche au pouvoir) pour une banale affaire de poudre de lait prouve que ce régime «a complétement perdu la tête». En France ou aux Etats-Unis, il existe des associations de consommateurs puissantes et structurées qui représentent et défendent les intérêts des consommateurs. Les produits qui présentent des risques pour la santé ou la sécurité des personnes sont retirés de la vente, aux fins de vérification. Il arrive souvent que le signalement provienne d’un citoyen, après consommation dudit produit. Le citoyen Madere Fall a pleinement exercé son droit d’alerte et d’information (c’est son droit le plus absolu), et n’aurait jamais dû faire l’objet d’une interpellation. A fortiori, être convoqué pour une audition.
Il appartenait à la société concernée de préciser que « le produit en question offre toutes les garanties pour la santé des citoyens, et que tous les tests ont été réalisés, conformément aux normes en vigueur ». Confier un tel dossier à la section des recherches dont la vocation est de s’occuper d’affaires sérieuses, démontre à quel point l’Etat de Droit et les droits élémentaires des citoyens sont piétinés au Sénégal. A ce rythme, il n’est pas impossible que demain, une mouche soit emprisonnée au Sénégal, tant les actes posés par le régime de Macky Sall dénotent d’une inconséquence, voire d’un amateurisme criard dans la gestion des priorités.
Ne nous y trompons pas : les multiples arrestations à répétition traduisent une panique au plus haut sommet de l’Etat. Et disons-le clairement : en 2012, les Sénégalais n’ont pas élu Macky Sall pour traiter de questions similaires à celles d’Assane Diouf. Alors que la liste interminable des scandales qui éclaboussent le régime s’étend, que le chômage des jeunes atteint la cote d’alerte, que les secteurs vitaux (éducation et santé) sont traversés par une crise sans précédent, voir certains s’esclaffer nous donne plutôt l’impression d’assister à la « danse des médiocres ».
Franchement, le Sénégal mérite mieux !
Seybani SOUGOU - sougouparis@yahoo.fr