CE QUE RÉVÈLENT LES PARRAINAGES
Quelle mouche avait piqué Moussa Tine, Ngouda Fall Kane, Thierno Alassane Sall, Thierno Bocoum et les autres, pour prétendre chacun pouvoir obtenir 53 mille parrainages électoraux ?
On le disait, sans aucun risque de se tromper, qu’ils étaient pour la plupart des farfelus à se ruer dans les bureaux du ministère de l’Intérieur pour retirer les documents devant servir à recueillir les parrainages de candidatures pour la prochaine élection présidentielle. Quelque cent trente-neuf candidats à la candidature ou leurs mandataires s’étaient présentés. On ne le dira jamais assez, s’il n’y avait pas la loi disposant un parrainage citoyen pour servir de filtre, on enregistrerait une centaine de candidatures à l’élection présidentielle et ainsi, l’organisation du scrutin serait on ne peut plus chaotique voire même impossible. Ils sont en définitive moins de 15 candidats à prétendre avoir déposé leurs dossiers devant le Conseil constitutionnel avec des listes de parrainages. On attend encore les résultats des contrôles desdites listes par la haute juridiction. Ces contrôles pourront certainement laisser des candidats sur le carreau, car on peut bien craindre que certaines listes aient pu être bidonnées. Le Conseil constitutionnel a eu la lumineuse idée d’associer des personnalités de la société civile, dont la crédibilité ne fait l’ombre d’un doute, pour assister et participer aux opérations de contrôle. Ainsi, il sera difficile pour un candidat dont les parrainages ne seraient pas bons de sortir dire qu’il avait été écarté de la compétition par la volonté du pouvoir politique.
Cent histoires de parrainage
Le coefficient électoral pour obtenir un siège de député lors des élections législatives du 30 juillet 2017 était de 55 mille 147 voix. Franchement, Abdoul Mbaye devait être le seul à croire qu’il pourrait réunir quelque 53 milles parrains ! Lors des dernières élections législatives, sa coalition Joyyanti n’avait pu recueillir que 14 mille 207 voix sur tous les bureaux de vote installés au Sénégal et à l’étranger. Comment Abdoul Mbaye pouvait-il croire qu’il arriverait à tripler son bassin électoral, en l’espace d’une année, encore que de nombreux cadres de son parti ont suivi dans sa démission Amadou Badiane, l’ancien directeur de campagne de la coalition Joyyanti et directeur exécutif du parti l’Alliance pour la citoyenneté et le travail (ACT) ? Faudrait-il rappeler que Me Mame Adama Guèye avait été candidat à l’élection présidentielle de 2007 et avait obtenu 13 mille 700 voix, soit 0,40% des suffrages ? Qu’est-ce qui a bien pu changer pour que Me Guèye, qui avait sans doute tiré la leçon pour ne pas s’aligner en 2012, se mette subitement à croire que son étoile va briller à l’élection présidentielle de 2019 ? Le Pr Amsatou Sow Sidibé n’avait pu glaner que 5 167 voix, soit 0,19% des suffrages de la présidentielle de 2012. Ces voix acquises de haute lutte ont peut-être pu lui permettre d’être nommée ministre-conseiller à la présidence de la République. Cheikh Bamba Dièye, dont le parti Fsd/Bj n’a pu réunir que 0,50% des suffrages de la dernière élection présidentielle de 2012, pouvait-il espérer lui aussi obtenir les parrainages nécessaires ? Quelle mouche avait piqué Moussa Tine, Ngouda Fall Kane, Thierno Alassane Sall, Thierno Bocoum, Ibrahim Hamidou Dème ou d’illustres inconnus comme Serigne Saliou Fall ou Yacine Fall, entre autres, pour se dire qu’ils pouvaient chacun obtenir 53 mille parrainages électoraux ? Quid d’un Ansoumana Dione ! Il se présente comme le président de l’Association des malades mentaux du Sénégal. On peut considérer que pour pouvoir être président d’une association, il faudrait satisfaire aux critères pour en être membre. Alors, comment quelqu’un qui dit à tout son monde faire partie des malades mentaux peut-il prétendre diriger le Sénégal ? D’ailleurs, qui l’a élu à ce poste de président de l’Association des malades mentaux ? Ses éventuels électeurs étaient-ils dotés de raison pour porter un choix sur sa personne ?
Il n’en demeure pas moins que toutes ces personnes ont occupé les médias pour finalement agacer et importuner les Sénégalais de discours de haine, d’accusations gratuites et autres insultes. Une atmosphère de campagne électorale avant l’heure s’est emparée du pays durant tout le temps de la quête des parrainages. Le discours public a été pollué par des insultes, des procès d’intention et des invectives de toutes sortes. Les Sénégalais avaient hâte que la campagne de collecte de parrainages prenne fin pour que les plaisantins et autres prétentieux sachent à quoi s’en tenir. Il leur reste maintenant à chercher à se ranger derrière le candidat qui ne serait certainement pas celui de leur choix éclairé. Ngouda Fall Kane, ancien président de la Cellule nationale de traitement des informations financières, déclare se ranger derrière la candidature de Madické Niang. Que la vie peut révéler des surprises ! Qui ne se rappelle pas que Me Madické Niang, traqué par la Centif, dénonçait alors la hargne crypto-personnelle du président de cette structure, Ngouda Fall Kane ?
Il convient en outre de songer à une prochaine modification de la loi sur le parrainage pour exiger par exemple que la caution pour l’élection présidentielle soit versée avant le démarrage des opérations de collecte de parrainages et que cette caution puisse être ponctionnée si, au bout du compte, le candidat qui l’avait déposée n’a pas pu obtenir le nombre de parrains nécessaires. Les documents édités pour servir de supports pour le recueil des listes de parrainages constituent des dépenses électorales, et il ne semble pas normal que des plaisantins fassent dépenser des sommes, aussi minimes soient-elles, aux contribuables ou pour occuper inutilement les agents de l’Etat préposés à ces tâches. On pourrait aussi envisager d’exiger, avant le retrait des documents de parrainages, de procéder au versement d’une caution non remboursable. Quitte même à déduire du même montant la caution définitive de 30 millions de francs exigée des candidats qualifiés pour la présidentielle.
Il y a du faux dans les parrainages
Il y a une part d’absurde, on peut même dire de faux, dans les chiffres annoncés çà et là par les états-majors des candidats. En effet, si on agrège le nombre de parrainages annoncés de partout, on constaterait que le nombre total d’électeurs ayant donné des parrainages dépasse plus de 70% du fichier électoral. Ce qui du reste est déjà très largement supérieur aux taux de participation communément enregistrés à des élections nationales au Sénégal. Les partisans du président Macky Sall affirment avoir recueilli plus de 3 millions de parrainages. Madické Niang brandit plus de 390 mille 946 parrainages. Idrissa Seck affiche un compteur à plus de 125 mille, Malick Gakou ne serait pas en reste, lui qui annonçait le 14 novembre 2018 avoir déjà recueilli plus de 124 mille 342 parrainages, Bougane Guèye Dany revendique plus de 700 mille parrains, Karim Wade déclare, par la voix de Oumar Sarr, plus d’un million de parrains. Le 6 septembre 2018, au tout début de la campagne des parrainages, Bamba Fall soutenait que Khalifa Sall avait déjà engrangé 100 mille parrains. Cheikh Hadjibou Soumaré, Ousmane Sonko, Elhadji Issa Sall, Aïssata Tall Sall, Moustapha Guirassy, Pierre Goudiaby Atepa ne donnent pas de chiffres, mais affirment, la main sur le cœur, avoir bouclé le nombre de parrainages nécessaires pour faire valider leurs candidatures respectives à l’élection présidentielle. C’est comme qui dirait que tous les électeurs qui se rendront effectivement dans les isoloirs auraient déjà fini de donner leur parrainage. Or la réalité observée dans nos entourages proches renseigne que la plupart des électeurs n’auraient pas participé aux opérations de parrainage. Mieux, s’il faudrait y ajouter les quelques centaines ou même milliers de voix glanées par chacun des cent autres candidats qui ont fini par jeter l’éponge, faute de pouvoir obtenir le nombre de parrainages qualificatifs, on serait dans une situation où presque la totalité des personnes inscrites au fichier électoral auraient fait acte de parrainage de candidats.
Il s’y ajoute que les modalités du parrainage ont manifestement été dévoyées. Il a été observé que des responsables politiques ramassaient des cartes nationales d’identité de citoyens pour en faire des parrains de tel ou tel candidat. Est-ce que les parrains ont été conscients des opérations effectuées avec leur carte d’identité et autres cartes d’électeur ? La course à la recherche de qui fait mieux a été telle, dans certaines formations politiques, que des personnes avaient été prises en train de voler des cartes d’identité de citoyens au niveau du commissariat de police de Mbour par exemple pour pouvoir s’en servir pour remplir des fiches de parrainage. En d’autres termes, quelle est la sincérité des parrainages présentés ?
Il a aussi été observé une autre situation des plus burlesques. Des candidats qui n’ont pas pu obtenir les parrainages les quémandent de leurs concurrents. Certains membres du Front de résistance nationale (FRN) avaient demandé s’il n’y avait pas de possibilité pour que les formations politiques membres du Frn, comme le Pds, qui auront largement dépassé la barre des signatures demandées, de filer une partie de leur surplus de parrains à certains autres candidats. A cette requête, Oumar Sarr du Pds opposa une fin de non-recevoir. Le PDS, et pour cause, ne voudrait «dépanner» personne avec son trop-plein de parrainages. On peut d’ailleurs se demander comment une telle opération aurait été possible. Cela ne manquerait pas non plus de poser un problème éthique. Le candidat parrainé par un électeur peut-il disposer de ce parrainage comme bon lui semble ? Ce serait détourner quelque part la confiance d’un électeur qui vous accorde son parrainage intuitu personae et que vous refilez ce parrainage au profit d’un autre candidat sans l’accord préalable de cet électeur parrain. Le simple fait que des candidats aient pu penser préconiser un tel scénario peut faire douter de la sincérité des parrainages qu’ils auraient recueillis. Le parrain doit identifier le candidat parrainé et apposer sa signature sur la fiche prévue à cet effet. S’il faudrait mettre en place ce système de transvasement de parrainages, il faudrait retourner auprès de chaque électeur qui avait donné son parrainage pour le candidat X afin de recueillir son consentement éclairé pour refiler le parrainage à un candidat Y.
Encore une fois, la notoriété médiatique n’est pas toujours synonyme de notoriété électorale. Nous mettions en garde, en perspective de la présidentielle de 2012, certaines personnalités très médiatisées, quant aux risques d’une débâcle électorale si jamais elles prenaient le risque de commettre «l’erreur de se compter». C’était une chronique du même titre publiée le 9 janvier 2012. Assurément, l’ancien magistrat Ibrahima Hamidou Dème aura compris, tout comme l’ancien commissaire de police Boubacar Sadio, ou l’ancien inspecteur du Trésor Ngouda Fall Kane, que l’assiduité sur les plateaux des radios et des télévisions ne garantit pas un électorat.
Les parrainages, révélateurs de nouveaux rapports de force au sein de la majorité présidentielle
Les chiffres brandis par les responsables de la coalition qui porte la candidature du Président sortant, Macky Sall, révèlent une situation riche en enseignements. Il s’avère, sur la foi des indications fournies dans les différentes circonscriptions électorales, que les plus gros quotas de parrainages ont été apportés par des personnes qui apparaissent comme des nouveaux au bataillon politique et électoral. A la vérité, les ténors ou autres caciques du parti du Président Sall n’ont pas brillé par leurs résultats dans la recherche des parrainages. La même observation est de rigueur du côté des alliés traditionnels de l’Alliance pour la République (APR). Les parrainages fournis par l’Alliance des forces de progrès (AFP) de Moustapha Niasse, par le Parti de l’indépendance et du travail (Pit) et par ce qui reste de la Ld/Mpt et qui demeure encore favorable au Président Sall ou même du Parti socialiste (PS) compteraient pour quantités négligeables. Une telle donne ne va-t-elle pas induire une redistribution des cartes politiques si le président Sall arrive à se maintenir au pouvoir à l’issue de la présidentielle de février 2019 ?