DE L’ORIGINE DU COUSINAGE A PLAISANTERIE EN AFRIQUE DE L’OUEST
Cette pratique qui date de la nuit des temps est source de paix et de concorde entre ethnies, entre familles et entre individus portant des noms de famille différents
Récemment, un article de Khadidiatou Guèye publié dans un journal de la place évoquait le cousinage à plaisanterie, cette pratique sociale qui a cours dans notre pays et dans d’autres Etats de la sous-région comme le Mali ou encore la Guinée. Le Témoin, dans son coin d’histoire, revient sur cette pratique sociale bienfaitrice qui adoucit les mœurs…
Cette pratique qui date de la nuit des temps est source de paix et de concorde entre ethnies, entre familles et entre individus portant des noms de famille différents. C’est ainsi que, dans notre pays, les Diop et les Ndiaye se chahutent sans animosité, de même qu’entre Sérères et Peuls, entre ces derniers et les Forgerons…
Il en est de même au Mali où le cousinage à plaisanterie sert de lien social, comme un liant qui raffermit et cimente les relations individuelles et collectives. Selon les historiens, son origine remonte au 13ème siècle dans l’empire du Mali encore appelé le Mandé. C’est l’empereur du Mandé Soundjata Keita qui, à la suite d’une guerre victorieuse sur le Sosso, son rival, édicta une charte qui devait garantir la paix entre les peuples, abolir l’esclavage et maintenir la cohésion sociale. Cette charte, autrement appelée le Pacte du Mandé, a été élaborée en 1236 dans la localité dénommée Kouroukan Fouga. Elle comporte 44 lois destinées essentiellement à organiser la vie en société, les relations entre clans, communautés et ethnies.
Le contexte historique de la naissance de cette charte a été rappelé par l’écrivain et professeur Djibril Tamsir Niane lors d’une table ronde à Nanterre, en France, en 2012. Voici ce qu’il écrivait : « Depuis plusieurs années une guerre civile désole l’Afrique de l’Ouest, depuis la dislocation de l’Empire de Ghana sous les attaques des Almoravides en 1076. Les provinces, les royaumes autonomes s’entredéchirent pour l’hégémonie.
Au début du XIIIème siècle, le Roi du Sosso, Soumaoro Kanté, prend le dessus, s’impose à plusieurs provinces, envahit le Mandé et se proclame roi. Mais les mandingues se révoltent et une vive résistance s’organise. Le duel entre le Sosso et le Mandé est le sujet de l’épopée Mandingue. Soundjata, prince du Mandé, alors en exil, est appelé par le peuple mandingue, se met à la tête de la résistance et galvanise les énergies. Il sort vainqueur de la bataille de Kirina en 1235, bataille retentissante signalée par maints historiens et voyageurs arabes de l’époque. C’est la fin de la longue suite de guerres qui avaient entrainées la ruine du pays, la désolation dans les campagnes et l’effondrement des valeurs humaines. Un immense désir d’ordre, de paix et de sécurité agite les hommes ; la victoire de Kirina annonce donc le renouveau, une ère nouvelle.
Soundjata convoque une grande assemblée à Kouroukan Fouga, où il doit être couronné, et c’est là qu’entouré de ses compagnons et alliés il va édicter les principes et règlements devant régir son Empire». L’objectif était d’organiser la vie en société, restaurer la paix, créer les conditions d’une paix durable. « Pour stabiliser la paix », écrit Djibril Tamsir Niane, « il est crucial de rétablir la justice et de garantir la sécurité des communautés. Ainsi, l’énoncé 1 de la charte de Kouroukan Fouga présente la société : « la société du grand Mandé est divisée en seize clans de porteurs de carquois, cinq clans de marabouts, quatre clans de Niamakala ou gens de métiers et les esclaves. Chacun de ces groupes a une activité et un rôle spécifique ».
La société est donc hiérarchisée, avec des catégories sociales définies : les porteurs de carquois sont les hommes libres, parmi lesquels sont recrutés les guerriers appelés à défendre le pays ; les cinq clans de marabouts constituent le clergé, ceux qui enseignent le Coran ; quant aux Niamakala ou gens de métiers, ce sont les griots, les forgerons, les cordonniers ou autres tisserands. Chacun de ces groupes a son code, ses coutumes…» Mais c’est l’article 7 de la charte qui évoque le cousinage ou la parenté à plaisanterie.
Il est énoncé comme suit : « Il est institué entre les peuples de l’empire le Sanankouya. En conséquence aucun différend entre ces groupes ne doit dégénérer, le respect de l’autre étant la règle ». Précisions de l’historien et écrivain : « Le Sanankouya, est l’alliance entre deux clans, qui se doivent de fraterniser. Les membres peuvent se chahuter, se brocarder, voir échanger des propos grivois, sans que cela prête à conséquence. La convivialité est de règle entre eux ». C’est ainsi que Soundjata établit un système de correspondance entre les patronymes d’une ethnie à l’autre. Par exemple, le patronyme mandingue Diarra a pour équivalent le patronyme Ndiaye chez les Ouolofs. Au patronyme mandingue Traoré correspond chez les Ouolofs le patronyme Diop, et ainsi de suite…
Ainsi, Diarra et Traoré sont cousins à plaisanterie, de la même façon que chez les Ouolofs Ndiaye et Diop sont aussi cousins à plaisanterie. Cette alliance tisse un puissant réseau entre ethnies, entre clans, entre communautés. Un véritable système de prévention de conflits s’instaure. Peuls et Sérères sont déclarés cousins à plaisanterie, de même que les Sérères et les Diolas, les Mandingues et Peuls, etc., ce qui aura largement contribué à rapprocher les peuples de l’empire qui, il faut le rappeler, s’étendait de la presqu’île du Cap Vert à l’embouchure de la Gambie sur l’Océan Atlantique jusqu’à Niamey sur le Niger, soit 3000 Km de l’ouest à l’est de l’Afrique de l’ouest.
En effet, les royaumes du Sénégal payaient alors tribut à l’empereur du Mandé même s’ils gardaient leur propre souveraineté et élaboraient leurs propres lois. Cependant, ils étaient tenus de respecter les principes de la Charte du Mandé. C’est seulement lors de la pénétration coloniale avec le démantèlement de tous ces royaumes que l’empire du Mali cessera de lever les impôts. Mais la pratique du cousinage à plaisanterie va demeurer et, de nos jours encore, elle contribue fortement à apaiser la société et à cimenter les liens entre différentes ethnies.
Par Mohamed Bachir Diop