DÉGRADATION DES LIBERTÉS PUBLIQUES AU SÉNÉGAL
Désormais un homme, comme l’opposant Ousmane Sonko, peut être retenu à son domicile par un bataillon de policiers, empêché de rencontrer ses avocats
Le récit quasi identique des prisonniers politiques libérés par vague depuis le 15 février 2024 de la prison dakaroise de Reubeuss, décrivant les conditions de détentions contraires à la dignité humaine, illégales, presque irréelles, rappelle cette maxime disant que le niveau de démocrate d’une société se mesure dans l’état de ses prisons et de ses prisonniers.
Dans ce type de situation, ce n’est certainement pas une commission d’enquête parlementaire qu’il faut, mais une ouverture d’information, même si ce terme est galvaudé pour avoir été utilisé à tort et à travers.
Une particularité : ces prisonniers politiques sont, pour une grande majorité, des militants du parti de l’opposant Ousmane Sonko.
Une autre particularité : la gestion des dossiers judiciaires de l’opposant Ousmane Sonko et les conditions dans lesquelles son parti politique le Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité) a été dissout illustrent la dégradation des libertés publiques au Sénégal.
Ces libertés publiques ont connu, au Sénégal et ce depuis l’alternance de 2000, avec le président Abdoulaye Wade, un affaissement incontestable se matérialisant par l’absence de toute sécurité juridique, c’est-à-dire l’inexistence de toute prévisibilité des décisions de justice, gage de confiance dans la justice, par les citoyens et par les investisseurs.
Cette dégradation continue des libertés publiques entre dans sa phase ultime, sédimentant quasiment tout le système juridique et administratif, ajouter à cela une démystification de la corruption, une vassalisation des pans entiers de la société.
Chose surprenante dans cette dégradation des libertés publiques, le Sénégal avait la particularité d’être signataire de l’ensemble des instruments internationaux protecteurs des droits de l’homme, ayant par conséquent un corpus législatif théoriquement protecteur.
Malheureusement, il faut constater le délitement de l’État de droit, que Léon Duguit, juriste français spécialiste de droit public définissait ainsi : « L’État est subordonné à une règle de droit supérieure à lui-même qu'il ne crée pas et qu'il ne peut pas violer ». L’illustration de ce délitement se constate quand une administration peut refuser d’appliquer une décision de justice pourtant assortie de l’exécution provisoire, sans aucune conséquence.
Ainsi, on constate de manière tout à fait surprenante, la prééminence du politique sur le droit.
Désormais un homme, comme l’opposant Ousmane Sonko, peut être retenu à son domicile par un bataillon de policiers, empêché de rencontrer ses avocats, de sortir et de recevoir y compris de s’entretenir avec ses avocats, sans qu’aucun acte juridique ne lui soit présenté à l’appui de cette limitation de ses libertés de mouvement. Dans un État de droit, ou qui prétend l’être, cet acte aurait été précédé d’une décision juridique ou administrative quand bien même cette dernière serait infondée. Le pire est que des juristes parfois même des agrégés de droit viennent soutenir sur les plateaux de télévision, ou dans les journaux la légalité d’un acte de limitation des libertés d’un individu sans aucune base juridique connue.
La particularité est qu’ici il n’est plus nécessaire de chercher à sauver les apparences, une autorité politique pouvant suppléer l’État dans sa fonction de distribution de la justice.
Cela est inquiétant, tel est d’ailleurs l’illustration du Lawfare, procédé défini comme une « guerre juridique, guerre du droit ou les usages stratégiques du droit est l’utilisation du système judiciaire pour combattre un ennemi… »
Le même opposant Ousmane Sonko, contumax s’est vu opposer le caractère définitif de ladite condamnation motif pris de ce qu’il aurait été arrêté dans une affaire distincte de celle pour laquelle il a été condamné par contumace. Ce moyen juridiquement faux est également défendu et réitéré par des hommes de loi, ce qui inquiète également.
Qu’importe d’ailleurs l’innocence ou non de l’opposant, c’est le procédé, la méthode, le fait de soutenir une telle manière de procéder qui devrait inquiéter.
Il faut donc constater une dégradation continue des libertés publiques et l’absence d’une réelle sédimentation du respect de la règle de droit, puisque l’on ne constate plus la hauteur et la clarté dans les décisions de justice. La doctrine qui est la matière par excellence de l’examen et de l’étude des règles de droit n’a plus aucune valeur dès lors qu’il n’existe plus de ligne directrice, puisque les décisions et l’interprétation de la règle de droit dépendent du justiciable et des relations que celui-ci peut avoir au sein de l’appareil politique.
Quant au législateur, il a certainement des sujets autrement plus importants que la prorogation du mandat du président de la république, ces sujets sont dans le désordre concernent des chantiers en lien avec ses domaines de compétence comme la spoliation des anciens combattants, la restitution de œuvres d’arts pillés, la mise en place d’une législation permettant d’éclairer le massacre de Thiaroye.
Sur la spoliation des anciens combattants sénégalais
Dans un arrêt du Conseil d’état français en date du 30 novembre 2001, il est indiqué clairement la discrimination quant à la cristallisation des pensions militaires des anciens combattants sénégalais en ces termes :
« Considérant que les pensions de retraite constituent, pour les agents publics, une rémunération différée destinée à leur assurer des conditions matérielles de vie en rapport avec la dignité de leurs fonctions passées ; que la différence de situation existant entre d'anciens agents publics de la France, selon qu'ils ont la nationalité française ou sont ressortissants d'Etats devenus indépendants, ne justifie pas, eu égard à l'objet des pensions de retraite, une différence de traitement….. »
L’ancien combattant ne pouvait donc voir réduire sa pension sur le seul critère qu’il n’est pas français ou ne vit pas en France.
La restitution des œuvres d’art pillées en Afrique
Une grande partie des œuvres d’art pillées en Afrique se trouvent dans les musées et leurs réserves européennes.
Lorsque l’on évoque cette question d’aucuns pensent aux musée et œuvres exposées, rarement à la composition de ces œuvres d’art, c’est-à-dire des restes humains conservés.
Il existe une discrimination dans la recherche et la restitution des œuvres d’art pillés pendant une guerre et celles pillés en Afrique.
Après la seconde guerre mondiale une législation spécifique a été créée en France pour la récupération des biens spoliés, c’est la Commission Mattéoli.
Cette commission a été instituée par arrêté du Premier ministre le 25 mars 1997 pour étudier la spoliation des Juifs de France. Les biens sont recherchés et restitués ou exposés publiquement aux fins d’obtenir une plus grande efficience dans ladite restitution, il n’existe aucune loi ou disposition tendant à discuter ou empêcher leur restitution, même les objets acquis pendant une période suspecte font l’objet de recherche toujours aux fins de les rendre à leurs légitimes propriétaires.
Un enseignement est également dispensé pour reconnaitre les périodes ou les œuvres d’art ne pouvaient être ni achetées ni obtenues de quelque manière que ce soit puisque leurs propriétaires n’étaient pas dans un état leur permettant soit de vendre soit de transmettre leurs biens sans aucune influence.
C’est ainsi qu’au sein des beaux-arts les étudiants doivent apprendre à reconnaitre ces biens qui ne pouvaient circuler légalement.
Concernant les biens spoliés en Afrique l’approche est différente
Pour les œuvres d’art spoliés pendant la colonisation, c’est une autre approche intellectuelle.
Les autorités françaises indiquent qu’elles auraient souhaité restituer les œuvres pillées, mais malheureusement des Lois empêchent cette restitution. Autrement dit il existe en France des lois qui font que tous les objets volés, pillés et obtenus en Afrique francophone ne peuvent être rendus à leurs légitimes propriétaires puisque d’une part eu égard à leur valeur se pose la question de leur conservation et si ces objets restitués dans leur lieu d’origine n’étaient pas conservés correctement ?
D’autre part, se pose la question de leur inaliénabilité, au motif que les lois sur la conservation des œuvres d’art et la législation sur les musées ne permettent pas de les restituer quel qu’en soit le mode d’acquisition.
Ainsi, en France il faut une loi pour la restitution des objets volés et pillés pendant la période coloniale, de même qu’il faut également une loi pour la restitution des restes humaines.
Le massacre de Thiaroye
Le massacre de Thiaroye a eu lieu sous le commandement du Général Marcel DAGNAN, né en 1885, décédé en 1978, à l'âge de 93ans.
Le 1er décembre 1944 quand des troupes coloniales et des gendarmes français ont tiré sur des tirailleurs sénégalais, anciens prisonniers de la Seconde Guerre mondiale récemment rapatriés, qui manifestaient pour le paiement de leurs indemnités et le versement du pécule qui leur étaient dus, aucune suite juridique n’a été apportée à ces ayants-droits.
Les associations de défense des familles des tirailleurs attendent de la France l’autorisation de procéder aux fouilles du site à la recherche de trace de ce massacre sans que des dispositions juridiques locales n’encadrent cette affaire.
L’appareil judiciaire et législatif sénégalais ; pays abritant le lieu de déportation des esclaves : la ville de Gorée, le lieu du massacre des tirailleurs africains : la ville de Thiaroye, aurait pu avoir d’autres préoccupations en lieu et place de la surveillance des opposants politiques, à la place de veiller à l’application de la jurisprudence du conseil d’état français sur le paiement des pensions des anciens combattants ou encore le respect des conventions bilatérales comme celle relative à la circulation et au séjour des personnes signée à Dakar le 1er août 1995, publiée en France par le décret n°2002-337 du 5 mars 2002, et entrée en vigueur le 1er avril 2002 qui ne trouve aucune application en droit interne français.