DÉMOCRATIE POLITIQUE ET DEMANDE CROISSANTE DES JEUNES POUR PLUS DE LIBERTÉ ET DE JUSTICE SOCIALE
Pour une fois, un nouveau pouvoir n’aura qu’un seul choix : celui de procéder à la réforme du présidentialisme, de mettre en œuvre la gouvernance vertueuse et répondre aux aspirations des jeunes et des femmes
Les troubles que le Sénégal a connus entre 2019 et 2024 ont suscité de nombreuses inquiétudes quant au modèle démocratique qui a fait la réputation du pays en Afrique. La discussion qui suit retrace son parcours en tant que démocratie, garantissant l’exercice des libertés des citoyens d’exprimer leurs opinions sans restriction et de choisir ceux à qui l’on confie la gouvernance du pays. Elle évoque les traditions démocratiques du Sénégal qui remontent à l’époque coloniale et l’exercice du pouvoir sous la présidence de Macky Sall, marqué dans une large mesure par des tendances autoritaires et des résistances citoyennes.
Le Sénégal, un pays de longue tradition démocratique
Le Sénégal compte en 2023 18 000 000 habitants environ dont les moins de 35 ans représentent 75 % de la population [1]. Il est connu pour sa longue tradition démocratique avec l’organisation régulière des élections. En effet, la scène politique est restée dominée par la démocratie d’essence coloniale et élitiste à l’œuvre sur la scène politique depuis 1914 avec l’élection du député Blaise Diagne remplacé par Galandou Diouf en 1938. Au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale, Lamine Gueye et Léopold Sédar Senghor occupent l’arène politique. Dans ce contexte, en 1960, le Sénégal accède à l’ indépendance formelle préparée par l’Union française en 1946, la Loi-cadre en 1956 et la Communauté Franco-Africaine en 1958. Le régime est de type parlementaire avec Léopold Sédar Senghor comme président et Mamadou Dia assure le poste de Vice-Président. Avec la crise de décembre 1962 marquée par l’emprisonnement de Mamadou Dia, un régime présidentialiste est instauré. Formellement, le système politique repose sur le pluralisme mais les libertés publiques sont bâillonnées, les partis d’opposition pareillement réprimés. Avec la crise de mai 1968/1969, le paysage politique sénégalais connait de graves secousses qui ouvrent une nouvelle ère politique, sociale et culturelle.
Une ouverture démocratique timide est amorcée au milieu des années 1970, avec la reconnaissance du Parti Démocratique Sénégalais fondé par l’avocat et universitaire Maitre Abdoulaye Wade. Mais le président Senghor décide de n’autoriser que quatre courants de partis politiques, poussant ainsi les autres mouvements politiques d’opposition à la clandestinité.
Les troubles sociaux et politiques, combinés à la crise économique qui a conduit à l’adoption d’un programme d’ajustement, ont précipité le départ du président Senghor. En 1981, Léopold Sédar Senghor cède le pouvoir à Abdou Diouf sans l’organisation d’élections en application de l’article 35 de la constitution. Le nouveau Président de la république élargit, sous la pression des forces démocratiques et progressistes, la liberté de formation des partis politiques mais la loi électorale favorise les fraudes avec les votes multiples et la non-identification des électeurs dans les bureaux de vote [2]. Les élections présidentielles de 1983 et de 1988 ont été marquées par de fortes contestations suivies de l’arrestation des leaders politiques de l’opposition [3]. C’est en 1992 qu’un accord est intervenu à la suite du dialogue entre les acteurs politiques sous la facilitation de l’équipe du juge Kéba Mbaye. Une loi électorale consensuelle est adoptée. Elle garantit la refonte du fichier électoral, l’identification des électeurs dans les bureaux de vote, l’obligation du passage dans l’isoloir, la présence des observateurs durant les élections et la publication des résultats à travers les radios publiques et privées. Le consensus s’établit sur le décalage énorme des politiques publiques et la demande sociale. La vie devient chère et la gouvernance s’écarte de la valorisation des immenses potentialités nationales.
Deux alternances politiques : les acquis démocratiques sont réversibles
Les réformes politiques aggravée par la crise économique ouverte avec l’ajustement structurel vont favoriser en mars 2000 l’alternance à la tête de l’État consacrant l’arrivée de Maitre Abdoulaye Wade à la place de Abdou Diouf. Ayant été le fer de lance de la démocratisation avant d’arriver au pouvoir, le président Wade prend néanmoins de nombreuses décisions à l’inverse des acquis démocratiques au point que les citoyens l’assimile à un autocrate qui personnalise la gestion de l’État en visant à installer son fils comme futur vice-président. Son ancien premier ministre, Macky Sall se martyrise face à la confiscation de tous les pouvoirs.
Comme dans un sursaut massif, plusieurs acteurs politiques, syndicaux, patronaux, et de la société civile engagent la tenue des Assises nationales (1er juin 2008 - 24 mai 2009) pour refonder les institutions, élaborer une charte de gouvernance démocratique et une série de mesures correctives des politiques sectorielles [4]. Les Assises nationales ont joué un important rôle dans l’émergence et la consolidation du mouvement de contestation qui a mis un terme au régime d’Abdoulaye Wade
Le prélude de la défaite de Maitre Abdoulaye est annoncée avec les élections locales du 22 mars 2009 qui ont été marquées par la victoire de l’opposition regroupée au sein de Benno Siggil Sénégal (Unis pour un Sénégal Debout) dans les grandes villes ( Dakar, Pikine, Guediawaye, Kaolack, Fatick, Diourbel, Louga et Saint-Louis). Le Parti Démocratique Sénégalais est resté solide dans les communautés rurales [5].
Avec la forte mobilisation des acteurs politiques, des changements sont apportés au niveau des institutions. La limitation du nombre des mandats à deux était déjà consacrée dans la nouvelle constitution de 2001. Mais Maitre Abdoulaye Wade [6] va tenter sans succès d’obtenir un troisième mandat qui lui sera refusé par les électeurs en mars 2012.
Le nouveau président élu se nomme Monsieur Macky Sall. C’est le premier président né après les indépendances. Il est porteur d’espoir chez les jeunes générations dont la plupart d’entre eux, selon le journaliste Khalil Gueye, sont « membres de la GEN Z, c’est à dire la Génération Z, une génération incomprise par les hommes politiques et qui passe pour la génération la plus complexe aujourd’hui dans tous les pays du monde. Elle a entre 11 ans et 25 ans et elle tapisse le système éducatif du primaire à l’université. Dans la vie de tous les jours elle est présente dans les foules des stades et des arènes de lutte, dans la masse des sans-emploi et partage les idées et sentiments du groupe dur de notre société qui ne croit plus en rien de ce que toute autorité puisse lui promettre » [7].
Ce sont ces jeunes qui ont été déçus par Macky Sall car son programme économique est centré sur la construction des infrastructures et la défense des intérêts des sociétés internationales. L’impact sur les populations et surtout les jeunes est peu significatif. Les statistiques sont éloquentes. De 3 273 000 d’habitants en 1960, la population a été multipliée par 6 en 64 ans pour atteindre en 2023 : 18 032 473 habitants dont la moitié de la population est âgée de moins de 19 ans [8]. Mais entre 2012 et 2024, la situation des jeunes ne s’est pas améliorée. Le taux de chômage reste élevé avec une légère tendance à la baisse : un taux de 22,5 % en 2015 passé à 18,6 % en 2023. Le sous-emploi est plus accentué avec 90 % d’emplois précaires. Au plan national, « en 2013, 28 % des actifs occupés par moins de 40 heures par semaine seraient disponibles pour travailler davantage. Ce taux est de 21 % pour les hommes, de 40 % pour les femmes, il est de 32 % en milieu rural, de 24 % à Dakar et de 26 % dans les autres centres urbains » [9]. L’insertion des jeunes dans le marché du travail s’est rétrécie. La situation de chômage ou de sous-emploi est vécue par les jeunes comme « une mort sociale » [10]. De ce fait, l’émigration clandestine apparait pour beaucoup de jeunes comme une alternative pour échapper à̀ la crise de l’emploi et à l’instabilité́ professionnelle, un raccourci possible vers une ascension économique réelle et surtout fulgurante. C’est pourquoi Khalil Gueye a raison de dire que la génération Z ne craint ni la mer ni le désert pour quitter le pays et aller ailleurs forger un meilleur avenir [11].
Macky Sall à l’épreuve de la démocratie et de l’État de droit : entre l’autoritarisme et les mobilisations contre les dérives présidentialistes
C’est dans ce contexte de crise que le jeu institutionnel est marqué par les dérives du régime présidentialiste autoritaire affirmant sa détermination à « réduire l’opposition à sa plus simple expression », ne tolérant aucune position critique. Dès son avènement au pouvoir, Macky Sall au lieu de penser aux prochaines générations pour leur assurer un mieux-être, s’est inscrit dans l’optique de gagner la prochaine élection prévue en 2019. Sous le prétexte de la reddition des comptes, deux opposants sont arrêtés, jugés et mis en prison. Il s’agit de Karim Meissa Wade, le fils de l’ancien Président Abdoulaye Wade, arrêté en avril 2013 et gracié en 2018 après 38 mois de séjour carcéral mais privé de ses droits civiques et donc exclu des élections présidentielles de 2019. Le même scenario est appliqué à Ababacar Khalifa Sall, maire de la capitale Dakar, arrêté en 2017 et condamné à cinq ans de prison et gracié un an après mais privé de ses droits civiques.
En réalité, si le président Macky Sall se compare souvent à un champion de lutte voulant préserver le titre de roi des arènes, il n’est point disposé à respecter les règles connues d’avance de la lutte . Avant le jeu , il élimine les sérieux adversaires par des complots extra sportifs, choisit l’arbitre de ses propres combats pour être proclamé champion. C’est ainsi que les élections présidentielles de février 2019 ont été un triomphe pour Macky Sall en l’absence de deux grands calibres de la scène politique sénégalaise. Mais comme dit l’adage « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Dépourvu de légitimité, le nouveau président est si triste de ne pas être encensé pour ses exploits dans l’arène politique [12] . Au classement, on retrouve Idrissa Seck et Ousmane Sonko, respectivement deuxième et troisième derrière Macky Sall. Au lendemain des élections, la tension reste perceptible et nourrit l’inquiétude de nombre d’observateurs et admirateurs du modèle de démocratie qui reste attaché au Sénégal.
L’écrivain franco-guinéen, Prix Renaudot 2008, Tierno Monénembo s’interroge sur ce pays symbole de la démocratie en Afrique. « Qu’est-il arrivé au Sénégal ? » demande-t-il. Dans sa chronique intitulée : « Sénégal : le syndrome Sonko » et publiée le 3 mars 2019, il écrit : « Mais où est donc passée cette société fluide et raffinée que nous a léguée le lettré Senghor….La tolérance, la palabre, le wakhtane, l’espace de négociation ; cette vertu cardinale de la société sénégalaise est en train de se rétrécir sous le double coup des mesquineries et des ambitions partisanes » [13].
Mais la leçon de vie renvoyant aux belles vertus du dialogue pour surmonter les difficultés du pays contenue dans la chronique de Tierno Monénembo a été détournée de sa signification et mise au service des manœuvres politiques de consolidation d’un pouvoir ébranlé. Ainsi, à la faveur des effets de la Covid-19 et au nom des intérêts supérieurs du pays déclaré « en danger », Idrissa Seck rejoint la majorité présidentielle et est récompensé le 1er novembre 2020 du poste de président du Conseil économique, social et environnemental et bénéficie de deux postes ministériels pour son parti politique «Le Rewmi ». Avec le ralliement d’Idrissa Seck au pouvoir, Macky Sall pense alors qu’il peut dérouler son projet de briguer un troisième mandat d’autant que selon lui, la constitution adoptée en 2016 lui permet de le faire. Mais pour réussir son projet, il faut neutraliser tous les adversaires susceptibles d’être des obstacles. Ousmane Sonko , député et maire de la ville de Ziguinchor, la plus importante ville de la Casamance, au sud du pays, est identifié comme l’adversaire à abattre. Les dossiers judiciaires sont montés. C’est d’abord l’affaire Adji Sarr, une jeune masseuse qui accuse le 6 février 2021 Ousmane Sonko, candidat déclaré à l’élection présidentielle du 24 février 2024 de « viols répétitifs ». et « menaces de mort ». Le 3 mars 2021, le député et maire de Ziguinchor est officiellement mis en cause puis convoqué par le doyen des juges du tribunal de Dakar. Pour répondre au juge, il est accompagné de ses partisans. Sur le parcours, il est arrêté pour « trouble à l’ordre public », puis libéré sous contrôle judiciaire, après plusieurs jours d’émeutes et de nombreuses scènes de pillages ciblant les entreprises françaises (Total, Supermarchés Auchan, Carrefour, etc.) dans tout le pays. Quatorze morts sont enregistrés. Pour Ousmane Sonko, « cette accusation est une manipulation politique en vue de le mettre hors course de tout mandat électif. Car s’il était condamné, l’opposant serait inéligible » [14]. Jugé par contumace, l’opposant Sonko est acquitté le 1er juin 2023 des faits de viol dont il était accusé, mais il est reconnu coupable « de corruption de la jeunesse » et condamné à deux ans de prison et 600 000 FCFA d’amende. À l’énoncé du verdict, des violences ont éclaté dans plusieurs villes du pays. Près de soixante morts ont été dénombrés. Plus de 1 500 personnes ont été arrêtées et mises en prison pour des motifs variables notamment « offense au Chef de l’État », « outrage à magistrat », « diffusion de fausses nouvelles », etc. Felwine Sarr a raison de relever que « l’appareil judiciaire a abusé d’une rhétorique autour de la sûreté de l’État, du respect des institutions, du maintien de l’ordre public, pour organiser la répression systématique des opposants, leur intimidation et leur emprisonnement ; ainsi que la mise sous silence des voix dissidentes et des esprits épris de justice » [15].
Ensuite, une deuxième affaire de diffamation sera portée contre l’opposant Sonko qui est aussi condamné à six mois avec sursis hypothéquant ses chances légales d’être accepté comme candidat aux élections du 25 février 2024.
La mélancolie du président Macky, facteur d’inertie
Après plus d’un an de suspense, de tensions et de pressions politiques et religieuses diverses, Macky Sall annonce le 3 juillet 2023 , qu’il ne se représenterait pas aux élections présidentielles de février 2024. Mais le 28 juillet 2023, Ousmane Sonko est arrêté à Dakar. « Le procureur affirme qu’il fait l’objet d’une enquête pour « divers chefs de délits et crimes ». Le parquet estime que « depuis un certain temps », des « actes, déclarations, écrits, images et manœuvres » de la part de l’opposant étaient « constitutifs de faits pénalement répréhensibles » [16].
Le politologue Pierre Sané qualifie Macky Sall du titre de « président mélancolique et mal-aimé ». En effet, Président Sall est désespéré de voir son projet avorté : instaurer au Sénégal une présidence à vie comme c’est le cas dans nombre de pays d’Afrique centrale pour assurer un contrôle sur les ressources escomptées de l’exploitation prochaine du pétrole et du gaz. Pierre Sané fait remarquer ironiquement que le rêve de Macky Sall « est parti en fumée : Sénégal émirat pétrolier ? Infrastructures en chantier ? Réforme du système financier international ? Et non, ce ne sera pas sous son magistère. La déception est profonde. Cette mélancolie nourrit la rancœur inépuisable qu’il cultive à l’encontre d’Ousmane Sonko dont la popularité inébranlable malgré les complots, séquestrations et emprisonnements enrage un président mal aimé. Ce qui en retour alimente sa mélancolie. Il aura tout essayé depuis trois ans ! » [17].
Le président Macky, adepte du dilatoire pour regretter le troisième mandat
Le dénouement semblait se préciser le 20 janvier 2024 avec la publication par le conseil constitutionnel de la liste des 20 candidats sélectionnés dont deux femmes [18] à partir d’un système de parrainage sur 70 postulants. Ousmane Sonko s’est fait remplacer par Bassirou Diomaye Faye, Secrétaire général de son Parti (Pastef), Parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité, dissous le 31 juillet 2023 par le ministre de l’Intérieur. Mais c’est sans compter avec les soubresauts du président mélancolique qui le 3 février 2024, à la veille de la campagne électorale, abroge le décret de convocation des électeurs sous le prétexte de la mise en place d’une commission parlementaire enquêtant sur deux juges du Conseil constitutionnel dont l’intégrité dans le processus électoral est contestée par le Parti Démocratique Sénégalais dont le candidat Karim Meissa Wade a été recalé pour cause de parjure sur sa double nationalité sénégalaise et française. Dans la foulée, l’Assemblée nationale adopte un projet de loi renvoyant les élections présidentielles au 15 décembre 2024 avec l’octroi d’un supplément de mandat au président Macky Sall. Saisi par un groupe de candidats, le Conseil constitutionnel déclare l’inconstitutionnalité de la loi votée et ordonne la tenue des élections dans « les meilleurs délais ». Mais Macky Sall continue à jouer au dilatoire et annonce la convocation d’un « dialogue national » pour fixer les conditions pour l’organisation des élections présidentielles. Boycotté par 17 candidats, ce « dialogue national », tenu du 26 au 28 février 2024, a adopté des conclusions offrant la possibilité de réouvrir la liste des candidats et proposant la date du 2 juin 2024 pour les élections présidentielles et maintenant Macky Sall à la présidence jusqu’à l’installation du nouveau président élu. Encore une fois, le Conseil constitutionnel rejette ces conclusions, fixe la date des élections au 31 mars 2024 et précise que le mandat du président de la République s’achève le 2 avril 2024 et ne saurait être prolongé pour quelque raison que ce soit [19].
L’écrivain Guinéen Tierno Monénembo apprécie le rôle d’arbitre du conseil constitutionnel comme une parade dans le mécanisme du jeu démocratique. Il écrit : « L’acte posé par le Conseil constitutionnel après la tentative de recul des élections présidentielles par Macky Sall fut un haut moment de démocratie et pour les Africains frustrés de tout, surtout de liberté, un véritable état de grâce. Une belle surprise, un événement habituellement réservé aux démocraties les mieux rodées, celles des pays scandinaves notamment » [20].
Face à ce double désaveu par le Conseil constitutionnel, Macky Sall se décide à fixer la date des élections au 24 mars 2024 donnant aux candidats deux semaines de campagne électorale au lieu des trois comme prévu par le code électoral. Dans le souci, dit-il, d’apaiser l’espace politique à son départ à la tête de l’État, il fait voter le 4 mars 2024 une loi d’amnistie générale pour faire libérer les 1 500 détenus politiques qui croupissent en prison [21]. Cette mesure d’élargissement permet à Ousmane Sonko et au candidat Bassirou Diomaye Faye de sortir de la prison et de prendre la tête de la campagne de la coalition anti-système – anti-Macky Sall.
À la veille des élections du 24 mars 2024, l’issue du verdict des urnes était incertaine. Le scrutin s’est déroulé dans le calme et la sérénité. Les électeurs ont usé de leur bulletin de vote pour opter dès le premier pour le changement incarnées par la coalition « Diomaye Président 2024 » mise sur pied par Ousmane Sonko et ses alliés avec un score de 54,28 % contre 35,79 % pour Amadou Ba, le candidat de la majorité sortante.
Quelques leçons majeures de cette crise sociale et politique
La troisième alternance consacrée par les résultats des élections du 24 mars 2024 illustre la vitalité de la démocratie au Sénégal. Mais elle révèle que le modèle de démocratie souffre encore des faiblesses liées à sa jeunesse et aux dérives générées par le système présidentialiste. Entre 2019 et 2023, le pays a connu une grande instabilité politique due aux interprétations controversées de la constitution sur la légitimité d’une nouvelle candidature du président Macky Sall qui a déjà accompli deux mandats (2012-2019 et 2019-2024).
Cette crise marquée par des graves troubles a eu des conséquences importantes sur l’économie du pays au moment où l’exploitation d’importantes ressources de pétrole et de gaz est annoncée pour 2025. Cependant la dynamique de résistance incarnée par les citoyens et principalement par les jeunes ainsi que le jeu de régulation assuré par le Conseil constitutionnel ont permis d’éviter que le pays s’enfonce dans le chaos. Le bulletin de vote a indiqué la direction du changement en départageant les partis politiques en compétition.
De plus, il se dégage des épreuves de force entre les régimes d’Abdoulaye Wade et Macky Sall et les populations mobilisées que la défense de la constitution qui n’est plus simplement l’affaire des juristes, mais bien des citoyens et citoyennes engagés contre tout régime voulant piétiner le droit auquel il est censé être soumis pour garantir le commun vouloir de vie commune. Les jeunes ont été au front de ce combat pour la consolidation de la démocratie.
Enfin, un puissant vent souffle de partout au Sénégal et les messages sont concordants autour de la souveraineté, la réforme des institutions, l’employabilité des jeunes, l’ancrage culturel, la qualité du capital humain, la justice sociale, la transparence budgétaire et toutes sortes de formes de redevabilité. Pour une fois, un nouveau pouvoir n’aura qu’un seul choix : celui de procéder à la réforme du présidentialisme, de mettre en œuvre la gouvernance vertueuse et répondre aux aspirations des jeunes et des femmes. Mais déjà les mouvements de femmes expriment leur indignation du fait de la faible présence des femmes dans le nouveau gouvernement (13,33 %), alors que le Sénégal a adopté depuis 2010 une loi sur la parité. C’est là un signe révélateur des conquêtes à réaliser pour approfondir un modèle démocratique très apprécié en Afrique.
[1] Agence nationale de la statistique et de la démographie du Sénégal, Résultats du 5e Recensement Général de la Population et de l’Habitat, Mai 2023 https://www.ansd.sn/Indicateur/donnees-de-population.
[2] Robert Fatton Jr.1987, The Making of a Liberal Democracy: Senegal’s Passive Revolution, 1975–1985. Boulder: Lynne Rienner, 189 p.
[3] Momar Coumba Diop et Mamadou Diouf, 1990, Le Sénégal sous Abdou Diouf, État et société, Paris, Karthala.
[4] https://books.google.sn/books/about/Assises_nationales.html?id=K-sA56_0a....
[5] https://journaldoc.blogspot.com/2009/06/elections-locales-du-22-mars-200....
[6] Momar Coumba Diop, Le Sénégal sous Abdoulaye Wade : le Sopi à l’épreuve du pouvoir, 2013, Paris, Karthala.
[7] Kalil Gueye, Chronique du 22 novembre 2023 : Les dangers du report de la présidentielle. https://www.youtube.com/watch?v=GjFbXOoyroc.
[8] https://www.ansd.sn/Indicateur/donnees-de-population.
[9] Eveline Baumann, 2016, Sénégal, le travail dans tous ses états, Presses Universitaires de Rennes & IRD Éditions, Rennes, p. 84.
[10] Entretien avec Modou Diop, 24 ans, habitant le quartier des pécheurs Thiaroye, Dakar, 15 mars 2023. Il a déjà effectué deux tentatives pour rejoindre l’Europe.
[11] Kalil Gueye, Chronique du 22 novembre 2023 : Les dangers du report de la présidentielle. https://www.youtube.com/watch?v=GjFbXOoyroc.
[12] Pierre Sané, Chronique titrée : DE LA MÉLANCOLIE D’UN PRÉSIDENT MAL AIMÉ, Sénéplus, 16/01/2024, https://www.seneplus.com/opinions/de-la-melancolie-dun-president-mal-aime.
[13] https://www.lepoint.fr/afrique/tierno-monenembo-senegal-le-syndrome-sonk....
[14] https://www.dw.com/fr/s%C3%A9n%C3%A9gal-ousmane-sonko-adji-sarr-cit%C3%A....
[15] Felwine Sarr, chronique : Nous tenir éveillés. https://www.seneweb.com/news/Contribution/nous-tenir-eveilles-par-felwin....
[16] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/07/28/au-senegal-l-opposant-....
[17] Pierre Sané Chronique titrée : DE LA MÉLANCOLIE D’UN PRÉSIDENT MAL AIMÉ in Sénéplus, 16/01/2024, https://www.seneplus.com/opinions/de-la-melancolie-dun-president-mal-aime
[18] Une des deux femmes sera disqualifiée pour cause de double nationalité révélée après la publication de la liste des candidats par le Conseil constitutionnel. Au total, ce sont dix neuf candidats qui concourent à la Présidence de la République en 2024.
[19] https://icilome.com/2024/03/senegal-le-conseil-constitutionnel-desavoue-...
[20] https://www.lactuacho.com/senegal-une-democratie-saine-et-sauve-par-lecr...
[21] https://www.sudquotidien.sn/les-deputes-ont-vote-le-projet-de-loi-portan...