MULTIPLE PHOTOSDÉMYSTIFICATION DES COUPS D'ÉTAT EN AFRIQUE
Il y a actuellement deux déterminants forts des « coups d'État réussis » en Afrique : le fait d’être une ancienne colonie française et celui d’être dans une zone militarisée par des puissances étrangères
SenePlus reproduis ci-dessus le thread (fil twitter) de l’économiste Ndongo Samba Sylla invalidant le narratif selon lequel il y aurait un retour aux coups d’État sur le continent africain à la lumière des cas malien, guinéen, burkinabè et nigérien.
Avec les coups d’État militaires observés dans certains des 55 pays du continent africain, les spéculations et les déclarations grandioses abondent. La plupart des commentateurs parlent d’un “retour” des coups d’État et du recul de la démocratie.
Ce récit dominant (partagé par de nombreux Africains) est faux. Parce qu’il n’inclut pas de faits corrects. Toute enquête devrait commencer par des faits et des concepts de base corrects.
Malheureusement, dans le cas de l’Afrique, c’est toujours une trop grande demande. C’est pourquoi les clichés et les mythes invalidants abondent.
Les coups d’État « réussis » (c’est-à-dire le renversement du gouvernement) ont atteint leur apogée sur le continent africain au cours des périodes 1970-1979 et 1990-1999 (36 cas pour chacune). Ils ont décliné au cours des décennies suivantes ; 8 entre 2020 et 2022. Voir ici.
La plupart des pays africains ont été épargnés par les coups d’État depuis les années 1990, tandis que moins d’un tiers n’ont jamais connu de coup d’État “réussi” depuis leur indépendance (quelque chose de jamais reconnu).
Étant donné que les récents coups d’État ont eu lieu dans les mêmes pays du #Sahel, il est faux de parler du “retour” des coups d’État pour l’ensemble du continent.
Mais devinez quoi ? Tous les pays où des coups d’État ont été observés depuis 2020 sont d’anciennes colonies françaises, à l’exception du Soudan : le Burkina Faso, le Mali, la Guinée et récemment le Niger.
Si vous regardez la carte, vous voyez que les coups d’État sont géographiquement situés dans la bande “sahélienne”. Voir ici.
Laissons de côté le cas tunisien (un ancien protectorat français) ; certaines personnes parlent d’un coup d’État là-bas.
Il y a actuellement deux déterminants forts des « coups d’État réussis » en Afrique : le fait d’être une ancienne colonie française et celui d’être dans une zone militarisée par des puissances étrangères.
Les récents coups d’État n’indiquent aucune tendance particulière sur la « santé » politique du continent, mais ils révèlent une réalité que les gens détestent reconnaître : la crise de l’impérialisme français.
Les coups d’État en Afrique francophone révèlent des tentatives de certains pays de se déconnecter de l’emprise de la France (Mali, Burkina) ainsi que des tentatives de la France de maintenir son influence (le coup d’État au Tchad a ensuite été soutenu par la France et n’a créé aucun problème particulier pour l’Occident).
La crise de l’impérialisme français est également visible dans le caractère hautement répressif des pays africains francophones qui sont dépeints comme des « démocraties » - c’est-à-dire « loyales » aux intérêts occidentaux - et qui répriment violemment la dissidence interne et l’opposition.
Il n’est donc pas surprenant que certains des coups d’État aient été une réaction à des excès despotiques - comme en Guinée lorsque le président sortant a été renversé après s’être accordé un “troisième mandat” en utilisant des manipulations constitutionnelles.
Le Niger est décrit comme un pays avec une tradition « démocratique ». En 1996, les responsables français étaient « satisfaits » du coup d’État militaire d’Ibrahim Baré Maïnassara. Lorsque ce dernier a été tué lors d’un nouveau coup d’État, ils ont déploré un « revers démocratique ».
Le fait que l’Afrique francophone soit touchée par des coups d’État n’est pas un phénomène nouveau. C’est structurel. Dans un chapitre du livre que j’ai écrit en 2015, j’ai formulé l’évaluation suivante : « À l’heure actuelle, les tentatives de coup d’État en tant que mode de régulation politique en Afrique subsaharienne survivent principalement dans les pays francophones, y compris ceux de la zone franc […] Elles ont toujours été un frein coûteux en termes de vies humaines. »
J’ai produit le tableau suivant (voir l’illustration) : 78 tentatives de coups d’État dans les pays CFA entre 1960 et 2012, soit 38 % du total des tentatives de coups d’État et 58 % des coups d’État réussis après 2000.
Pour citation : NSS, « Émerger avec le Franc CFA ou Émerger du Franc CFA ? », in K. Nubukpo, B. Tinel, M. B. Zelinga, D.M. Dembélé (éd.), Sortir de la servitude monétaire : à qui profite le Franc CFA ?, Les éditions La Dispute, Paris, 2016, p.186.
Inutile de répéter que l’imposition du FCFA a bloqué le développement économique de l’Afrique. Prenez la Côte d’Ivoire, le plus grand pays francophone utilisant le franc CFA. Ses habitants sont plus pauvres maintenant qu’ils ne l’étaient en 1978 (voir le tableau 2 en illustration).
Prenez le Niger. Il a enregistré son meilleur niveau de PIB réel par habitant en 1965. Son PIB réel par habitant actuel est inférieur de 59 % à cette performance. (Les données proviennent des indicateurs vérifiés de développement de la Banque mondiale).
En plus des mauvaises performances économiques à long terme, ces pays n’ont connu aucun développement institutionnel autonome (y compris la distribution « autoritaire mais développementale » que l’on trouve dans certains endroits à travers le monde).
Il est temps que les gens cessent de généraliser à tout un continent une question qui touche principalement les pays francophones sous le néocolonialisme. Pour mettre fin aux coups d’État « réussis » en « Afrique », il est peut-être temps de commencer à penser à mettre fin au franc CFA et aux interventions militaires étrangères.