DÉSIRÉ BOLYA BAENGA, L’ASIE MAJEURE ET L’AFRIQUE MINEURE
EXCLUSIF SENEPLUS - Il semble que beaucoup d’esprits africains n’ont simplement pas les moyens de leurs ambitions. Et ce que cela peut coûter pour qu’ils les aient, n’est rien de moins, qu’une renonciation synonyme de compromissions
C’est dans une rue du quartier de la Bastille, un jour d’été de 2010, que le corps sans vie de Désiré Bolya Baenga a été retrouvé. Les rues de Paris, on le sait, enterrent leur lot d’infortunés, dans un relatif anonymat. Mais de là à être, pour celui que nombre de professionnels avertis du monde littéraire et intellectuel appelaient le « meilleur de sa génération », la tragique scène de fin de piste, personne n’aurait pu y croire. Le choc et l’effroi demeurent d’ailleurs, aujourd’hui encore, intacts. Plus vifs encore lors de ses obsèques, où proches, incrédules, admirateurs, se sont pressés pour saluer une dernière fois l’ombre de la longue silhouette de cet écrivain tempétueux.
Une mort brutale
Au micro ce jour-là, pour prononcer l’éloge funèbre, l’aîné et le mentor de toujours : Elikia M’bokolo, normalien et historien devenu l’incontournable Mémoire du continent sur RFI. Les deux amis partagent le même Congo, le goût pour les choses de l’esprit, une réelle complicité intellectuelle, une admiration mutuelle. Et dans les mots sublimes du frère aîné se mêlent tendresse, amitié, récit d’une vie heurtée, d’une trajectoire singulière. Le vocabulaire choisi est plein d’empathie, d’amour, d’une verve presque joyeuse qui défie la catastrophe de la brutalité de sa mort. Une lumière s’allume dans les mots pour dompter l’obscurité du deuil. Pourtant, dans l’assemblée, tout le monde ne réussira pas à dominer la douleur. Au milieu des sanglots, Rahmatou Keïta, journaliste et réalisatrice nigérienne, et amie du défunt, garde en mémoire un épisode déchirant, lorsque la tante de l’écrivain confie, dans un murmure de douleur, que Bolya a quitté sa mère à 18 ans, et qu’elle ne l’a jamais plus revu jusqu’à sa mort. Il avait 53 ans.
Les Baenga sont une famille qui compte dans l’histoire récente du Zaïre. Désiré Bolya Baenga est le fils de Paul Bolya, compagnon de Patrice Lumumba et de la libération congolaise, tour à tour ministre, sénateur, personnage de premier plan. Le bain intellectuel est, comme par évidence, le premier environnement du jeune Bolya. Fort de ses aptitudes intellectuelles bien réelles, précocement perçues, et sous les conseils d’Elikia M’bokolo, ami de sa sœur, il le rejoint plus tard à Sciences Po, la prestigieuse adresse de la rue Saint-Guillaume où l’historien est professeur. L’école, elle n’est plus à présenter ; elle produit une élite promise à de beaux destins professionnels. Le jeune homme y est admis au mérite, et sous l’aile protectrice du guide, il intègre ce temple où les Noirs ne sont pas très nombreux. Il découvre dans la foulée Paris, les splendeurs germanopratines et les mythes mondains qui s’y attachent. Il montre une certaine inclination pour le dandysme, perceptible dans sa mise très tôt soignée. Avec la culture acquise dans ce creuset, de plain-pied dans les débats majeurs de l’époque, Bolya qui a gardé un attachement à son Congo et à son Afrique, semble pourtant renoncer aux grandes carrières tranquilles qui l’attendent pour un rêve secret qui l’habite et l’emporte.
Elikia M’bokolo se souvient dans son éloge et le déclame : « ta route semblait tracée. Quelques concours encore, deux ou trois diplômes supplémentaires en poche, et c’était une carrière tranquille et assurée de bon technocrate dans quelque administration ou banque prestigieuse. Mais non ! c’était mal te connaître. Car tu avais d’autres rêves ! Les livres, écrire des livres. Écrire et publier… » Comme une énergie mystique, son amour pour l’écriture triomphe donc et quelques missions de consultance le maintiennent à flot. C’est un attelage qui convient à son tempérament de bretteur, d’éditorialiste, d’écrivain en devenir qui s’aménage du temps pour crier ses blessures à la face du monde. C’est donc décidé, ce sera l’écriture, ses fragilités, sa cruauté. Tant pis si ça ne paie pas et que les rues de Paris comme de Kinshasa sont peuplées de dandies fauchés.
Entrée fracassante en littérature
En 1986 paraît son premier livre, Cannibale. La rhétorique est ténébreuse et la brutalité absolue. Le champ lexical des expressions est un nappage malodorant : sauvagerie, bêtise humaine, tribalisme, dictateurs sanglants… On y sent des inflexions Conradiennes digne d’Au cœur des Ténèbres, ou encore plus explicitement Le Nègre de Narcisse, dans la violence sombre de l’atmosphère générale qui dénonce les corruptions, les hommes de pouvoirs, les réalités africaines mal dégrossies, le peu d’égard pour la vie humaine et l’horizon résolument sombre du continent. Le titre annonce le vertige du gouffre et les mâchoires de la bête humaine, ici africaine. Le texte est habité, palpitant, étouffant même. Tantôt dans les accents du Voyage au bout de la nuit de Céline dans sa parenthèse africaine, tantôt ceux de À la Courbe du fleuve de V.S Naipaul. Toujours le même tableau noir qui étreint le lecteur parfois jusqu’à le broyer. L’Afrique que Bolya donne à voir n’est en effet pas enchanteresse, mais il y applique déjà la mesure du talent qui le caractérise. Et le destin, comme complice, est avec lui, car pour un coup d’essai, c’est un coup de maître : Cannibale est couronné par le Grand prix littéraire d’Afrique noire. Sa maestria a conquis le jury du prix : une liberté de ton, une culture, déjà une certaine intransigeance, et le regard du réel jusqu’à la nausée, malgré l’étiquette fictive et l’identité romanesque du livre. Jean McNair note d’ailleurs ceci, à la fin de sa recension du livre dans la Revue Présence Africaine : « Ce livre trouble. Il ne laisse personne indifférent. Il choquera certains et donnera lieu à des critiques. En fin de compte, ceci est, peut-être, sa vraie force ».
C’est le début d’une ascension, avec une certaine reconnaissance, même parcellaire. Le prix de l’ADELF (Association des écrivains de langue française), malgré les critiques sur ses ombrages coloniaux, restait à l’époque respectable. Bolya en étrenne les retombées qui pavent un peu plus la voie à son rêve d’écriture. L’homme est resté chic, élégant et bien mis. Comme un autre dandy du quartier de Saint-Germain, l’égyptien Albert Cossery. Ils partagent le goût des petites gens. Celui de la paresse aussi ? On ne saurait dire. Cette réception prometteuse n’est en revanche pas la garantie de conditions matérielles plus confortables. Les témoignages sont assez unanimes : Bolya tire le diable par la queue et le nom ne fait pas encore la renommée ni la fortune.
La solitude des exilés africains des Lettres
Si la création est solitaire de nature, la solitude plutôt aiguë, voire l’esseulement, seront le sceau de sa vie, assez rapidement du reste. Il en fait l’expérience dans une réclusion symbolique, parfois contrainte, qui est le lot de beaucoup d’auteurs. D’autant plus dans les années 80/90, période charnière pour nombre de jeunes écrivains et intellectuels africains formés en France. Les structures à matrices idéologiques comme la FEANF (Fédération des étudiants d'Afrique Noire en France) et l’énergie folle de la période qui présida aux indépendances se sont essoufflées. Il ne semble plus y avoir d’épopée collective. L’Afrique est écrite par ses fils, lointains, et très souvent dans la tonalité du malheur. Les groupes, les revues, les clubs, se disloquent, et le désenchantement s’empare des œuvres. Depuis Kourouma, et le Soleil des indépendances, cette veine de la désillusion reste un registre dominant, d’autant plus pendant ces décennies du chaos dans le continent. L’éloignement dû à l’exil, le peu d’ancrage local, éparpillent les écrivains dans le paysage. Un peu fantômes, sans réelles attaches, avec la nostalgie et la mélancolie comme seules ressources pour accompagner les cris souvent vains en direction de leurs peuples. Abdoulaye Gueye, chercheur sénégalais, avait fait la cartographie des intellectuels africains dans les années 50 - 70 (2002) en se focalisant sur les matrices communes. Les sujets étaient fédérateurs. Mais plus tard, on constate, en remontant à cette période qui suit et qu’a bien connue Bolya, la solitude de ces intellectuels, leur déracinement jamais soigné, et leur difficile, voire impossible, ancrage en France, sous peine de pactiser avec le bourreau dans les consciences. Des valeurs refuges se créent : une migritude par exemple, concept qu’a tenté de saisir Jacques Chevrier, avec son lot de questionnements, de déchirements ; un label qui regroupe des esprits qui avaient d’autres ports d’attache idéologiques que la négritude ou même le panafricanisme.
Le destin des écrivains s’en trouve fatalement impacté. Dans ce temps, les tiers-mondistes, sur l’échiquier gauche de la politique en France, tiennent le haut du pavé. Et l’africanisme se cherche encore une nouvelle légitimité depuis que la situation coloniale a été débusquée par Balandier. Comment donc mener une vie intellectuelle libre, au-delà des chapelles, en surplombant les problématiques matérielles que pourrait résoudre l’appartenance à un clan ou à un autre ? Bolya a semble-t-il fait son choix : celui de l’indépendance. Le fils de Paul Bolya ne s’aliène même pas les idées en vogue du panafricanisme de l’époque dont son père fut un chantre, et dont les versants afro-centristes séduisent et deviennent un paradigme fédérateur d’élans. Pas plus qu’il n’est émerveillé outre mesure par les solides attaches qu’il noue à Saint-Germain, avec le risque de Jeandarquisme ou de francophilie galopante comme dirait Romain Gary. Ça lui aménage par conséquent un espace étroit pour épanouir son œuvre. Porté sur la fâcherie facile, irréductible dans son refus des compromissions, « sédentaire de l’éthique » en toutes circonstances, il se construit un îlot aux saveurs de martyrs et se met à dos des amis. Malgré tout, reste le goût âcre de la terre-Mère, au loin, et M’bokolo se souvient toujours dans une tonalité plus nostalgique : « Et nous sommes là, tous, à courir, à courir après le quotidien et ses urgences, au point de ne plus penser à ces instants simples et tranquilles, passés ensemble au commerce des nôtres, pourquoi pas autour de quelque dive bouteille de ces bons vins de France. »
L’Asie, le Japon : la référence
En 89, le mur de Berlin tombe. Il consacre une nouvelle ère. Chez beaucoup d’intellectuels africains, le marxisme est triomphant. Il a fait école. Au lieu de s’emprisonner dans la dualité de ces blocs qui survivent et dont l’hégémonie aliène le continent, Bolya fait un pas de côté. Il s’émancipe de cette vue duelle. Pourquoi pas s’inspirer du Japon ? Le pays du Soleil Levant a réussi des prouesses économiques, et s’est hissé, avec une célérité inouïe, à la tête des pays riches. La trajectoire éblouit Bolya. Il en fait un livre, l’Afrique en Kimono, repenser le développement (1991) où il exhorte le continent à s’inspirer du géant nippon. L’essai est original, il ne ménage pas un occident qu’il traite de « totalitaire ». Il lui reproche son mépris, sa demande incessante aux peuples d’adopter son modèle comme le seul qui vaille. Il remonte le fil de ce miracle japonais, qui a réussi à se moderniser sans renoncer à son identité culturelle. Voilà donc pour Bolya l’exemple type. Le développement ne requiert pas la négation de soi, et le Japon en est la parfaite illustration. L’essai est documenté, bardé de références éloquentes. Il part en effet d’articles dès 1913 d’un pasteur malgache Ravelojoana, père du nationalisme de l’île, qui a précocement pressenti cette inspiration. Âpres l’hommage à cette prémonition des pionniers de la grande île africaine qui fait écho à la morphologie insulaire japonaise, l’Afrique en Kimono est à la fois une critique acerbe des prétentions développementalistes de l’Occident, mais aussi une analyse fine des forces en présence, qui ne ménage pas, entre autres, les islamistes que l’auteur assimile à des idiots utiles de l’occident.
Cette ode au Japon ne manque pourtant pas de défauts à l’examiner en profondeur. L’auteur y passe très vite sur les démonstrations, et ne donne pas à voir le réel état des transformations au Japon. Parfois les scansions prennent le pas sur les analyses, sans esquisser les conditions de possibilité de cette transposition en Afrique, d’autant plus que le Japon et l’Afrique ne partagent pas forcément une familiarité évidente. Mais l’essai est séduisant et convainquant. En brocardant l’idée en vogue du développement comme condition de sortie de la misère, avec l’idéologie libérale qui la porte et la verticalité des injonctions envers l’Afrique, l’auteur est en avance de 20 ans sur des débats sur le « modèle » à suivre. On a tous en tête l’exemple, souvent cité pour accabler l’Afrique, de la Corée du Sud qui avait alors le même niveau que beaucoup de pays africains pendant les indépendances et dont l’économie aujourd’hui pèse plus lourd que nombre de pays réunis. Cet exemple résonne dans le tropisme de Bolya, dont l’œuvre porte cette inclination vers l’Asie majeure, lui qui écrira un autre livre sur le Japon L’Afrique à la japonaise. Et si l’Afrique était si mal mariée ? (1994)
Avant sa mort, Bolya a sans doute vu un autre géant asiatique, plus impérial, faire sa ruée vers l’Afrique, la Chine. Sans doute a-t-il lu l’essai de Tidiane Ndiaye, Le jaune et le noir (2008), qui dresse une longue chronologie, qui n’est pas faite que de romance, des relations méconnues, mais bien réelles entre l’Asie et l’Afrique. Bolya aurait-il rectifié sa copie ? Rien n’est moins sûr. Sa critique généreuse, souvent juste, ainsi que sa personnalité hostile au compromis font de lui un homme à part, reconnu, mais redouté, qui croit en la sacralité de l’éthique. Plusieurs fois, les appels à s’assagir, à intégrer des cabinets plus douillets, se sont fait pour lui qui a partagé sa vie entre Montréal et Paris. Il a toujours opposé un refus au risque parfois de se complaire dans une posture du rebelle ultime, même si à bien y regarder, on pourrait saluer cet acharnement principiel. Dans son éloge, M’bokolo le disait : « Tous ces livres, c’est vraiment toi, avec ce soin que tu as sans cesse mis à ne jamais être captif, ni d’un genre, ni d’un style, ni d’une forme, ni d’un lieu ». Il a cultivé aussi, dans le site Afrik.com, un art de la chronique, du billet politique sur le monde, où l’on retrouve une diversité de sujet, dont l’attachement à Haïti et des réactions sur le vif sur la marche de la planète. Un exercice journalistique qui ne lui rapportait rien, sinon un pécule modeste, mais aussi le maintien d’une régularité dans l’écriture.
Une large palette : pionnier du roman policier en Afrique
On peut vite oublier, à trop se focaliser sur l’essayiste, le romancier. Avec Cannibale, cette fibre était déjà présente, mais c’est dans la Polyandre (1998) et dans Les cocus posthumes (2001), publiés chez le Serpent à Plumes, son dernier éditeur, qu’il devient selon les mots de Rahmatou Keïta, « un précurseur du roman policier, avec un goût réel de la métaphore ». Ces romans sont d’ailleurs salués et étendent la palette de la création de cet auteur inclassable, mais immanquable, et qui est l’un des rares de sa génération à naviguer de genre en genre sans perdre de sa superbe. Les romans policiers n’ont pas bonne presse sur le continent et ce n’est pas un genre à la mode. On s’en détourne volontiers comme si c’était un registre mineur. En y faisant une incursion, Bolya mène sa carrière littéraire – stabilisée, avec un bon éditeur – sans la folie de la gloire, mais dans un cercle où son savoir-faire est salué.
Toujours chez le Serpent à Plumes, comme si le constat d’échec du développement africain était consommé, et que les invitations à marcher sur les pas du Japon étaient des cris dans le désert, Bolya commet un autre livre, plus à charge, l’Afrique, le maillon faible (2002). Le propos est sans détour et les responsabilités sont situées sans ménagement. Le titre est comme une épitaphe. De cette œuvre globale en construction, émerge une colonne vertébrale assez claire : une exigence, un engagement, une intransigeance, des excès, des obsessions, mais aussi en annexes, la cause des sans-grades, un amour de la femme, de la féminité, de la cause des femmes, victimes en premières lignes de toutes les hégémonies traditionnelles et des violences de la guerre moderne. Un amour des femmes, qui est aussi de la gratitude, pour celles qui l’ont élevé, celles qui l’ont aimé, le long de sa vie.
Amour qu’il confirme dans La profanation des vagins (2005), qu’il dédie à sa fille, son grand amour. Un livre de dénonciation des crimes de guerre, militant et désabusé, mais à l’épaisseur politique incontournable et à l’envergure qui parcourt les guerres de son temps. Un livre qui a peut-être marqué et inspiré le gynécologue, prix Nobel de la paix, Denis Mukwege, l’homme qui répare les femmes, dans cette sale guerre du Congo. Une œuvre donc globale qui se présente sous la forme d’un cri, avec du panache, mais qui n’a jamais eu un écho à sa mesure. Et comme toujours, in petto, ses détracteurs confient leurs griefs : une âme chagrine, frustrée. C’est sans doute un peu vrai. Pouvait-il pour lui en être autrement ? Dans un ouvrage publié chez Mémoire d’encrier, son ex-compagne Françoise Naudillon, a rassemblé les textes de ses amis en reprenant comme titre un de ses leitmotivs : Nomade cosmopolite, mais sédentaire de l’éthique (2012). Un parfait résumé de cet esprit, difficile à emprisonner, papillonneur et ouvert aux vents du monde. L’affection remplit ces pages d’hommage, avec une facture intimiste qui les rend à la fois authentiques et touchantes.
La mémoire d’un continent
Aujourd’hui encore, partir sur les traces du legs de Bolya, c’est être confronté à un silence, un silence malaisé. Comme s’il y avait à la fois trop et trop peu à dire sur les déboires de sa fin tragique. Cette mort brutale dans les rues de Paris, pour lui qui se savait « condamné » selon les mots de M’bokolo, donne à voir une antichambre misérable, de réclusion, condition de beaucoup d’esprits africains vivant en occident. Dans la foule anonyme de ces manteaux faits homme, de ces piliers de bar, de ces esprits lumineux, dans ces beuveries et ces gueuletons, peut-on compter tous ceux dont on se prive de l’intelligence ? Ceux qui sont à contre-emploi ? On pourra bien, à loisir, ratiociner sur une malédiction, une infortune, mais la réalité est bien plus cruelle : il semble que beaucoup d’esprits africains n’ont simplement pas les moyens de leurs ambitions. Et ce que cela peut coûter pour qu’ils les aient n’est rien de moins, qu’une renonciation synonyme de compromissions. De ces ambitions déchues, il ne reste parfois que des barouds d’honneur, tantôt sublimes, tantôt tragiques. À la loterie de ce destin, Bolya n’a pas tiré le bon numéro, mais son œuvre, elle, lui survit et rayonne vivement sur le monde intellectuel pour ceux qui se donnent la peine d’aller les chercher. Du fond de son malheur, c’est un écrivain comme l’a si joliment résumé Françoise Naudillon « fidèle, loyal, à ses amis et à lui-même ». Si le martyre est bien souvent une posture, on peut trancher rapidement qu’il a un goût héroïque à n’en pas douter chez Bolya. Dans son œuvre, sa vie, ses obsessions. Une mort et une vie, loin de sa terre natale qu’il a quittée jeune et qu’il a retrouvée dans un cercueil. Comme un symbole d’un déchirement irréversible.
Épisode 1 : AXELLE KABOU, L’EXCOMMUNIÉE
Épisode 2 : WILLIAMS SASSINE, LE RIRE GRAVE
Ce texte fait partie des "Damnés de leur terre", une série proposée par Elgas, publiée une première fois sur le site béninois Biscottes littéraires, en décembre 2020. Elle revient sur des parcours, des destins, vies, de cinq auteurs africains qui ont marqué leur temps et qui restent au cœur de controverses encore vives. Axelle Kabou, Williams Sassine, Bolya Baenga, Mongo Béti, Léopold Sédar Senghor. La série est une manière de rendre hommage à ces auteurs singuliers et de promouvoir une idée chère à Elgas : le désaccord sans l’hostilité, comme le fondement même de la démocratie intellectuelle et littéraire.
Le prochain épisode est à lire sur SenePlus lundi 23 août.