ESPERONS QUE CE N’EST QU’UN AU REVOIR
J’ai dit tout ce qui m’a lié aux deuxième, troisième et quatrième président de ce pays. Et voilà que c’est le cinquième d’entre eux, celui que je ne n’ai connu ni d’Adamni d’Eve, qui me promeut
Je souhaite que ce soit un aurevoir mais, sait-on jamais ? cela peut être tout aussi bien un adieu ! Car, pour que ce soit un aurevoir il faudrait d’abord que Dieu me donne longue vie jusqu’à ce que je puisse arriver au terme de mon mandat non renouvelable de six ans à la tête du Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA). Sinon, bien sûr, cet éditorial que je signe ce jour serait peut-être le dernier, un chant du cygne. S’il advenait que je sois encore là jusqu’à la fin de 2030, encore faudrait-il que je n’aie pas perdu la main et que je conserve intactes toutes mes facultés intellectuelles. Surtout, surtout, il faudrait que la presse écrite, qui vit ses derniers jours, existe encore à ce moment-là, elle qui est réduite aujourd’hui à sa plus simple expression, pour ne pas dire à peau de chagrin, et n’en finit pas d’agoniser tuée à petites doses qu’elle est par le numérique. Si toutes ces conditions sont réunies, peut-être bien que, par la grâce du Seigneur, je pourrais encore, un jour lointain, écrire de éditoriaux. A la condition (encore une !), bien sûr, qu’il y ait encore des lecteurs de la presse ! Car après tout, Jean Daniel et Béchir Ben Yahmed, deux grands éditorialistes, ont écrit pratiquement jusqu’à leur mort intervenue aux âges respectifs de 100 et 93 ans…
En tout cas, au terme d’une formidable aventure de 34 ans à la tête du journal « Le Témoin » — depuis le temps où sa périodicité était bimensuelle jusqu’à ce qu’elle devienne quotidienne en passant par l’époque glorieuse de l’hebdomadaire —, voilà que je dois à présent tourner sans doute définitivement cette longue page pour en ouvrir une autre. Institutionnelle celle-là. Moi qui n’ai fait toute ma vie professionnelle que le journalisme, qui ai effectué toute ma carrière dans les salles de rédaction ou sur les théâtres d’événements pour des reportages, moi qui n’ai connu que ce métier qui était le moteur qui me faisait carburer et me maintenait en vie, moi qui n’ai jamais imaginé faire autre chose, voilà que je suis presque contraint de me mettre au service de la République mais du côté institutionnel cette fois-ci. Ce au terme de 44 ans d’exercice du métier de journaliste sous le harnais duquel j’ai blanchi et où j’ai gravi tous les échelons. De jeune reporter au quotidien national « Le Soleil » où je devais effectuer les reportages les plus ingrats, ceux dont les autres ne voulaient pas, les « chiens écrasés » comme on dit dans le métier, les séminaires, les meetings syndicaux, les événements nocturnes ou dominicaux, les déplacements en brousse etc. Le plus souvent de ma propre poche car les pigistes n’avaient droit ni aux frais de reportage ni celui d’être transportées par les véhicules du journal. Mais parfois, par charité chrétienne ou plutôt musulmane, on nous faisait l’honneur de nous transporter et même parfois de venir nous chercher chez nous et de nous transporter sur les lieux de reportage !
Néanmoins à quelque chose malheur étant bon, cette rude école m’a permis, en ce qui me concerne, de bénéficier de l’encadrement de grands journalistes — dont certains ne sont plus de ce monde, hélas — qui m’ont aidé à devenir ce que je suis. C’était du temps où un monument nommé Bara Diouf dirigeait avec talent et panache le quotidien de Hann. Par la suite, avec une poignée d’autres journalistes du « Soleil », des parias comme moi, nous avions répondu à l’appel de l’alors opposant Me Abdoulaye Wade qui voulait lancer un quotidien « indépendant » pour briser l’hégémonie du quotidien national. Ainsi était né « Takusaan » faussement intitulé « Le quotidien du soir » — il ne put malheureusement jamais atteindre cette périodicité du fait d’une imprimerie sous-dimensionnée — mais qui réussissait des tirages fabuleux. Ce journal avait pour directeur de publication un homme élégant, racé, brillant intellectuel aux idées plus que modernes à l’époque, je veux parler de Fara Ndiaye qui était le numéro deux du Pds (Parti démocratique sénégalais) et le président de son groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Le rédacteur en chef en était Pathé Mbodj, une excellente plume à la culture académique et qui rentrait justement du Canada où il était parti faire un doctorat de journalisme. Sous la houlette de ce grand red-chef, l’équipe de jeunes journalistes que nous étions — elle était complétée par de jeunes confrères très talentueux frais émoulus du Cesti à savoir Mademba Ndiaye, Tidiane Kassé et feu Abdourahmane Kamara qui ont eux aussi fait de brillantes carrières — avait secoué le cocotier, fait bouger les lignes, ébranlé le vieil édifice socialiste. Carle simple fait qu’il y ait eu une information autre, relativement indépendante et qui venait offrir un son de cloche différent et contredire la propagande des médias d’Etat était déjà en soi une révolution ! Bien évidemment, en ces temps de quasi parti-Etat, de toute-puissance du Parti socialiste, c’était presque suicidaire de vouloir faire du journalisme « libre ». Nous avions tout l’appareil de l’Etat, au premier rang duquel les redoutables services de renseignement, derrière nous mais jeunes, idéalistes, intrépides, croyant au journalisme, nous n’en avions cure. Cette belle aventure ne dura qu’une année, hélas, du fait de graves problèmes de gestion survenus au niveau de l’imprimerie surtout. Alors que la formidable équipe se dispersait, chacun d’entre nous cherchant du travail de son côté — c’est juste à ce moment qu’un intellectuel arabisant du nom de Sidy Lamine Niass lançait un bimensuel islamique du nom de « Wal Fadjri » ! —, Me Abdoulaye Wade me fit appeler un jour pour me demander de bien vouloir rester avec lui pour aider Me Ousmane Ngom — à l’époque secrétaire national à la presse et à l’information du Pds — à animer « Le Démocrate », organe central de l’alors premier parti de l’opposition. Par la suite, je fus prié de m’occuper du « Citoyen », un journal d’éducation civique publié par l’Isefi (Institut sénégalais d’Education par la Formation et l’Information) crée parle Pds et bénéficiant du financement de la Fondation Friedrich Neumann du Parti libéral allemand. Un beau jour de la fin de l’année 1987, à quelques mois de la présidentielle de février 1988, Me Wade m’invita dans son bureau pour me demander de lui concevoir un journal de campagne qui s’appellerait « Sopi » et aurait une durée de vie de trois mois c’est-à-dire de la pré-campagne à l’après-campagne. Initialement, Me Ousmane Ngom devait en être le directeur de publication mais, étant donné que l’ancien directeur de la FNASS (Fondation nationale d’Action sociale du Sénégal qui se trouvait à la présidence de la République), un certain Jean-Paul Dias, venait d’adhérer au Pds après s’être brouillé avec le tout-puissant Jean Collin, Wade décida finalement de lui confier la direction de ce journal qui atteignit les tirages les plus élevés de l’histoire de la presse sénégalaise et dont j’étais le rédacteur en chef. A la suite d’une brouille retentissante avec le père de Barthélémy Dias, il me licencia. Tollé au Pds ! Finalement, et au terme de péripéties que je n’évoquerais pas ici, le Secrétariat exécutif national du parti libéral me donna raison, ordonna ma réintégration et nomma l’avocat Me Cheikh Koureyssi Ba, un grand ami avec qui j’ai bourlingué et qui fut mon colocataire à la cité Derklé où vivait aussi en location un certain Macky Sall, comme directeur de publication. L’aventure « Sopi » (qui ne devait durer que trois mois!) prit fin en 1990 lorsque, à la suite d’une grève déclenchée par la rédaction contre la direction du parti pour revendiquer le paiement d’arriérés de salaires, Boubacar Sall alias le « Lion du Cayor », devenu entretemps n° 2 du Pds, nous a tous licenciés.
Le début d’une formidable épopée !
C’est alors que, en avril 1990, nous avons lancé le journal « Le Témoin ». L’équipe initiale était composée, outre votre fidèle serviteur, de Mohamed Bachir Diop, Serigne Mour Diop, Mbagnick Diop (que de Ndiobènes !), Ibou Fall et notre regretté doyen Mamadou Pascal Wane. Depuis lors, 34 ans se sont écoulés au cours desquels ce journal a joué les premiers rôles au sein de la presse sénégalaise et contribué à en faire ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Malgré les procès en diffamation — nous en détenons incontestablement le record même si on a assisté à une décrue ces dernières années —, malgré les atteintes physiques à notre intégrité parfois, malgré les saisies effectuées par des huissiers, les blocages de nos comptes bancaires, les périodes de disette publicitaire comme celle que nous vivons depuis quelques mois caractérisées par des arriérés de salaires, malgré les menaces, les intimidations, les pressions, nous avons tenu bon. Et même réussi à lancer deux stations de radios. Contrairement à d’autres grands groupes, nous n’avons jamais été riches, au « Témoin », mais avons toujours eu foi en ce métier. Comme dans la fable « Le loup et le chien » de La Fontaine, nous n’avons jamais voulu d’une laisse, fût-elle en or, et avons préféré vivre heureux, libres et sans-loi plutôt que fortunés mais asservis. Au moment où je m’apprête à passer le…témoin, après avoir été le timonier pendant plus d’un tiers de siècle, le journal est dans le creux de la vague comme toute la presse nationale du reste. Je souhaite donc beaucoup de courage à l’équipe qui va me succéder et en particulier au futur directeur de publication.
Cet éditorial d’au-revoir (ou d’adieu…) ne saurait en aucun cas constituer un bilan de ma vie journalistique que je retracerai peut être, si l’occasion m’en est donnée, dans mes Mémoires. Celles d’un enfant de la banlieue, qui a grandi à Diamaguène, où il a fait ses études primaires, avant de fréquenter le lycée Blaise Diagne durant une période qui fut incontestablement la plus belle de ma vie puis d’effectuer des études inachevées au Cesti car interrompues en deuxième année non pas parce que j’étais un cancre mais plutôt du fait que j’étais trop rebelle et trop communiste en un temps où, je l’ai déjà dit, il n’était pas de bon ton de l’être. J’avais été classé deuxième au concours d’entrée auquel s’étaient présentés en 1978 plus de 700 candidats dont les sept seulement avaient été retenus, après avoir été double lauréat au Concours général…
Journaliste un jour, journaliste toujours…
Un journaliste, donc, qui a débuté au bas de l’échelle pour se retrouver au sommet et qui ai connu personnellement les trois derniers présidents de la République du Sénégal qu’il s’agisse d’Abdou Diouf qui m’adorait et prenait plaisir à discuter avec moi — et qui, d’ailleurs, jusqu’à ces dernières années, à chaque fois qu’il venait au Sénégal demandait à son fils Habib, un de mes meilleurs amis, de me faire venir — en passant par Abdoulaye Wade aux côtés duquel j’ai beaucoup appris et qui est incontestablement celui qui m’a le plus formé. Que de combats j’ai menés avec lui au cours de ce qu’on appela les années de braise ! Quant à Macky Sall, il fut véritablement un petit frère pour moi, gentil, généreux, attentionné, respectueux. Pendant ses 12 ans au pouvoir, bien que je ne l’aie jamais raté, surtout durant son second mandat, malgré mes attaques virulentes contre lui, il a toujours demandé à ses fédayins de ne pas riposter, leur répétant inlassablement en parlant de moi que « quoi qu’il puisse écrire, il est et restera mon grand-frère ». Parmi les trois, c’est celui dont j’ai été le plus proche. Hélas, à l’épreuve du pouvoir, on sait ce qu’il est devenu. J’ai tenté de l’alerter parmes écrits quand j’ai vu que les choses commençaient à dériver, on lui a dit que j’étais son ennemi !
En 44 ans de journalisme, j’ai été témoin de l’histoire de ce pays durant presque un demi siècle et même, parfois, acteur. Encore une fois, seuls des Mémoires permettront de restituer tout cela
Pour ne pas faire des frustrés, je ne citerais pas de noms mais je tiens à remercier chaleureusement tous ceux nous ont accompagnés durant ces 34 dernières années, à commencer par nos fidèles lecteurs sans qui nous aurions mis la clef sous le paillasson depuis longtemps. Des lecteurs qui ont constitué nos plus sûrs soutiens par beau temps comme par intempéries et qui, en achetant ce journal, nous ont permis de vivre. Des lecteurs qui ont tendance à se réduire du fait de l’âge, beaucoup d’entre eux n’étant plus en vie malheureusement. Merci aussi à nos annonceurs, même s’ils ont tendance à se raréfier, à nos soutiens financiers anonymes, à nos informateurs, à nos avocats, à nos imprimeurs, à nos distributeurs, aux confrères, à tout le monde… Merci surtout à nos braves épouses, au premier rang desquelles la mienne, ma Première dame qui ont supporté de nous voir rentrer tout les jours à quatre heures voire cinq heures du matin, passer les weekends sur les théâtres d’événements, les fins du mois difficiles avec la dépense quotidienne qui n’a pas toujours — pour ne pas dire n’a jamais — été au rendez-vous. Merci également à nos merveilleux enfants que nous n’avons pas vu grandir. Pardon à ces braves collaborateurs particulièrement mal payés — quand ils le sont —, abonnés aux retards voire aux arriérés de salaires, aux loyers impayés de mon fait, habitués à voir leurs enfants renvoyés de l’école pour cause de non-paiement des frais de scolarité…
Si je n’ai pas voulu personnaliser les remerciements, qu’on me permette quand même de réserver une mention particulière à l’actuel président de la République, Son excellence Bassirou Diomaye Diakhar Faye, et à son Premier ministre, Ousmane Sonko, eux qui m’ont nommé généreusement aux fonctions de président du Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel sans même me connaître. J’ai dit tout ce qui m’a lié aux deuxième, troisième et quatrième président de ce pays. Et voilà que c’est le cinquième d’entre eux, celui que je ne n’ai connu ni d’Adamni d’Eve, qui me promeut! Donc après 44 ans au service de l’Information, je serai désormais au service de la Nation. Je sollicite les prières et les soutiens de tout le monde pour la réussite de ce nouveau et redoutable challenge pour moi. Pour le reste, encore une fois merci à tout le monde, pardon aux innombrables personnes que j’ai offensées, en espérant que ce n’est qu’un au-revoir…