FRANCOPHONIE, PARIS DEVAIT NOUS DIRE MERCI
Puisque la France considère que nous parlons sa langue, alors elle devrait nous exprimer sa gratitude à nous qui la faisons rayonner, la réinventons et l’enrichissons de nos ailleurs, de notre multiplicité
Du 13 au 21 mars s’est tenue la semaine de la Francophonie. Comme tous les ans lors de ce temps d’échange, j’ai été invitée, ainsi que plusieurs auteurs, à m’exprimer sur l’incidence du français dans mon écriture. Un certain type de questions me sont invariablement posées lors de ces rencontres. Considérez-vous que le français est votre langue ? Pourquoi écrivez-vous en français? Vos autres langues influencent-elles votre écriture? Pensez-vous que votre littérature pourrait émouvoir des personnes qui ne s’intéressent pas à l’Afrique ?
Leur récurrence n’estompe pas le malaise qu’elles continuent de susciter en moi. J’y ai répondu souvent, sans doute de façon imparfaite puisqu’elles reviennent. L’autre hypothèse, celle à laquelle je souscris car elle me semble réaliste, serait que personne n’écoute. Ni les questions, ni les réponses ne présentent le moindre intérêt pour quiconque.
Amnésie française
Quel sens donner à cette communauté de langue qui m’inclurait tout en m’enjoignant de signifier mon allégeance ? Bien que j’écrive en français des livres publiés en France, il m’est demandé de réitérer, à échéance régulière, mon appartenance et ma légitimité. Pourquoi serait-ce à moi de justifier les circonstances historiques m’ayant menée au français ?
La France connaît aussi bien que moi les réponses à ces questions. Elle sait mieux que moi pourquoi l’Afrique subsaharienne, si on exclut l’Hexagone, est la partie du monde qui réunit le plus grand nombre de locuteurs. Par quel extraordinaire retournement de situation est-ce à moi d’expliquer cette histoire commune dont la violence réelle et symbolique a été pensée en France ? Faut-il y voir une forme peu ordinaire de désordre mental dont l’amnésie serait le symptôme ?