GERMAINE ACOGNY, REINE DE LA DANSE CONTEMPORAINE AFRICAINE
En ce 8 mars, Journée internationale des Droits des femmes, nous avons choisi de rendre hommage à la mère de la danse contemporaine africaine, Germaine Pentecôte Marie Salimata Iya Tunde Acogny

En ce 8 mars, Journée internationale des Droits des femmes, nous avons choisi de rendre hommage à la mère de la danse contemporaine africaine, Germaine Pentecôte Marie Salimata Iya Tunde Acogny.
De sa grand- mère Iya Tunde, prêtresse Yoruba dont elle porte le nom, elle sera inspirée par la gestuelle et la conviction que la spiritualité permet de surmonter les difficultés dans la vie d’un artiste. Elle ouvre son école en 1968 et avouera qu’à cette époque, elle était loin de penser être une grande artiste. Au moment où je l’ai connue dans les années 70, elle avait une réputation dans le monde des arts et nourrissait le désir de transmettre sa passion de la danse à ses élèves, en leur offrant la possibilité d’aller au plus profond de leur corps, d’accueillir la richesse et la diversité de leur patrimoine culturel. C’est ce qui va la mener en 1975 à la création des majorettes du Lycée John Kennedy à Dakar, avec une touche africaine perceptible dans le choix des pas de danse et la tenue vestimentaire. Pour le rythme elle a sollicité la collaboration du célèbre tambour-major Doudou Ndiaye Coumba Rose. Son passage en Casamance qui lui fait découvrir les danses traditionnelles de cette région va influencer sa créativité et l’inciter à inventer de nouveaux mouvements mixant danse africaine et européenne. Contrairement à ce qui se pratiquait à cette période au Sénégal, Germaine fait le choix d’enseigner la danse africaine et non la danse classique. Venu assister à un des cours qu’elle dispensait dans sa propre école fondée en 1968, Roger Garaudy, philosophe et ami de Léopold Sédar Senghor, fut si émerveillé qu’il lui dit : « ce que vous êtes en train de faire, c’est une technique ». Il confia ses impressions à Senghor, qui a son tour apprécia la qualité du travail et la méthode de Germaine.
Dans la préface de l’ouvrage de Germaine, « La danse africaine » paru en 1980, il écrit ceci : « Mme Acogny a parcouru le chemin inverse de Béjart. Elle est partie de la danse négro-africaine, des pas négro-africains, pour y intégrer ceux du ballet européen ».
Senghor qui avait un projet pour le développement des arts, souhaitait faire du Sénégal, « la Grèce de l’Afrique », selon son expression, mais il manquait la danse. Aussi, en 1975, a-t-il tenu à présenter et surtout à montrer le travail de Germaine à Maurice Béjart, estimant qu’il n’était pas suffisamment qualifié dans le domaine de la danse. « C’est extraordinaire » aurait dit Béjart, selon Senghor, pour qui, « la tradition doit être une vague qui vient, qui rejaillit, pour redonner vie à la contemporanéité ».
Ce message, Germaine l’a compris en créant sa propre technique, celle qui porte son nom et est enseignée à travers le monde. Elle confirme les propos de son critique : « J’ai pris l’essence des danses traditionnelles d’Afrique de l’Ouest et des danses que j’ai apprises en Europe, et j’ai créé ma propre technique ». La création de Mudra Afrique va lui donner un autre rayonnement. En effet lorsque Senghor et Béjart ont décidé de créer Mudra Afrique avec l’appui de l’Unesco et de la fondation Gulbenkian, elle était toute indiquée pour en assurer la direction accompagnée par Julien Jouga et Doudou Ndiaye coumba Rose. Mudra Afrique, une antenne de Mudra Bruxelles, ouvrit ses portes en 1977 et va proposer une formation artistique. Senghor décrit l’esprit de cette école en ces termes : « Il nous faut dans une entreprise plus délicate, parce que plus imaginante, intégrer, avec les pas, les valeurs des autres danses, pour en faire une danse nouvelle, négro africaine, mais sentie, goûtée par tous les hommes, de toutes les civilisations différentes, parce que participant de l’universel ». Et d’ajouter que c’est ce travail de création que Mme Acogny a commencé de faire.
En 1979, Alioune Diop de la revue Présence africaine et Aimé Césaire vont visiter l’Institution qu’ils qualifient de « capitale du monde noir ».
La réalité humaine est faite de souffrances et de contradictions. Cette belle aventure prendra fin brutalement. Sa passion pour la danse la pousse à surmonter cette nouvelle difficulté et à ouvrir l’École des sables. Elle va créer sa compagnie « Jant Bi » avec laquelle elle va faire plusieurs tournées internationales. Depuis son premier solo Femme noire en 1972, plusieurs autres créations vont suivre, Yewwi, Thiouraye, Songho yakar etc, elle va travailler avec des chorégraphes et des metteurs en scène européens, africains, asiatiques dont Mikael Serre, Olivier Dubois, Salia Sanou, Kota Yamasaki.
L’École des sables va assurer le rayonnement de la culture et de la danse africaine. Cette visibilité va contribuer à pérenniser la tradition du Sénégal comme pays de culture, premier pays d’Afrique francophone à avoir une politique culturelle en accordant une place importante à la danse. Cette reconnaissance internationale, elle le doit à son travail. Germaine a travaillé, beaucoup travaillé et continue à le faire. Celle, que les danseurs appellent affectueusement MAMAN ne désarme pas. Il lui a fallu sans cesse démontrer que la danse s’apprend, et surtout que la danse est un métier et mérite respect et considération. Et à travers la danse, les artistes. Malgré tous ses succès, elle a dû surmonter des difficultés d’ordre financier pour faire fonctionner l’école au point de lancer des appels. Son exemple fait des émules dans le milieu de la danse. Nous lui devons la floraison de groupes de danse toutes techniques confondues. Elle a formé plusieurs générations de danseurs qui a leur tour, continuent d’exercer et d’encourager à la pratique.
Pour avoir bénéficié de son encadrement lorsque j’étais à Mudra Afrique, elle m’a influencée, elle reste une ainée et je suis très honorée aujourd’hui de lui rendre cet hommage.
Je voudrais lui exprimer toute ma reconnaissance à travers cet hommage, en y associant Helmut, son époux dont j’apprécie l’écoute, l’attention et la disponibilité pour le succès de la danse au Sénégal.
MMAH AÏSSATA BANGOURA
Docteur en Sociologie de l’Education. Spécialité Danse Institut Supérieur des Arts et des Cultures ISAC-UCAD
Honneurs et distinctions
En 1992, Germaine Acogny livre au monde le message de la journée internationale de la danse célébrée tous les ans, le 29 Avril.
En 2014, elle est classée parmi les « 50 personnalités africaines les plus influentes dans le monde », selon le Journal Magazine « Jeune Afrique ».
En 2019, elle reçoit le Prix d’excellence de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dans la catégorie Arts et Lettres.
En 2021, lors de la Biennale de Venise, il lui sera décerné, le Lion d’or de la danse. Voici les termes par lesquels Le jury a salué son œuvre : « Sa contribution à la formation en danse et en chorégraphie des jeunes d'Afrique occidentale et la large diffusion de son travail ont fait d'elle l'une des voix indépendantes qui ont le plus influé sur l'art de la danse." Le Prix Nonino ‘’Maître de notre temps’’ 2025 lui a été récemment décerné.