JUSQU’OU LE PEUPLE PEUT ETRE SOUVERAIN?
Aucune incrimination ne peut valoir condamnation au nom de l’exigence de transparence ou de justice, au mépris d’éléments à charge satisfaisants et d’enquêtes contradictoires sérieuses

Seule la justice est gardienne de l’Etat de droit. La contestation politique de la justice dans le monde, particulièrement aux Etats-unis, en Israël en France, dans les démocraties illibérales, est une atteinte à la séparation du pouvoir, laquelle est un pilier de la démocratie. Il ne revient pas au peuple de décider qui est innocent et qui est coupable. La justice populaire est fondamentalement partiale et partisane. Flatter le peuple est une très mauvaise chose pour la démocratie. Aucune incrimination ne peut valoir condamnation au nom de l’exigence de transparence ou de justice, au mépris d’éléments à charge satisfaisants et d’enquêtes contradictoires sérieuses.
La mission première de la justice est la recherche de la vérité. La primauté du droit est un élément structurant de la vie collective. C’est la première garantie contre l’arbitraire et la loi du plus fort. Et très souvent, le démantèlement de l’Etat de droit commence par une absence d’indépendance de la justice et un musellement de la liberté d’expression (qui ne vaut à mon sens que dans le respect de la dignité d’autrui). Un Etat de droit se différencie d’un Etat autoritariste par le respect de la séparation des pouvoirs, l’égalité des citoyens devant la loi, le respect de la hiérarchie des normes juridiques, la garantie d’un procès équitable. Même en situation exceptionnelle dérogatoire et de possibilités d’atteinte aux libertés publiques, le droit n’est pas congédié.
Dans notre pays, certaines affaires en cours, en raison du non-respect des règles de droit, nourrissent le soupçon d’une recherche de coupables à moindre frais. Est-ce un leurre pour masquer les espoirs déçus? L’orientation politique est inquiétante. Pour beaucoup de Sénégalais qui ont qualifié l’arrivée au pouvoir de l’exécutif, de tournant majeur qui consacre une nouvelle ère politique avec un vrai retour aux vraies valeurs, le renouveau attend toujours. Le sera-t-il encore longtemps? Les jeunes répondent en continuant à partir, convaincus qu’ils n’ont aucun héritage à attendre. Dans le monde rural, de lourds nuages s’accumulent. Les maigres dispositifs de sécurité sociale et d’aides aux plus démunis sont en sursis.
Le gouvernement poursuit la politique du discrédit sur ses prédécesseurs, avec des partisans qui se posent en nouveaux chevaliers blancs de l’inquisition, qui attaquent en meute sur les réseaux sociaux pour faire taire toutes les voix contradictoires et discordantes. L’insulte, la calomnie et le mensonge sont devenus une rente. Sert-il à quelque chose de refiler sans cesse “sa patate chaude” aux autres? L’ancien gouvernement est-il coupable de tous nos maux ? La communication gouvernementale qui va dans tous les sens est calamiteuse et est faite d’une banalité et d’affirmations sans fondements. Les problèmes de la gouvernance ne disparaissent pas par le simple fait de vouloir les exorciser, les ignorer, les manipuler.
L’avantage d’un narratif séduisant est qu’il favorise la paresse et l’indigence intellectuelle. Les politiques savent vendre du vent et des merveilles. Pour autant, les gens, mêmes ceux qui choisissent de tourner le regard, finissent toujours par voir ce qui se voit par un œil non malade. Un pays en surplace creuse une distance entre la société et ses gouvernants, et ouvre un chemin de rejet devant des promesses mystificatrices et une pratique politique politicienne. Le chemin de la dette à la banqueroute, de la banqueroute à la révolte n’est pas très long. Le gouvernement est-il en mesure de fournir des solutions durables aux problèmes majeurs du pays? L’alternance, très loin de l’alternative. Elle portait un espoir immense de changement. Elle semble esquisser les contours d’une immaturité politique, et d’un véritable manque de préparation. Est-ce le signe d’un naufrage qui s’annonce? L’excès d’assurance, l’illusion de se croire à l’abri de tout, la logique d’accaparement, relèvent de la politique de l’angle mort. L’éthique de conviction sans éthique de responsabilité est un malheur. Gouverner, c’est avoir le courage de la nuance, faire preuve d’intégrité, tenir ses promesses. On ne gouverne pas comme ça vous arrange. Avec une classe politique souvent à la dérive, enchaînée dans le calcul et les manœuvres, l’homme politique n’est plus celui qui fait comme il doit. Par son propos malheureux sur l’autorité judiciaire, le président est le premier acteur de la démonétisation de la justice.