LA CRISE SÉCURITAIRE EN AFRIQUE DE L’OUEST ET AU SAHEL EST AUSSI UN ENJEU DES NÉGOCIATIONS CLIMATIQUES
Bien que les épisodes de putsch, de razzia, de bombes explosives attirent le plus l’attention des médias, ils couvent subtilement une compétition féroce à l’œuvre pour sécuriser les minéraux stratégiques dont regorge le sous-sol africain.
Lorsqu’on s’arrête et qu’on prend un temps pour examiner les dommages collatéraux de la crise sécuritaire sur l’environnement, sur la vulnérabilité au changement climatique, sur la gouvernance des industries extractives, l’on se doute que cette situation nous coûte plus qu’aucun chiffre ne sera jamais capable d’estimer. C’est la capacité des pays africains à tenir debout et à marcher dignement à côté de leurs pairs dans la valse du monde qui est atrophiée. Et cette capacité n’a jamais été plus importante que maintenant, au cœur de bouleversements internationaux sans précédents, devant les menaces du changement climatique et les soubresauts du capitalisme.
Il est clair que le vent de révolte qui souffle en ce moment en Afrique de l’Ouest et du Centre n’est pas seulement causée par les limites de la gouvernance démocratique et sécuritaire. Parmi les autres facteurs inter-reliés, la problématique de la gouvernance des ressources naturelles est particulièrement significative. Elle l’a longtemps été ; mais aujourd’hui, la marche rapide vers « le Net Zéro » d’ici 2050 et la compétition autour des ressources minières qu’elle entraine laisse peu de temps aux Etats africains pour penser aux bonnes options afin de gouverner de manière souveraine leurs ressources naturelles sans condamner leurs peuples à la pauvreté, à la famine et à l’exil alors que le reste du monde jouit des bienfaits d’une planète écologique.
Bien que les épisodes de putsch, de razzia, de bombes explosives attirent le plus l’attention des médias, ils couvent subtilement une compétition féroce à l’œuvre pour sécuriser les minéraux stratégiques dont regorge le sous-sol africain. Le Sahel en souffre.
Les conflits en Afrique de l’Ouest et au Sahel se nourrissent des insuffisances de l’économie politique des ressources naturelles
Il est reconnu que le sous-sol ouest-africain regorge d’abondantes ressources extractives (pétrole, gaz, or, uranium, hydrogène naturel) tout comme des ressources renouvelables (solaire, éolien, hydraulique, biomasse, hydrogène artificiel, déchets urbains, etc.) et des ressources stratégiques pour la transition énergétique (lithium, bauxite, manganèse, zircon, cuivre, phosphates, etc.). Des pays comme la Mauritanie, le Mali, le Niger, la Guinée, le Sénégal possède des réserves en minéraux de transition équivalant à des centaines de milliards de dollars selon le Natural Resource Governance Institute (NRGI).
L’exemple du Delta du Niger suffit à montrer que l’exploitation de ces ressources naturelles, au lieu de permettre la prospérité, a engendré des inégalités consistantes que certains assimilent à une « malédiction des ressources naturelles ». Les velléités prédatrices des entreprises extractives ainsi que la construction d’Etats rentiers qui s’adossent à l’exportation des matières premières n’ont pas permis la diversification économique qu’il faut pour corriger ces inégalités. Au contraire, elles ont favorisé des comportements compradors, des flux financiers illicites ainsi que des décisions arbitraires qui ont nourri la frustration et la haine de beaucoup de populations défavorisées, faisant le lit des conflits, des rebellions et de la guerre.
Dans un passage qui confirme les liens entre les caractéristiques défaillantes de l’économie politique des ressources naturelles et la prolifération de l’insécurité et d’un sentiment de rejet en Afrique de l’Ouest, le philosophe camerounais Achille Mbembe explique bien comment, en Afrique, « les zones grises se sont multipliées et une course effrénée à la privatisation des ressources du sol et du sous-sol a été engagée. D’importants marchés régionaux de la violence sont apparus, dans lesquels s’investissent toutes sortes d’acteurs en quête de profit, des multinationales aux services privés de sécurité militaire.
L’exemple du Delta du Niger suffit à montrer que l’exploitation de ces ressources naturelles, au lieu de permettre la prospérité, a engendré des inégalités consistantes que certains assimilent à une « malédiction des ressources naturelles »
Leur fonction principale est de monnayer la protection contre l’accès privilégié à des ressources rares. Grâce à ces formes nouvelles du troc, les classes dirigeantes africaines peuvent assurer leur mainmise sur l’État, sécuriser les grandes zones de ponction, militariser les échanges au loin et consolider leur arrimage aux réseaux transnationaux de la finance et du profit ».
Dans ce contexte, la transition écologique peut-elle être la promesse d’un meilleur monde ?
Autant le déficit de gouvernance dans le secteur des ressources naturelles a des implications évidentes sur les dynamiques sécuritaires en Afrique de l’Ouest, autant l’inverse est vrai. Il ne faut pas oublier que le lourd tribut que les populations paient au terrorisme et aux conflits armés inclut l’érosion de leurs capacités de résilience face au changement climatique. Les institutions, les services essentiels, les infrastructures et la gouvernance qui sont indispensables pour renforcer la résilience des populations face à l’évolution du climat et de l’environnement se détériorent1.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) estime que « les personnes en situation de conflit ne sont pas seulement parmi les plus vulnérables aux crises climatiques et environnementales, elles sont aussi parmi les plus négligées par l’action climatique, en partie à cause des défis liés au travail dans un te.
Mais au-delà des Hommes, les institutions de coopération régionale comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale ou l’Union africaine sont fragilisées alors qu’elles devraient être les pierres angulaires de la réponse des Etats africains face au changement climatique.
D’après le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la plus grande autorité scientifique en matière de changement climatique, le Sahel et l’Afrique de l’Ouest sont parmi les régions les plus vulnérables aux fluctuations climatiques futures. C’est donc une terre riche en ressources naturelles, mais qui est en train de les perdre à cause de l’action de l’Homme, sans que celui-ci ait réussi à garantir la satisfaction des besoins essentiels des populations qui vivent sur cette terre. Des choses simples comme aller à l’école, donner à manger à son enfant, amener sa femme enceinte à l’hôpital, etc. Des choses simples.
Au Sahel, les revendications de justice climatique coïncident avec un temps de revendication extrême pour la justice sociale
Il semble que la marche du temps, la marche de l’histoire arrive bientôt à un carrefour où le besoin de repenser nos modes d’habitation sur terre croisent les aspirations de la jeunesse africaine pour échapper à la manipulation et à la pauvreté qui les guettent eux, ainsi que leurs futurs enfants et leurs futurs petit -enfants. Aujourd’hui, alors que le monde suit la marche de la transition énergétique, l’intérêt de sécuriser la gestion des minéraux stratégiques est crucial afin de permettre l’industrialisation, la création d’emplois et le développement économique des pays producteurs de ces minéraux. Il est aussi question pour ces pays d’avoir l’opportunité d’utiliser leurs ressources pour construire des sociétés sobres en carbone. Y parviendra-ton en Afrique de l’Ouest ? Pas si les questions sécuritaires et les questions climatiques sont perçues sur des terrains différents.
D’après le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la plus grande autorité scientifique en matière de changement climatique, le Sahel et l’Afrique de l’Ouest sont parmi les régions les plus vulnérables aux fluctuations climatiques futures
La crise sécuritaire en Afrique de l’Ouest et au Sahel ne devrait pas être en dehors de l’agenda des négociations climatiques internationales parce qu’au-delà des nombreux autres facteurs qui ont influencé la propagation de cet enfer, la question de l’autodétermination des peuples ouest-africains à jouir librement des bénéfices de leurs ressources naturelles est centrale.
Alors que se tient actuellement le Sommet Africain sur le Climat, mais bientôt aussi la COP28, les négociateurs africains discuteront avec divers représentants de la communauté internationale pour prendre des décisions sur l’avenir des ressources naturelles dans un contexte de transition écologique. Ils parleront de transition énergétique, de transition agro- écologique, de financement climatique mais en fin de compte ils reviendront pour appliquer les décisions qu’ils auront prises dans un Sahel en tourmente.
Dans cette région, les coûts de l’adaptation au changement climatique risquent de grimper en flèche si les risques sécuritaires ne sont pas pris en compte dans l’agenda climatique actuel, dans la planification et dans la mise en œuvre des projets. C’est le message que les deux côtés de la table ne pourront ignorer ou balayer avec des analyses éphémères.
Le contexte sécuritaire en Afrique de l’Ouest et au Sahel est un enjeu majeur des négociations climatiques, et il mérite plus d’attention, de recherche, d’analyses rigoureuses fondées sur des données probantes afin de garantir au mieux l’opérationnalité de l’agenda climatique au Sahel et dans le reste de l’Afrique de l’Ouest. Car la terre brûle, et le temps file.