LA PSYCHOLOGIE AU SÉNÉGAL : PERSPECTIVE DES ACTEURS SUR LE TERRAIN
La décision du Premier ministre Ousmane Sonko est une excellente nouvelle pour tous les professionnels de la santé mentale exerçant au Sénégal

L’engagement du chef du gouvernement sénégalais, exprimé en Conseil des ministres du 9 avril 2025, de dépoussiérer la loi no 75-80 du 9 juillet 1975 relative à la maladie mentale est une perspective salutaire pour un grand nombre de nos compatriotes. Il est en phase avec les efforts entrepris dans cette direction par le Département de psychologie de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, rouvert en 2021 après sa fermeture suite aux événements de mai-68.
La décision du Premier ministre Monsieur Ousmane Sonko est une excellente nouvelle pour tous les professionnels de la santé mentale exerçant au Sénégal. Elle vient donner un espoir de renouveau dans les structures hospitalières qui peinent à recevoir des subventions pour un fonctionnement optimal. Faut-il le préciser, c’est grâce à l’effort des professionnels de la santé mentale, malgré des conditions de travail qui sont loin d’égaler celles que peuvent offrir les pays du Nord global, que ces structures tiennent jusqu’à présent. Mieux, les hôpitaux continuent à proposer accueil et soin de qualité à un nombre de patients en croissance, malgré le nombre de lits qui reste insuffisant. L’intérêt manifesté par les autorités gouvernementales permet de croire en un réel engagement de leur part à prendre en compte la question de la santé mentale au Sénégal.
UN PEU D’HISTOIRE…
Le Professeur Oumar Guèye écrit qu’en mai 1968, une révolte universitaire a éclaté au Sénégal et abouti à un bras de fer avec le gouvernement du Président Senghor. (1) Les revendications des étudiants étaient multiples, largement inspirées par les mouvements panafricanistes et orientées vers une volonté de décolonisation de l’université dont les contenus des formations alors offertes ne répondaient pas aux réalités de la société. Face à cela, le régime du Président Senghor incarnait le visage du néocolonialisme qu’il fallait combattre pour instaurer un changement. C’est dans ce contexte que fut fermé le département de Sociologie et de Psychologie de l’Université de Dakar, et avec lui, la possibilité de faire émerger une génération de psychologues qui auraient pu développer une méthodologie basée sur une épistémologie mixte et ancrée dans l’approche décoloniale globale initiée par l’École de Dakar. Il a fallu attendre mars 2021 pour que ce département rouvre ses portes. À ce jour, il compte 596 étudiants et offre deux spécialisations en master dont une en Psychologie clinique et psychopathologie de la santé, une autre en Psychologie sociale et du travail. Son équipe d’enseignants-chercheurs collabore avec les centres hospitaliers nationaux afin de favoriser l’immersion professionnelle des étudiants à l’occasion des stages qui jalonnent leur formation.
UN PARTI-PRIS DECOLONIAL
Dès le début, et par devoir de reconnaissance pour le contexte de notre fermeture en 1968, l’option est prise d’implanter la Psychologie au Sénégal dans une perspective décoloniale et contextualisée, intégrant des cours inédits : psychologie indigène, Esclavage, colonisation et traumatisme, santé mentale globale, psychologie interculturelle, psychologie critique, psychologie communautaire, psychologie culturelle du travail, entre autres. Il ne pouvait pas en être autrement car copier les programmes académiques du Nord global reviendrait à exercer une nouvelle violence épistémique sur les prochaines générations de psychologues sénégalais.
En ce qui concerne les curricula, une approche panafricaine est mise en avant, avec la rédaction de manuels d’enseignements communs à dix universités situées dans six pays d’Afrique francophone. Cette initiative, qui vise à terme l’harmonisation des curricula dans le Sud global, n’est sponsorisée par aucun groupe ou organisme étranger. Exclusivement soutenue par l’UCAD, elle recueille la participation bénévole d’enseignants et de praticiens passionnés par leur métier et ambitieux pour leur pays. Il est important de préciser qu’il est coûteux de concevoir des enseignements et des manuels dans une perspective décoloniale, mais c’est pourtant le choix qui a été fait pour sortir du prisme de la comparaison entre nos pays et l’Occident. De ce fait, les futurs psychologues sénégalais ont accès à des méthodes développées en Afrique et basées sur les savoirs endogènes.
L’une de ces méthodes a d’ailleurs reçu le Prix APA (2) de l’innovation en Psychologie en 2020 et le Centre Hospitalier Universitaire de Fann a choisi de l’intégrer dans sa stratégie de renforcement de capacités du personnel hospitalier. L’auteure de cette méthode, Dr Ismahan Soukeyna Diop, a par ailleurs été sélectionnée pour le Bellagio Residency Fellowship (3) de la fondation Rockefeller pour son travail dans le sens de la construction d’un curriculum décolonial en psychologie clinique et l’intégration de méthodes de psychothérapie culturellement pertinentes, basées sur la tradition orale africaine. (4)
UN DEPLOIEMENT ASSOCIATIF
Dans la dynamique enclenchée d’implantation de la Psychologie au Sénégal, l’Association des Psychologues du Sénégal (APSYSEN) a été créée en 2019. La majorité de ses membres donne bénévolement en moyenne 25% de leur temps en consultations gratuites, en activisme ou en formation (voir plus bas).
LA NECESSITE DE METTRE DE L’ORDRE
La Psychologie prend lentement mais sûrement son envol au Sénégal. Pour accompagner ce déploiement, le département de Psychologie de l’UCAD a entrepris la création d’un Ordre des psychologues. Cette instance s’emploiera, une fois sur pied, à réguler l’exercice de la profession de psychologue au Sénégal autant que les relations entre les psychologues et les autres professionnels de la santé mentale, notamment les psychiatres et les psychothérapeutes non-psychologues, acteurs de la Psychologie au Sénégal. Cette tribune ne saurait se clore sans un appel lancé aux consœurs et confrères psychologues de toutes spécialités exerçant à l’étranger à venir joindre leurs efforts à ceux de l’APSYSEN et de l’équipe du département de Psychologie pour aider à construire une Psychologie sénégalaise à la hauteur des défis auxquels font face notre chère patrie et nos compatriotes.
L’équipe d’enseignement-recherche du département de Psychologie Faculté des Lettres et Sciences Humaines université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal)
(1)Guèye, O (2017). Les acteurs et événements influents de la crise. Mai 1968 au Sénégal. Senghor face aux étudiants et au mouvement syndical. Karthala, pp. 243- 271.
(2) PsychSolution Competition a été organisé par l’APA (American Psychological Association) en Décembre 2020. Plus d’informations sur ce lien : https://www.apa.org/international/programs/memorandumunderstanding/competition
(3) Le Bellagio Residency Fellowship est un programme prestigieux qui accueille des chercheurs, activistes ou artistes dont il reconnait l’excellence et leur propose un cadre unique pour la développer pendant quatre semaines. Ce fellowship a accueilli des personnalités reconnues comme Maya Angelou et Ruth Bader Ginsburg. Plus d’informations sur ce lien : https://www.rockefellerfoundation.org/fellowships-convenings/bellagio-center/residency-program/
(4) TAMPSY OPTOA est un outil projectif de psychoéducation et de psychothérapie basé sur le conte africain. Cette méthode inspirée de la tradition orale africaine renforce l’alliance thérapeutique en utilisant des images et récits de contes africains comme média pour aborder les problématiques psychologiques.
A propos de l’Association des Psychologues du Sénégal
Créée en 2019, l’APSYSEN regroupe des psychologues formés, exerçant dans divers domaines (clinique, scolaire, social, du travail) au Sénégal et à l’étranger. Elle est animée par une conviction forte : l’accès à un accompagnement psychologique de qualité est un droit fondamental. C’est pour cela qu’elle agit avec discrétion, humilité et un profond engagement bénévole. Elle est composée d’une quinzaine de membres, en majorité psychologues cliniciens. Bon nombre d’entre eux interviennent régulièrement dans la formation universitaire en psychologie, en dispensant des cours et animant des TD de manière quasi bénévole. Ils accompagnent mémoires, thèses, recherches et offrent un soutien actif aux jeunes professionnels. La plupart des membres exerçant en institution ont régulièrement accueilli et accompagné des stagiaires. L’APSYSEN a mis en place des supervisions entre pairs et veille, dans la mesure de ses moyens, à ce que ceux qui adhèrent et s’établissent comme psychologues soient dûment qualifiés. L’association est consciente des besoins et de l’intérêt croissant de la population pour les questions de santé mentale et souhaite ainsi renforcer ses actions de sensibilisation. Depuis la crise du Covid-19, ce besoin est devenu encore plus visible. À cette période, l’APSYSEN avait déjà mis en place des dispositifs gratuits d’écoute pour soutenir les personnes en détresse. Aujourd’hui, elle prévoit de développer davantage de campagnes de sensibilisation, en particulier dans les médias, et d’organiser des actions collectives en partenariat avec d’autres structures engagées. Elle aspire également à développer des groupes d’écoute et des ateliers destinés à accompagner au mieux les besoins psychologiques exprimés par la population, en particulier les jeunes et les publics vulnérables. Son objectif est clair : structurer un réseau de psychologues compétents et solidaires, améliorer l’accès aux soins psychologiques, lutter contre les idées reçues, tabous sociaux et encourager le retour des professionnels sénégalais dans leur pays. L’APSYSEN est une structure libre, autonome, ouverte à la collaboration, qui agit avec intégrité et dans l’intérêt des bénéficiaires. Plus d’informations sur nos actions, projets et membres sur www.apsysen.com