CES MAUX QUE L’ON TAIT
Certains s'identifient au message de Matar Diagne, d'autres ont été sauvés par du soutien. Mais beaucoup restent sans aide. Sommes-nous assez attentifs à la souffrance autour de nous ?

Nous vivons dans une société où l’espoir s’efface lentement, comme un murmure étouffé par le bruit des exigences et des illusions perdues. Une jeunesse en quête d’avenir se cogne contre un mur d’indifférence, traînant derrière elle des rêves brisés et des ambitions érodées par l’incertitude. Nous avançons, fatigués, sous le poids des attentes familiales, des contraintes économiques et des inégalités qui s’étirent comme une ombre. Exprimer son mal-être est perçu comme une faiblesse, alors que c’est parfois le seul cri qui nous reste avant de sombrer.
Chaque disparition tragique, chaque acte de violence lié à la santé mentale secoue l’opinion publique comme une onde de choc qui s’éteint aussitôt qu’elle est née. Nous nous sentons tous concernés, car chacun porte en lui des blessures invisibles, des douleurs qu’il tait par peur d’être incompris. Mais combien de ces douleurs resteront-elles sans écho ? Combien de vies s’éteindront en silence, noyées sous l’injonction à tenir, à paraître invincibles dans un monde qui broie sans relâche ?
La lettre publiée sur la page de Matar Diagne, cet étudiant retrouvé sans vie dans sa chambre à l’Université Gaston Berger, dont l’autopsie a confirmé la thèse du suicide, a ravivé un malaise profond. Ce qui bouleverse dans ces réactions, ce n’est pas seulement la douleur d’un destin brisé, mais la façon dont chacun y projette sa propre lutte. Certains se reconnaissent dans les mots laissés, d’autres témoignent de l’importance d’un soutien qui les a sauvés. Mais pour tant d’autres, il n’y a ni oreille attentive, ni regard bienveillant, ni main tendue pour retenir leur chute. Nous courons après la réussite, pensant que les biens matériels combleront le vide. Pourtant, ce manque est là, profond, abyssal. Nous avons soif d’amour, de reconnaissance, d’un lieu où être soi ne soit pas un luxe. Même ceux qui condamnent son geste ne le font pas toujours par conviction religieuse, mais parce qu’ils vivent la même détresse, parfois pire, et s’accrochent malgré tout, tentant de survivre là où l’on ne laisse aucune place à la vulnérabilité. Les cas de détresse explosent, et pourtant, la santé mentale demeure un tabou. On nous apprend à sourire même quand tout s’effondre, à tenir même quand nous sommes à bout, à ravaler nos peines pour ne pas déranger. Mais qui prend soin de celles et ceux qui portent ce fardeau invisible ?
L’absence de prise en charge de la santé mentale est une blessure béante dans notre société. Peu de structures existent pour accompagner ceux qui souffrent, et celles qui existent restent inaccessibles, faute de moyens ou par manque d’information. L’impact de cette négligence est terrible : des vies brisées, des familles détruites, des générations entières condamnées à porter un poids qu’ils n’ont jamais choisi. L’anxiété chronique, la dépression, les pensées suicidaires, l’épuisement émotionnel ne sont pas de simples états d’âme : ce sont des silences qui tuent à petit feu.
L’histoire se répète inlassablement, comme une pièce de théâtre dont nous connaissons déjà la fin. En 2012, les révélations sur les milliards détournés faisaient la Une, les scandales s’empilaient, les promesses de justice se multipliaient. Mais au fil du temps, l’indignation a cédé la place à l’oubli, et les coupables ont disparu dans l’ombre, protégés par un système qui pardonne aux puissants. Aujourd’hui, les chiffres de la Cour des comptes révèlent de nouvelles malversations, des fonds publics dilapidés à une échelle insoutenable. Encore une fois, ces révélations captivent, suscitent la colère, mais pour combien de temps ? La population endure, souffre, se débat avec des urgences bien plus pressantes que ces scandales qui finissent toujours par être enterrés.
Sommes-nous condamnés à revivre le même cycle de mensonges et d’impunité ?
Ces scandales «politiques» occultent déjà la tragédie de cet étudiant, comme tant d’autres injustices. Mais ils ne peuvent effacer la peur qui brille dans les regards, celle de ces centaines de citoyens qui, du jour au lendemain, se retrouvent au chômage à cause de décisions politiques. Que ce soit la fermeture des bases françaises, les politiques d’austérité -comme la récente décision de Donald Trump de supprimer des agences comme l’Usaid et de suspendre d’autres institutions d’aide internationale- ou encore ces nouveaux directeurs d’agence qui licencient pour recruter des militants en guise de récompense politique. Ces licenciements de masse exacerbent une crise de l’emploi déjà insoutenable, où les opportunités sont rares et l’espoir d’un avenir stable s’amenuise chaque jour un peu plus.
Le harcèlement en ligne est devenu une arme invisible, mais dévastatrice. Derrière un écran, les mots fusent sans retenue, les humiliations s’enchaînent, les accusations se propagent comme une traînée de poudre. Pour certaines victimes, ce n’est pas seulement une question d’image ou de réputation : c’est un poids psychologique qui les écrase, les enfermant dans une spirale d’anxiété, de honte et parfois même de désespoir. Combien d’adolescents, de militants, de personnalités publiques ont sombré sous le poids de cette violence numérique ? Combien de vies ont été brisées par une rumeur amplifiée, par des insultes incessantes, par l’acharnement collectif d’inconnus qui ne mesurent pas l’ampleur des cicatrices qu’ils laissent derrière eux ? Des nuits entières sont consacrées à des «révélations» sans preuve, à l’étalage public de l’intimité des personnes, aux accusations infondées relayées pour faire de l’audience. Des vies sont brisées par des sextapes diffusées sans consentement, par des mensonges orchestrés pour salir une réputation, par des familles endeuillées qui voient l’histoire de leurs défunts déformée et exploitée pour le divertissement. Derrière chaque scandale viral, il y a des êtres humains piégés dans un lynchage collectif, qui ignore les séquelles psychologiques qu’il laisse derrière lui.
Combien de personnes souffrent en silence, accablées par le manque d’affection, par des attentes irréalistes, par des trahisons qui laissent des plaies profondes ? Dans un monde où le matériel prend le dessus sur les sentiments, où la valeur d’un individu semble parfois se mesurer à ce qu’il possède plutôt qu’à ce qu’il est, les liens humains se fragilisent. Les cadeaux remplacent les paroles réconfortantes, la réussite financière se substitue à la tendresse, et les connexions authentiques s’effacent derrière des obligations superficielles. Combien d’âmes se brisent sous le poids d’une relation toxique, d’un amour non partagé, d’un rejet familial ou de l’indifférence d’un ami ? L’absence d’écoute, le manque de reconnaissance, l’incapacité à exprimer ses émotions sans peur du jugement transforment parfois les liens affectifs en blessures qui ne cicatrisent jamais. Car la solitude ne vient pas toujours d’un isolement physique, mais souvent du sentiment d’être incompris, invisible, même entouré.
Regardons-nous vraiment ceux qui souffrent autour de nous ? Sommes-nous capables d’entendre les silences pesants, ces non-dits qui trahissent une détresse que l’on refuse de voir ?
L’Etat doit agir maintenant. Il ne peut plus ignorer la douleur de son peuple. Pourquoi la santé mentale n’est-elle toujours pas une priorité ? Pourquoi les budgets alloués aux infrastructures psychologiques sont-ils si dérisoires face à l’ampleur du problème ? Pourquoi la Justice ne protège-t-elle pas mieux les victimes des lynchages médiatiques, du harcèlement en ligne et de la détresse psychologique qui en découle ? Il est temps d’offrir de vraies solutions, d’écouter, de protéger, d’agir.
Moi aussi, comme vous, je ressens le poids des attentes, des jugements, de toutes ces injonctions qui dictent nos vies et nous enferment dans des cases trop étroites. Comme vous, j’ai été ébranlée par les mots qui blessent, les silences qui tuent, les déceptions qui marquent. Mais ce qui me permet de tenir, ce qui me permet de croire encore, c’est cette infime lueur qui, même vacillante, refuse de s’éteindre. Dans tout ce que je traverse, dans chaque chute et chaque doute, je cherche ce fil invisible qui relie encore mon cœur à l’espoir. Parfois, c’est un sourire échangé, une présence discrète mais précieuse, une main tendue quand je n’y croyais plus. Si vous ne l’avez pas encore trouvée, cherchez cette lumière, même minuscule, qui réchauffe l’âme et rappelle que nous ne sommes pas seuls. Que même dans l’obscurité la plus totale, il y a toujours une promesse d’aube. Prenons soin de nous, osons demander de l’aide, osons exister pleinement, car chaque souffle porte en lui la possibilité d’un renouveau.